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Libération
Récit

Benoît Hamon a décollé pour mieux se crasher

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Malgré sa large victoire à la primaire, le candidat PS a vu son électorat s’effriter au fil de la campagne, faute d’avoir su rallier les vallsistes et détourner les voix de Mélenchon.
Hamon en visite dans une exploitation agricole de Feugarolles (Lot-et-Garonne), le 17 avril. (Photo Ulrich Lebeuf. Myop)
publié le 23 avril 2017 à 20h56

C'est l'histoire d'une sirène d'alarme visuelle, la première que veut bien entendre Benoît Hamon après six semaines de campagne. Vendredi 10 mars, le candidat du «futur désirable» débarque au Havre. Aux Docks Océane, 2 500 chaises ont été installées. A peine 1 000 sont occupées. Prévenu à la dernière minute, l'ex-ministre de l'Education pique une énorme colère en coulisse. Contre son équipe, contre ces socialistes qui partent chez Macron, contre cette campagne qui lui échappe : «Moi, je fais tout pour que ça marche, et vous, vous faites tout péter.»

Avant Le Havre, il y a pourtant eu cette victoire aussi franche qu'inattendue contre Manuel Valls. Pour la primaire, le député des Yvelines s'est reposé sur un cercle d'amis politiques. Le combat entre deux lignes socialistes, ils savent faire à chaque congrès PS. Mais là, le saut dans le grand bain présidentiel est vertigineux. Rien n'est prêt pour partir à l'assaut de l'Elysée. «C'est une petite bande sympa, mais il faut du lourd pour une présidentielle, analyse début avril le patron du PS, Jean-Christophe Cambadélis. Ils connaissent très bien la gauche militante, mais pas du tout la gauche électorale.» Tout l'inverse de François Hollande en 2012, qui avait conquis la seconde pour mieux, ensuite, enfermer la première dans le vote utile face à Nicolas Sarkozy.

La logistique flotte mais la stratégie est coulée dans l'airain : accord avec les écologistes contre un retrait de leur candidat - une première depuis 1969 - et, côté gauche radicale, siphonnage des voix de Mélenchon. Sur le fond, virage idéologique : VIe République, revenu universel d'existence, «taxe robots», sortie du nucléaire, lutte contre les perturbateurs endocriniens qui donne des boutons aux éléphants PS alors qu'elle parle aux parents. «Benoît a l'image du frondeur apparatchik, personne ne veut voir qu'il a changé», s'attriste la ministre Najat Vallaud-Belkacem. Face à la gauche identitaire et sécuritaire, celui qui s'honore d'avoir été rebaptisé «Bilal Hamon» par la fachosphère se proclame «candidat de la République métissée». «J'ai remis la gauche sur son axe historique», se félicitera le socialiste quatre jours avant le premier tour, avec l'idée d'en être demain «l'architecte».

Pour capitaliser sur sa percée - il culmine à 18 % dans les intentions de votes la semaine de son investiture -, Hamon est partisan d'une rencontre avec Mélenchon dès le lendemain de sa victoire. Son équipe l'en dissuade, persuadée d'être en position de force. Vieux réflexe hégémonique socialiste. «C'était une erreur, on aurait dû suivre l'intuition du candidat», se souvient Ali Rabeh, chef de cabinet de Hamon. Le feuilleton des négociations avec les écolos et des rendez-vous ajournés avec Mélenchon va plomber son mois de février. «La politique, ce n'est peut-être pas la guerre, mais pourquoi décider d'un pacte de non-agression avec Mélenchon quand il est faible et l'attaquer quand il est fort ?» s'interroge encore Christophe Borgel, le «monsieur élections» du PS. Taper, très fort, sur Emmanuel Macron, «candidat des lobbys et de l'argent», n'est pas non plus du goût de tout le monde dans l'équipe de campagne. Hamon reste ferme. A ses yeux, si on efface le clivage gauche-droite, «il sera remplacé par un clivage entre les bons et les mauvais», une division morale du monde dangereuse selon lui.

