Il aura donc fallu un attentat déjoué et une attaque terroriste tragique sur les Champs-Elysées pour que l’antiterrorisme revienne au centre de l’actualité et fasse l’objet d’une récupération politique odieuse et inédite tant par son contexte que par sa visibilité. Jusqu’alors rien, ou presque. Bien sûr, les candidats de droite et d’extrême droite accordaient une place importante à l’antiterrorisme dans leur programme et il y avait, pour les candidats de gauche, des injonctions journalistiques à se positionner publiquement sur les thématiques sécuritaires. Comme s’il fallait, pour apparaître «sérieux» et «crédible», obligatoirement proposer quelque chose de plus à ce qui existe déjà. Ils n’ont d’ailleurs pas cédé et ont repolitisé la question du terrorisme, à l’instar de Philippe Poutou évoquant les ventes d’armes, l’oppression des peuples et la guerre en Syrie. Mais de manière générale, dans les interventions publiques tout comme dans les débats, peu de place au final était accordée à ce qui était pourtant annoncé comme l’un des grands thèmes de la campagne.
Antiennes
Cet assourdissement très relatif, qui a créé une sorte d’espace de respiration et laissé la place à d’autres thématiques de campagne, avait de quoi étonner. Et l’on s’en étonne peut-être même davantage aujourd’hui, une fois le concert de la surenchère repris. Il n’a certes pas duré longtemps et paraît déjà loin, tant sont désormais évoqués les vieilles antiennes de l’extrême droite sur l’expulsion des étrangers condamnés, l’internement des fichés S, la restauration des frontières ou encore la déchéance de nationalité que proposent à nouveau François Fillon et Marine Le Pen. Mais l’affaiblissement temporaire du débat sur la lutte antiterroriste dit beaucoup, et sur la gestion des attentats par les politiques, et sur l’antiterrorisme actuel.
Sur ce dernier point, répétons-le. Avec la vingtaine de lois antiterroristes votées depuis le milieu des années 80, le renforcement continu des prérogatives données à l’administration, à la police et aux services de renseignements, les dispositions de l’état d’urgence passées dans le droit commun et la militarisation sans cesse accrue du maintien de l’ordre, l’appareil antiterroriste français est le plus complet d’Europe. Que proposer, alors, de plus pour se démarquer et marquer l’opinion ? Des mesures irréalisables ? Inconstitutionnelles ? Farfelues ? Cela est par exemple le cas avec Nicolas Dupont-Aignan. Celui qui envisageait déjà la réouverture du bagne de Cayenne pour enfermer les terroristes propose aujourd’hui de construire une prison près de l’Antarctique. On pourrait en rire si ce n’était pas inscrit dans un programme présidentiel. Car il ne faut jamais minimiser «l’imaginaire de la répression», c’est-à-dire la capacité des politiques à inventer de nouveaux dispositifs répressifs ou en réactualiser certains issus des passés les plus répressifs - Vichy, la guerre d’Algérie - dans lesquels ces derniers puisent leurs «idées» en matière d’antiterrorisme (les camps d’internement, l’état d’urgence, etc.).
Opportunité
On aurait pu penser que la séquence relative à la déchéance de nationalité, qui avait suscité des dénonciations croisées et de grands débats, aurait délégitimé durablement les propositions de ce type, perçues comme arbitraires, discriminatoires et critiquées pour leurs dérives certaines. Des candidats ont d’ailleurs sans doute, jusqu’à ces derniers jours, modulé leur discours pour ne pas faire de déclarations qui soulèveraient l’opposition de tous les défenseurs des libertés publiques et des garanties fondamentales. Mais l’attentat du 20 avril est transformé en opportunité par la droite et l’extrême droite. Il ne fait d’ailleurs pas seulement l’objet d’une récupération politique. Il donne à voir une précipitation indécente à s’en saisir et une surenchère dans les propositions les plus démagogiques. C’est dire que certains prétendants à l’élection y voient un «coup» à jouer dans la compétition politique et ne savent pas répondre à de tels événements autrement que par la volonté de répression. La question n’est donc pas, aujourd’hui, de savoir si le retour de la lutte antiterroriste dans le débat présidentiel va profiter à tel ou tel candidat. Mais quand les politiques vont-ils cesser d’utiliser électoralement le terrorisme ? Et quand vont-ils cesser d’essayer de se démarquer par des propositions plus dangereuses les unes que les autres et qui affaibliraient encore un peu plus ce qu’il reste de l’Etat de droit ?