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Edito

Sondages : «Libération» ne brisera pas l'embargo... sauf si

Débat «15 minutes pour convaincre» sur France 2, jeudi 20 avril. (Photo Boris Allin / Hans Lucas pour Libération)
publié le 23 avril 2017 à 11h49

L'affaire est désormais rabâchée : rarement les sondages auront joué un tel rôle dans une présidentielle. Certes, le vote stratège, nouveau nom savant du vote utile, a toujours existé. Mais en 2017, l'œil rivé sur le «rolling» aura plus que jamais fait loucher le bulletin du cœur. Mais il faudrait, en ce jour de vote, pointer un autre problème sondagier. Vous le savez, il est interdit de diffuser des sondages depuis vendredi. L'interdiction court pour tout le territoire français jusqu'à 20 h, à la fermeture du dernier bureau de vote.

Mais les sondages eux, continuent. Les sondeurs affinent, et déjà des chiffres circulent, depuis vendredi soir, sous le manteau, ou plutôt de téléphone en téléphone. On les trouve aussi légalement, sur les sites étrangers, qui ne sont pas soumis aux mêmes interdictions que nous. Et sur Twitter, sous le couvert de jeux de mots plus ou moins potaches, au détour du fameux hashtag #radiolondres par exemple. On rappellera que ce qui n'est pas autorisé pour un média comme Libération ne l'est pas plus pour le twitto lambda, et que l'un et l'autre s'exposent à des poursuites s'ils brisent l'embargo. Poursuites et amendes salées. Bref, les sites belges et suisses connaîtront leur traditionnelle heure de gloire ce week-end, tandis que la presse française, regardera passer les trains, et rongera son frein avec jalousie.

Le résultat de la loi française, lente à s’adapter aux transformations technologiques et à la pénétration de l’Internet dans les foyers français, a introduit une rupture d’égalité entre les citoyens : en interdisant la diffusion mais pas la fabrication des sondages, il y a d’un côté ceux qui ont accès aux ultimes données et peuvent réfléchir à leur stratégie de vote, et ceux qui ne peuvent bénéficier de la même information. Considérer aussi que les électeurs ont le droit au vote stratège depuis plusieurs mois mais pas dans la dernière ligne droite, sous prétexte que cela obérerait l’égalité du scrutin revient quand même prendre les électeurs pour des gogos.

Admettons, cela fait des quinquennats qu'on le répète, manifestement, le privilège de la connaissance sondagière reste. Mais comme chaque élection est l'occasion de découvrir de nouvelles terrae incognitae de la pangée politique et numérique, celle de 2017 ne déroge pas à la règle. Internet a changé la donne une première fois en abolissant les frontières et la vitesse de diffusion des contenus ; puis, une autre fois en démocratisant l'accès à l'information et à la production de contenus, à sa distribution décentralisée. Puis en donnant du poids à la viralité plutôt qu'à la qualité des contenus, ouvrant ainsi les vannes de la manipulation. On sait désormais qu'un petit malin dans sa cuisine, au fin fond de la pampa macédonienne, peut produire des fausses informations – on ne parle pas d'analyses, ou de biais idéologiques, mais de faux. Et que cette information se retrouve répercutée massivement par les réseaux sociaux.

Ainsi, un faux sondage pourrait faire basculer le résultat de l'élection. Imaginons qu'un proche d'un candidat s'amuse à faire circuler dans les rédactions des chiffres fantaisistes, ou faux (toute ressemblance avec des événements réels n'est pas fortuite). Et que leur diffusion massive, via un site de journal étranger, entraîne un biais réel dans les urnes ? L'Etat n'a pas les moyens d'éteindre Internet. Ni ceux d'invalider cette «information». Que faire ? Libération n'a pas l'intention de briser la loi. En revanche, si les faussaires de l'information produisent un faux, et que le poids de ce faux nous semble en mesure d'altérer la sincérité du scrutin, nous ne nous interdirions pas de rétablir la vérité sondagière avant 20 h. Et d'enquêter sur les personnes qui s'amusent à distiller ces fausses informations.