Des meetings sous haute surveillance mais des meetings à la pelle. Mardi soir, Mélenchon et ses hologrammes se démultipliaient dans sept villes. Deux jours avant, Macron blindait son Bercy, tandis que Le Pen s’offrait le Zénith de Paris. Ce mercredi, c’est Hamon qui rêve de remplir la place de la République, quand l’agenda Fillon est lui aussi plein à craquer de réunions publiques. Malgré l’arrestation de deux hommes soupçonnés de préparer un attentat visant la campagne et malgré un cru 2017 sous état d’urgence, les candidats n’ont pas renoncé à rassembler leurs troupes. C’est à qui aura la plus grosse salle comble, la file d’attente la plus longue, le public le plus chaud, les images les plus télégéniques hérissées de drapeaux tricolores. Comme à chaque présidentielle, on a aussi dit les meetings ringards, tout juste utiles à électriser des militants déjà convaincus. Tout se jouera dans les débats, supposait-on dans les écuries. Pourtant, les meetings restent un incontournable. S’ils ne feront pas l’élection, celle-ci ne se fait pas sans ces démonstrations de force.
Juste un exercice imposé ?
Des rangées de jeunes pour faire la claque, des ténors au premier rang, des locaux de l'étape missionnés pour jouer les chauffeurs de salle avant l'arrivée triomphale d'un candidat sur une BO jouée au synthé… Le meeting, premier poste budgétaire d'une campagne, est avant tout un exercice imposé, ritualisé. Certains apportent leur touche personnelle, comme Jean-Luc Mélenchon dans la veine du stand-up. Mais les codes sont grosso modo les mêmes, ne laissant a priori aucune place à l'impro. Le summum semblant avoir été atteint avec les consignes données en coulisse d'un meeting de Macron à des militants sur la messagerie Telegram et dévoilées dans une vidéo mi-février. «Lâchez des bravos», «du spontané», enjoint «la team ambiance» de Macron en direct. Tout semble millimétré, et pourtant il se passe des moments déterminants, qui marquent autant que les débats télévisés ou les émissions politiques. «Une campagne, c'est très peu de rationalité et beaucoup d'émotion. Un orateur qui sent la salle, joue la parole et le silence…» explique l'historien Christian Delporte. Le meeting est surtout cet appât à médias qui en reprennent les images et les formules. Pour l'édition 2017, on retient le «qui imagine le général de Gaulle mis en examen ?» de Fillon, alors outsider de la primaire de la droite. Ou le moins maîtrisé «c'est notre projeeeeeet» de Macron Porte de Versailles. Comme le «mon ennemi, c'est la finance» resté scotché à Hollande après son Bourget de 2012.
Chauffer les troupes… et au-delà ?
Le gros du public est bien sûr acquis au candidat. Il y a bien des curieux ou des indécis, mais ils ne sont pas, loin de là, la majorité de l'espèce. La retransmission sur les chaînes d'info et leur couverture aux JT permettent de toucher au-delà des inconditionnels et de convertir des téléspectateurs. «Les meetings ont changé de nature : d'un lieu hermétique où l'on galvanisait une base militante à leur diffusion large, sans l'intermédiation du filtre journalistique, avec les images bien léchées fournies par l'équipe du candidat, rappelle Frédéric Dabi de l'institut de sondages Ifop. Le meeting est devenu l'un des éléments du choix des Français.» «Pour Jean-Luc Mélenchon, un meeting est une rencontre sans filtre avec le peuple, amplifiée grâce à la diffusion telé et internet», explique son porte-parole Alexis Corbière, dont le candidat frôle les 30 000 connexions en direct sur Facebook. «Derrière leur télé, les gens veulent en être, faire partie de l'aventure. Ils se disent qu'ils doivent suivre ce mouvement. Cela conforte dans l'idée qu'on peut gagner», abonde un proche de Fillon.
Et dans les salles, si les candidats parlent essentiellement à leurs fidèles, ce n'est pas non plus inutile. Il s'agit de regonfler le moral des troupes, de fournir des arguments et de maintenir l'ardeur du noyau dur, celui qui colle les affiches, tracte, porte la bonne parole. «Le meeting génère une capillarité militante, chacun, les jours suivants, s'adressant à des dizaines de personnes», assure Bruno Retailleau, coordinateur de campagne Fillon. De son côté, Mélenchon conclut toujours ses discours ainsi : «J'ai fait ma part du travail, à vous de faire la vôtre, soyez les têtes dures lors de vos repas du dimanche.»
Les salles pleines : un baromètre ?
C'est l'argument massue avancé par tout candidat en retard dans les sondages : «Oui, mais il y a du monde dans nos meetings !» Comme si l'affluence et l'ambiance étaient un indicateur plus fiable que les enquêtes d'opinion. Nicolas Sarkozy, pourtant, a joué à guichets fermés tous les soirs lors de la campagne de la primaire de la droite…
Que les principaux partis, qui ont les moyens et la logistique, réussissent à rameuter leur public n’a rien d’un exploit. Les fédérations affrètent des bus et battent le rappel sur les réseaux sociaux. Le tabac de Macron, qui a réuni 15 000 personnes début décembre à Paris, a à l’inverse marqué le début d’une dynamique. La foule venue soutenir Fillon, place du Trocadéro, a permis le maintien de sa candidature fragilisée par les affaires. Par contre, l’effet du meeting réussi de Hamon à Bercy mi-mars a été balayé par un premier débat loupé. Tous le disent : si une salle pleine ne signifie pas forcément grand-chose, des gradins vides sont toujours mauvais signe.
Quid du candidat ?
Il est des ovations qui électrisent, comme en témoigne l'extase d'un Macron bras en croix en fin de meeting. Mélenchon, en descendant de tribune, pose toujours les mêmes questions, selon Corbière : «"Alors, ils étaient comment les gens ?" Il veut qu'on décrive leurs têtes, ça lui fait du bien de savoir qu'ils étaient heureux.» Mais gare à ne pas confondre le pays avec le public conquis. «Cela peut vite devenir un enfermement quand la campagne ne se nourrit que de l'ardeur du vase clos des meetings et vous coupe du reste, met en garde Henri Guaino. Le danger, c'est qu'au lieu de faire venir le public à vous, ce soit vous qui alliez à eux.» D'où cette définition que l'ex-plume de Sarkozy donne d'un meeting réussi : «Le silence, le partage, arrêter de faire hurler. Faire descendre la température au lieu de la faire monter.»