«Poison lent». L'affaire Fillon se charge de rendre impossible une campagne sur le fond. Flanqué de l'écologiste Yannick Jadot et soucieux de ne pas endosser le bilan, le candidat frondeur n'adresse aucun vrai signal aux électeurs de Valls. «Il lui passait un seul coup de fil et Manuel était piégé», estime a posteriori le suppléant de l'ex-Premier ministre, Carlos Da Silva. Les téléphones restent longtemps silencieux. Nicolas Hulot, les ministres, les socialistes historiques ? Hamon ne rappelle personne. «Toutes les 48 heures, un ministre part chez Macron. Donc ceux qui restent, quand il les croise dans la rue, faudrait peut-être leur dire bonjour», se plaint la ministre Laurence Rossignol en petit comité. «Il y avait la gauche plurielle, maintenant on a le PS pluriel», ronchonne Stéphane Le Foll. Au vote utile, Hamon oppose «l'utilité du vote» : «pour» plus d'écologie, de justice fiscale ou d'Europe.

Goutte-à-goutte d'acide politique, le «poison lent des défections», comme il dit, fait son œuvre. Il raille ces «oiseaux migrateurs» qui veulent passer cinq ans de plus au chaud chez Macron. Aux Antilles, Hamon croise François Rebsamen et Ségolène Royal. Lui en campagne, eux en vacances. Pour Hamon, si les éléphants rejoignent En marche, c'est que Hollande les y a autorisés. «Qu'est-ce que je peux faire ? s'interroge Hamon devant ses proches. Rien. Ils ont décidé de me pourrir la campagne jusqu'au bout et ils vont y arriver.» Après l'appel de Valls à voter Macron, Hamon explose : la démocratie est «humiliée». «On n'a plus les boulets aux pieds», veut pourtant croire le codirecteur de campagne Jean-Marc Germain. «On doit se réveiller ou le mois d'avril risque d'être très long», balance le candidat en réunion.

Comme un sursaut, le meeting de Bercy du 19 mars est autant réussi sur la forme que sur le fond. Mais le lendemain, Benoît Hamon passe à travers le premier débat télévisé, laissant Jean-Luc Mélenchon attaquer la droite et séduire la gauche. Au lieu de le porter, son credo sur l’intelligence collective le dessert dans une compétition où les électeurs sont à la recherche de leur sauveur républicain tous les cinq ans. Ce débat entérine le croisement des courbes avec Mélenchon.

«Une bonne sieste». Il se produit le lendemain alors que Hamon est à Bruxelles. Le candidat fait mine de ne pas avoir mal : «Je ne suis pas un jeune candidat qui a besoin de papa, de maman, de tonton et de tata.» Mais ce début avril est un chemin de croix. L'ex-ministre parle déjà de sa campagne au passé composé. Alors qu'il réussit son passage chez Ruquier sur France 2, il annonce qu'il voterait Mélenchon au second tour. Même ses proches s'étranglent… Deux jours plus tard, nouvelle erreur : le lendemain du premier tour, il fait quoi ? «Une bonne sieste», laisse-t-il échapper sur RTL. Le mal est fait. «On nous voit comme les écolos : on a le meilleur programme, les gens nous trouvent sympas, mais ils ne votent pas pour nous», réalise l'eurodéputé Guillaume Balas.

Dans la dernière ligne droite, le candidat PS revient à ses fondamentaux : virées en banlieue, pique-nique dans sa circonscription à Trappes - il y a une législative à ne pas perdre dans la foulée. Et, pour finir, road-trip dans cet ouest de la France qui ressemble à une tournée des fêtes de la rose, et dernier discours à Carmaux, sur les terres de Jaurès. Il a déjà la suite - socialiste - en tête. Sur la place de la République à Paris mercredi soir, Hamon prévient : «J'ai tenu bon et je tiendrai bon. Je me battrai dimanche et je me battrai après.» Backstage, sa compagne, Gabrielle Guallar, lève les yeux au ciel et laisse échapper un soupir.