Dans les habitudes socialistes, le meeting de Toulouse était, tradition oblige, réservé à la fin de la campagne, dans l’entre-deux-tours. Mais très tôt dans cette présidentielle, l’équipe de Benoît Hamon avait prévu de venir en Haute-Garonne, sur les terres de Jaurès, avant le 23 avril. Bien leur en a pris : car même si le candidat PS dit pouvoir être en capacité d’atteindre le second tour malgré des sondages toujours sous les 10% d’intentions de votes, vu le contexte défavorable, Hamon n’aurait pas vu la ville rose s’il n’était pas venu ce mardi soir au Zénith, devant 6 000 personnes selon l’équipe socialiste, prononcer son avant-dernier discours à la veille d’un grand rassemblement place de la République à Paris.
Hamon connaît ses classiques socialistes : «Toulouse c'est l'endroit où un candidat socialiste vient à un moment, si possible à la fin de sa campagne, chercher l'ultime énergie», dit-il en introduction de son discours. Mais il promet quand même d'«aller la chercher cette victoire», et d'être «au second tour». Avec Zebda en bande-son, sont présentes des figures écologistes, comme l'ex-ministre Cécile Duflot et le candidat retiré en faveur de Hamon, Yannick Jadot, ainsi qu'une quantité imposante d'élus socialistes, dont plusieurs avaient soutenu Manuel Valls à la primaire, comme la présidente de la région Occitanie, Carole Delga. «Benoît […] il ne se fait pas offrir ses costumes», a lancé celle qui a succédé à Hamon à la Consommation en 2014 avant de mettre en garde contre le vote Macron : «On ne gouverne pas sur du vide.»
«OPA sur l’Elysée» de Macron
Après avoir salué ceux qui ont participé au gouvernement avec lui (Duflot, Arif, Delga, Martin…) le candidat socialiste commence par régler ses comptes avec les socialistes qui l'ont lâché en pleine campagne : «Etre fidèle à nos valeurs, être fidèle à nos grands anciens, à Jaurès […] ce n'est pas juste être assidu aux commémorations», balance le député des Yvelines revenu en mode stand-up, laissant son pupitre à sa gauche. Reprenant, comme Jean-Luc Mélenchon dimanche à Toulouse, le thème de la «liberté» en fil rouge de son discours, il attaque d'emblée Emmanuel Macron. Il y va fort : «Ce n'est pas une campagne électorale que mène Emmanuel Macron, c'est une OPA sur l'Elysée […] avec les méthodes d'une entreprise […] c'est très loin d'un projet politique.» Dénonçant son programme économique et ses positions internationales, Hamon pointe un candidat En marche présentant «autant de propositions qu'il a d'interlocuteurs». «Cette OPA n'a rien d'amicale, prévient-il. Ça donne raison à Marine Le Pen qui dit "UMPS".»
Vient le tour de Jean-Luc Mélenchon et sa tournée en Ile-de-France «sur une péniche». Hamon rappelle que lui a visité «huit quartiers populaires cette semaine». «Le rapport avec les Français ne se fait pas sur le registre tribunicien qui consiste à aller chercher l'acclamation des foules», dit-il avant d'accuser le candidat de la France Insoumise, avec ses grands meetings et ses innovations tels les hologrammes de ce mardi soir, d'avoir voulu «se mettre à l'abri». «Ceux qui n'aiment que les meetings sont ceux qui refusent les débats démocratiques, tacle-t-il, en rappel au refus de Mélenchon de débattre à nouveau à 11 candidats jeudi soir sur France 2. «Ma VIe République elle aime le débat partout», ironise Hamon après avoir critiqué les positions prorusses de son ex-camarade du PS.
«Il y a quelque chose qui ne marche pas dans ton projet Jean-Luc»
Fini – pour quelques minutes – la critique des autres candidats, place à sa vision de la liberté en s'adressant «à la jeunesse», comme un prélude à son discours de mercredi place de la République à Paris. «Jaurès vous aurait dit d'être libres, lance Hamon. Votez pour vous dans cette élection. Et pour rien d'autre. Et certainement pas pour ce qu'on vous dit.» Nouvelle explication de son revenu universel, un passage sur la culture, parce qu'il «n'y a pas de grand projet de gauche sans grand projet culturel», avant d'enquiller sur la question écologique. Hamon rappelle sa proposition de nomination d'un vice-Premier ministre écologiste et revient à Mélenchon : «Il y a quelque chose qui ne marche pas dans ton projet Jean-Luc […] Vas-tu me dire comment [tu lutteras contre le réchauffement climatique], si tu te préoccupes d'abord de sortir de l'euro ou de l'Europe ?», lance Hamon. Le socialiste boucle un discours d'une heure et demie en invoquant Sisyphe et son rocher «Oui, nous sommes là au milieu de la montagne et oui c'est dur de le porter […] Je vous demande d'appeler les Français à porter ce rocher avec le sourire. Sisyphe heureux tel que la France doit l'être.»
Pour Hamon, Toulouse marquait aussi la fin d'une tournée de cinq jours, partie de Rennes vendredi pour arriver dans le Sud-Ouest via les Pays-de-la-Loire et la Nouvelle Aquitaine. Hamon a passé du temps dans les quartiers populaires et s'est offert, comme ce mardi après-midi aux Izards à Toulouse, des dialogues directs avec les habitants : revenu universel, lutte contre les trafics, contre les paradis fiscaux, contre les discriminations… Le candidat socialiste et son entourage étaient visiblement satisfaits de pouvoir faire campagne, même avec très peu de médias autour d'eux, sans le feuilleton des ralliements socialistes vers Macron qui a pollué leur campagne. Avec un regret qui affleure chez eux : cette séquence d'un candidat qui «ose aller au contact des Français», comme le vante son équipe, est arrivée bien tard. Trop tard.