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Libération
Reportage

«Ce n’est pas comme si c’était le premier attentat…»

Du centre de Lyon à la périphérie lilloise, «Libération» est allé demander aux Français si l’attaque de jeudi peserait dans leur vote dimanche.
A Paris, le 13 avril. (Photo Cyril Zannettacci)
publié le 21 avril 2017 à 19h46

L’attaque perpétrée sur les Champs-Elysées aura-t-elle un impact sur le scrutin ? Difficile à dire. Mais le dernier épisode du genre - les tueries opérées par Mohamed Merah à Toulouse et Montauban, un mois avant le premier tour en 2012 - n’avait pas bouleversé les intentions de vote. Reportage à Lyon, Lille et Paris, à la rencontre des électeurs.

A Lyon

Dans la presqu’île de la capitale des Gaules, les clients, vendredi, n’ont pas déserté les magasins. Près des boutiques de la rue de la République, une des grandes artères commerciales de la ville, la plupart des badauds interrogés affirment ne pas se laisser guider par leurs émotions. Les indécis, qui favoriseront Fillon au détriment de Macron après l’attentat, semblent peu nombreux. Et disent miser sur l’expérience et la stature de l’ex-Premier ministre, faisant fi de sa mise en examen.

«A la veille du scrutin, ça pose des questions, c'est sûr», confie Marine, 22 ans, emmitouflée dans une doudoune rose pâle. Cette étudiante en finance à l'université Lyon-II ne sait toujours pas sur quel pied danser : «Fillon, son axe majeur, c'est la sécurité et l'emploi. Il est plus carré sur ces questions. Mais j'hésite encore avec Macron.» Tout en insistant sur les atouts du candidat LR, «vu ce qu'il se passe». Et d'ajouter : «Les mesures mises en place pour la sécurité ne sont pas dissuasives. Dans la rue, le métro, les magasins, ce n'est pas visible en tout cas. Il n'y a rien pour notre sécurité.» Un de ses amis tranche : pour lui, ce sera Fillon. «Macron a voulu se positionner comme un président lorsqu'il a réagi après l'attentat sur France 2, mais c'était un rôle. Fillon incarne plus la sécurité», juge Nicolas, 24 ans, en master banque et finance.

Même sentiment pour Hadji Soilihi, vigile dans une enseigne à bas prix, non loin des bureaux du maire, Gérard Collomb, engagé auprès du candidat d'En Marche. «J'hésitais avec Macron, qui est jeune. Mais il va craquer avec tout ce qu'il se passe. Je vais voter Fillon. Il sera plus capable de changer les choses, surtout s'il a le soutien de Sarkozy», explique l'homme de 29 ans en réajustant son oreillette. Le risque terroriste, il y pense régulièrement au travail. «Dans cette zone, o ù il y a du monde, ça peut attirer. Même si on a parfois peur pour rien.»

Plus loin, dans un centre commercial du quartier de La Confluence, un autre agent de sécurité contrôle les clients. Lui ne changera pas d'avis : «J'aimais bien Fillon mais avec toutes ses casseroles, j'ai des réserves. Je compte sur Macron pour adapter son programme sur la sécurité. Je reste sur 70 % Macron et 30 % Fillon.» De l'autre côté de la route se dresse l'hôtel de région, présidé par Laurent Wauquiez, soutien zélé de Fillon. «Je suis de droite, mais je suis très perdue, affiche d'emblée une salariée de la région qui tient à son anonymat. C'est une vilaine campagne. Hors de question de s'abstenir ou d'aller vers les extrêmes. Je vais sûrement aller vers Macron ou un petit candidat.»

Près de Lille

Sur le parking d'un supermarché de Marcq-en-Barœul, personne ne se dit influencé par l'attentat de la veille. Un couple avoue même qu'il ne sait rien de l'attaque des Champs-Elysées. Du haut de ses 86 ans, Gérard, ex-cadre chez Total, dit qu'il votera Macron. Il se penche et baisse la voix : «Les autres, c'est des vieux chevaux de retour…» Macron, pas assez expérimenté pour gouverner face aux attentats ? Gérard hausse les épaules. «La France n'est pas une dictature, il ne sera pas seul. Il saura s'entourer de gens compétents.»

