La question était entendue : François Fillon était réconcilié avec les maires. Lui qui était passé pour un ogre de rigueur en voulant imposer 20 milliards d'économies aux communes, départements et régions, avait semblé faire son mea culpa lors du congrès de l'Association des maires de France (AMF), le 22 mars. «L'objectif que je propose, c'est, pour l'ensemble des collectivités, une baisse de dotation de l'ordre de 1,5 milliard d'euros par an, ce qui fait 7,5 milliards sur les cinq ans», avait-il affirmé, avant que les médias ne reprennent en chœur, comme le Monde : «Fillon réduit fortement son plan d'économies pour les collectivités.»
Sauf que non. Trois jours avant le premier tour, Fillon compte toujours sur 20 milliards d'efforts de la part des échelons locaux, expliquent deux de ses conseillers. Retour sur un enfumage soigneusement entretenu.
20% de 100 milliards
Des 100 milliards d'euros d'économies prévues, Fillon répète depuis des mois que les collectivités locales devront assumer une part – autour de 20%, donc autour de 20 milliards d'euros, même si les choses, d'emblée, n'ont pas été très claires : que ce soit sur la question du montant ou de la nature des économies (baisses des dotations de l'Etat aux collectivités, baisse des dépenses de celles-ci ou mélange des deux). Depuis début 2016, plusieurs estimations ont ainsi été évoquées. Au printemps 2016, François Fillon affirme lors d'un discours repéré par les journalistes de la Gazette des communes, qu'il fallait «faire baisser la dotation aux collectivités de 20 milliards d'euros pour encourager la diminution du nombre d'agents territoriaux». En septembre, il dévoile les grandes lignes de son chiffrage aux Echos et fixe à 20% des 100 milliards d'économies la part de l'effort attendu des collectivités, sans en préciser la nature. Le 13 mars, Fillon donne encore un autre montant et semble se mélanger les pinceaux entre recettes et dépenses en évoquant «un effort de 10 à 15 milliards d'euros […] de réduction de la progression de recettes [sic ; le candidat veut en fait réduire la progression des dépenses, ndlr]». Si les contours du projet ne sont pas très clairs, il inquiète au plus haut point les collectivités locales.
C'est la raison pour laquelle le candidat donne un signe d'inflexion. Le 22 mars, lors du grand oral des candidats devant l'AMF, le discours de François Fillon a les traits d'un mea culpa. «J'ai tiré les leçons d'abord des erreurs que moi-même j'ai commises, qui de mon point de vue ont été aggravées par le quinquennat actuel, regrette-t-il. […] L'objectif que je propose c'est, pour l'ensemble des collectivités, une baisse de dotation de l'ordre de 1,5 milliard d'euros par an, ce qui fait 7,5 milliards sur les cinq ans.» Et les médias, à l'image du Monde cité plus haut, reprennent cet apparent rétropédalage : «Fillon rabote son plan d'économies de plus de 12 milliards», juge l'Express ; «Fillon renonce à réduire de 20 milliards les dépenses locales», affirme Capital.
Les 7,5 milliards, un bâton
Depuis, on en est resté à cette version d'un Fillon père la rigueur qui a mis de l'eau dans son cocktail très salé. Il n'en est rien. Contactés par Désintox, Gilles Carrez, député du Val-de-Marne et membre du pôle projet de la campagne, et Serge Grouard, député du Loiret et conseiller économique du candidat, confirment à Libération que l'objectif de 20 milliards, censément abandonné, est toujours d'actualité. Gilles Carrez confirme – et reprend même à la hausse – le chiffrage publié avant le discours devant l'AMF. «On a écrit 10 à 15 milliards dans le chiffrage car il y a eu des variations mais si on reste sur 100 milliards d'économies, ce sera entre 15 et 20 pour les collectivités.»
Serge Grouard affirme ainsi que les 7,5 milliards de baisse de dotations évoqués par François Fillon devant l'AMF et repris par les médias n'ont pas lieu d'être comparés aux 20 milliards de baisses des dépenses, comme cela a été compris. Il s'agit d'«une incitation. Si les collectivités territoriales font l'effort de limiter la progression de leurs dépenses de fonctionnement de 4 milliards par an [soit 20 milliards en cinq ans], on n'aura pas besoin d'utiliser ce bâton de la baisse des dotations». Gilles Carrez, un peu plus pessimiste, la joue bad cop et précise : «Pour ma part, je préconise d'appliquer de toute façon le 1,5 milliard de baisse au moins pour les budgets 2018 et 2019, afin de maintenir la pression. Si on s'aperçoit alors que les dépenses sont contenues, on n'aura pas besoin d'aller jusqu'à 7,5 milliards.»
En clair, rien n'a donc changé le jour de l'audition de François Fillon par l'AMF. «C'était juste une explication, de la pédagogie, reprend Carrez avant de pester au sujet des titres choisis par les médias cités ci-dessus. Les médias racontent n'importe quoi sur ces sujets financiers, ils n'y comprennent rien.» Sans épargner totalement non plus le candidat : «Si vous voulez me faire dire que François Fillon [devant l'AMF, ndlr] ne s'est pas exprimé assez clairement, c'est peut-être le cas.»