Une séquence qui restera sans doute dans cet entre-deux-tours : l'échange entre Emmanuel Macron et des ouvriers de l'usine Whirlpool d'Amiens promise à la fermeture, quelques heures après que Marine Le Pen est venue rencontrer (et prendre des photos) avec ces mêmes ouvriers. Verbatim de la rencontre.
15h20. Emmanuel Macron débarque sur le parking de l'usine Whirlpool d'Amiens. Les caméras se bousculent, le service d'ordre est sur les dents. Devant le conteneur rouge de l'émission Envoyé spécial, les micros des perchistes de télévision captent la conversation houleuse, entrecoupée de sifflets et de «hou».
Emmanuel Macron : Je ne me défile pas, mon premier geste a été de venir à Amiens...
– Vous êtes allé voir l'intersyndicale, pas nous !
– Vous êtes pour la mondialisation, on y est là !
– Sauvez nos emplois !
E.M.: Venez on se parle. Venez, venez…
– Qu'est ce qu'il y a là ? qu'est ce qu'il y a ?
– Il faut arrêter la mondialisation !
E.M.: Dégagez tous les journalistes. Je ne suis pas sur cette politique. Sortir de la mondialisation ce n'est pas la solution. Regardez Procter & Gamble à côté : 90% de ce que vous faites, de ce qu'ils font va à l'international, si vous fermez les frontières, c'est fini...
– Il faut se protéger, interdire les licenciement s!
E.M.: On ne peut pas interdire les licenciements, il y a des licenciements qui se justifient, d'autres non. La réponse n'est pas la suppression de la mondialisation. Je ne vais pas vous dire qu'on va nationaliser. Je ne suis pas là pour faire des promesses en l'air mais je m'y engage sur le plan social. Il n'y aura pas d'homologation de complaisance si le niveau d'exigence n'y est pas.
– Vous êtes venu parce que Marine est venue…
E.M.: Non, Marine le Pen est venue parce que j'étais là. Je suis toujours venu affronter (sic) les gens
– On est là, j'suis là moi, parle-moi !
Le dialogue s'interrompt, le candidat d'En Marche s'installe avec un groupe de salariés de l'autre côté d'une grille bleue, les caméras ne passent pas.
15h34. Emmanuel Macron tente de reprendre la discussion avec un mégaphone cette fois. Pendant trois minutes, il attend que le dialogue s'organise.
– Respectez les ouvriers !
15h37. Macron reprend la parole
E.M.: Bien sûr qu'il y a de la colère dans le pays, beaucoup d'angoisse, de responsabilités à prendre : c'est pour ça que je suis là. C'est important non pas d'alimenter la peur mais d'expliquer les choses...
– Tu fais quoi pour nous ? Déjà tu viens nous voir que parce que c'est les élections. T'as fait quoi au gouvernement.
E.M.: J'ai eu à gérer le dossier Goodyear comme ministre...
– Ouais, on a vu ce que ça a donné !
E.M.: Pour Whirlpool, je m'engage à ce que le plan social ne soit pas homologué s'il n'est pas à la hauteur.
15h50. Le candidat est désormais muni d’un micro, un petit groupe s’est formé autour de lui. La discussion est plus calme.
E.M.: Je ne vous fais pas de promesses en l'air. Il y a du boulot en France, la clé pour l'emploi des jeunes, c'est la formation des jeunes. La mondialisation, on en a aussi besoin parce qu'on vend dans le reste du monde. Continuer à former les gens, c'est le projet que je porte.
– Mais ça marche pas, arrêtez ça, ça marche pas !
– Arrêtez, ça... Hollande il l'a dit il y a cinq ans, comme Sarkozy d'ailleurs. Les formations faut arrêter, ça débouche sur rien du tout. Fallait pas la dire celle-là, fallait pas la dire! Et puis rigolez pas...
E.M.: Je ne rigole pas.
– Si, vous avez le sourire.
E.M.: Il y a ici un déficit de formation.
– Il l'a dit, putain, il l'a dit.