Ancien métallo, un autre Gérard vote Mélenchon. Les attentats n'y changent rien. «On ne peut pas mettre un flic derrière tout le monde.» Trois peintres en bâtiment déjeunent assis à l'avant de leur camionnette : Dominique, 55 ans, pense voter «Marine au premier tour» et au second «Mélenchon». Pourquoi ? «Pour les retraites.» Les deux candidats promettent le retour du départ à 60 ans. Les trois ouvriers ont bien entendu parler de l'attaque parisienne de jeudi, et aucun n'est surpris. «Mais on ne devrait pas s'habituer, dit Edmond, 50 ans. C'est pas logique, on est en France.» Attentat ou pas, il hésite toujours entre Le Pen et «le petit candidat qui veut sortir de l'Europe, le vieux…» Comprendre Asselineau. Il vote FN depuis plusieurs années déjà, «parce qu'il y a trop de monde en France. Ceux qui sont là, ils peuvent rester, mais il faut arrêter de faire entrer des gens». Un peu plus loin, Anthony et Fred, également ouvriers du bâtiment, disent qu'ils ne votent jamais, que «ça sert à rien». Anthony : «C'est pas le premier attentat. Il y a eu Toulouse, Paris, Nice… ils y arrivent toujours.» A quelques centaines de mètres de là, près des quartiers chics, on vote Fillon. Et on n'est pas près de changer d'avis. Michèle, retraitée qui fut assistante de son mari chirurgien, reste sur Fillon mais pense plutôt «comme Marine Le Pen» à propos des attentats. «Quand quelqu'un a fait quelque chose de mal, il faut l'expulser.» L'auteur de l'attaque était citoyen français. «Je ne pensais pas que des Français pourraient faire ça.» Au second tour, elle devrait voter Macron : «Le Pen, je ne suis pas d'accord avec ses idées.»

A Paris

Sur un banc du parc Monceau, dans le VIIIe arrondissement, Sylvie et Claude sont en train de lire. L'attentat de jeudi a eu lieu à un kilomètre de là. L'acte d'un «loup solitaire», selon Sylvie. Pas de quoi remettre en cause son vote. Comme Claude, assise à côté d'elle, cette prof de lettres classiques à Besançon en vacances à Paris votera Macron. «Je vais être horrible, prévient Sylvie, mais s'il y avait eu un massacre, avec cinq ou six assaillants, ou un camion fou qui avait fait 80 morts à trois jours de l'élection… oui, il y aurait eu un impact sur le résultat. Là, c'est UN policier.» Claude, documentaliste, ajoute : «Tout ce qui était à dire sur la sécurité avait déjà été dit par les candidats, ça ne change rien.» «Le terrorisme était déjà une donnée de notre société, relativise aussi une jeune femme, un peu plus loin. Ce n'est pas comme si c'était la première fois et qu'on se disait "oh my God !"» Eugénie, 35 ans, n'est pas du même avis : «A cause de l'attentat, ceux qui hésitent entre Marine et quelqu'un d'autre vont peut-être basculer pour elle. Et les gens qui l'avaient déjà choisie avant, ça les conforte.»

C'est le cas de cette musicienne, visiblement inquiète : «Il faut faire quelque chose, c'était carrément à deux pas d'ici ! Regardez le beau temps, le monde… S'il y a des gens avec des kalach qui débarquent, comment on fait ?» Le terrorisme a aussi été l'une des préoccupations d'Odile au moment de choisir pour qui elle allait voter. Croisée dans le quartier, cette avocate raconte avec pudeur comment, à Nice le 14 juillet, elle a «été obligée de courir, de trouver un refuge, au moment où le camion fonçait sur la foule. Les candidats qui n'ont pas abordé le sujet du terrorisme islamique pendant la campagne étaient hors course pour moi. Et outre Le Pen, qui en parle d'un point de vue raciste qui ne m'intéresse pas, Fillon est le seul à l'avoir vraiment évoqué.» Parce que leurs programmes sont les plus «axés sur la sécurité», pense Antoine, 23 ans, le candidat LR et sa concurrente FN pourraient avoir gagné quelques électeurs avec l'attentat. Mais «pas de façon significative». Et «peut-être plus en province qu'ici», suppose un autre Parisien.