– Vous travaillez bien avec Hollande non ? Vous avez pris votre part du gâteau, hein. Pourquoi vous avez démissionné ?
E.M.: Parce que j'ai considéré qu'on n'était pas allé assez loin sur beaucoup de choses.
– Je vais te poser une question : Est-ce qu'il va rester un seul abruti qui va risquer de rester en France, quand en Pologne il peut payer les ouvriers 2,8 euros ?
E.M.: Ils ne vont pas pouvoir continuer à payer les gens comme ça. On doit se battre.
Il nous faut un président patriotique !
E.M.: Collectivement vous avez raison.
Sur le Facebook Live du candidat, dont les images sont retransmises par les trois chaînes d’information continue, il y a désormais 7000 personnes branchées.
15h59. François Ruffin, candidat de la France insoumise dans cette circonscription de la Somme, apparaît sur les images, à gauche d'Emmanuel Macron.
E.M.: Du boulot, il y en a.
– Ah, ça embauche chez Trogneux ? On peut faire une chocolaterie ici ?
E.M.: Ne dites pas du mal des chocolateries ! Vous vendez à l'étranger, Procter et Gamble vend à l'étranger, ils n'ont pas délocalisé.
– Cela viendra, ça viendra, vous verrez
– Et après Dunlop va suivre...
E.M.: Je ne suis pas en train de défendre votre direction, je suis en train de vous dire que la solution ne passe pas par la loi.
– M. Macron, c'est vous le business. Vous êtes le business. Vous êtes ces gens-là, les actionnaires...
E.M. : Non, moi ce que je défends, ce sont les entreprises, pas les actionnaires.
– Si, si (ce sont) ses lois qui défendent les actionnaires.
– Vous y étiez pas au gouvernement ?
– Des formations pour quoi faire ? Il n'y a pas de travail.
– Vous voulez qu'on fasse des formations pour faire baisser le chômage…
– En plus on va vous payer une retraite à 44 ans à vous…
E.M.: Moi, je vous dis que les aides ponctuelles, il faut demander leur remboursement. Mais pas le Cice mais les aides ponctuelles.
– Mais avec les aides et le Cice, les mecs ont acheté des lignes de production. Et maintenant ils repartent avec et on fait rien !
– En plus, vous allez avoir une retraite présidentielle…
E.M.: Dans cinq ans !
– Vous aimez l'argent donc.
E.M.: Si j'aimais l'argent, je ne ferais pas ça.
– Ouais, c'est le pot de confiture, il est ouvert.
– Nous on aime pas les politiques, nous, les syndicats on fait ça par conviction.
E.M.: Je ne suis pas venu vous faire de la démagogie, je suis venu parce que c'était mon engagement.
– Alors pourquoi vous n'êtes pas venu avant les élections ?
E.M.: Je vous ai déjà expliqué ça au début : parce que je n'étais pas ministre.
– En 2015, on vous a écrit. Vous êtiez pas ministre peut-être ?
E.M.: Vous avez été reçus par mon cabinet oui. Mais si j'étais venu (cet hiver) je vous aurais foutu le bordel...
– Ben là vous foutez bien le bordel !
– Ecoute si t'as un job pour moi, moi je prends !
– Nous, on est sûrs que vous êtes venu à cause de Marine...
– Y'en a ras le bol de ces conneries. Paie lui un billet Ryanair qu'il rentre chez lui, là !
– On veut un avenir, nous !
– On dirait Hollande, hein ?
– Ouais, c'est du papier collé !
– Ouais, c'est son fils !
E.M.: Non, je ne le suis pas ! Moi, je vois la situation...
– Ah bon ?
– Il serait temps non ?
– Cela fait cinq ans qu'on se bat. La gauche, la droite, le ping pong continue pendant ce temps-là et la misère, elle s'installe.
E.M.: Je ne suis pas la droite, je ne suis pas la gauche justement. Les deux candidats aujourd'hui ne viennent ni du Parti socialiste ni du parti Les Républicains. La grande différence entre Marine Le Pen et moi…
– Elle est plus vieille, c'est ça ?
E.M.: Ne dites pas ça ! Non, la différence c'est que Marine Le Pen est députée européenne, qu'elle n'agit pas. Moi je ne suis pas dans la politique depuis vingt ans.
– Vous êtes là pour avoir une part du gâteau.
E.M.: Non, les leçons de morale ça suffit !
– Réponds s'il-te-plaît, réponds-moi là !
E.M.: On se vouvoie plutôt...
Il y a plus de 13000 personnes branchées sur le Facebook Live de Macron.
– Allez avouez qu'il était mauvais, Hollande ?
E.M. (silence puis) : Vous croyez pas que cela me prend aux tripes de voir que mes terres ont voté majoritairement pour le FN ? Oui, rien n'est gagné. Non, je ne veux pas me retrouver dans cinq ans comme ça, ici. Je ne suis pas en train de vous faire des promesses en l'air. Je défendrai un plan social à la hauteur de votre intérêt. Je défends les entreprises mais de manière juste. Quand on augmente les dividendes et que derrière on fait ça, je ne suis pas d'accord. J'ai pris mon risque en venant ici, j'ai pris mon risque avec vous pour vous le dire. On va devoir se battre pied à pied, partout. Il y a le plan, je me battrai pour la reprise. Je ferai le maximum, on continuera à se voir, il n'y a pas de recettes miracles, je ne veux pas faire de fausses promesses. Je suis venu devant vous…
– Parce qu'on vous l'a demandé !
E.M.: Si je n'avais pas de respect pour vous, pour vos colères, pour vos angoisse, pour vos colères, je ne serais pas venu. Ce qu'on a à faire ensemble, c'est une montagne (sic). Je reviendrai sans les caméras.
– Après les élections ?
E.M.: Oui, après les élections, si je suis président de la République.
– Alors vous nous serrez la main ? Vous me serrez la main ? On est des ouvriers nous, on a les mains propres, alors que vous avez dit …
E.M.: Si vous parlez des Gad, je me suis excusé...
16h06 François Ruffin chope le micro. «Je salue votre courage» puis tape...
16 000 personnes connectées sur le Facebook Live, les trois chaînes diffusent toujours en même temps.
16h10 Ruffin continue son speech, dans le silence total des ouvriers, sur Bernard Arnault, «mon ami personnel» [Allusion à son film Merci patron]. Ici vous êtes au milieu des vaincus de la mondialisation. Une part de fermeture des frontières, ce n'est pas négatif. Il y a une France qui se porte très bien, c'est le CAC 40. Grâce au Cice, ils ont augmenté leurs marges et leurs dividendes.
16h16. La sono est tombée en rade, Macron continue à voix haute en réponse à Ruffin. Le brouhaha recommence.
EM: Interdire les dividendes, interdire la fermeture des entreprises, tout ça ce n'est pas possible. La liberté d'entreprendre, ça existe, sinon plus personne ne viendrait investir en France. Regardez Amazon, ils sont venus investir en France...
– Ne dites pas qu'ils vont nous employer. On est in-employables.
E.M.: Il y a le plan, il y a la reprise du site, il y a la formation. Non je n'interdirai pas aux entreprises de fermer des sites. Ce que je vais faire, c'est une vraie politique de dénonciation, je vais leur mettre la pression pour que le plan soit à la hauteur. Ce que je peux faire, c'est décider un vrai bras de fer s'ils se comportent mal [...]. Je ne fais pas de promesses en l'air. Vous, vous allez bien continuer à acheter des sèche-linges ?
– Pas des Whirlpool ! On doit se protéger !
E.M.: Ça c'est de la pipe. Le jour où le programme de Marine Le Pen sera en place, ce sera fini pour Procter et Gamble et vous irez pleurer. Et ça, je vous le dis, ce sera sans moi. Ce qui se passe aujourd'hui n'est pas compréhensible par les gens…
– Je t'envoie mon 06, c'est pour un job à 1400 euros.
François Ruffin: Merci d'être venu...
[ François Ruffin interpelle Macron : «Vous payez... ]
par libezap