Pendant la présidentielle, Libération sonde, chaque semaine, cinq lieux de la «France invisible». Le vendredi, une brasserie de campagne à Charancieu, en Isère.
Attablés au Crocus après le premier tour, certains ne doutent pas de leur choix au second, comme Freddy, jeune technicien : «Je vais de nouveau voter Marine. Macron a toutes les banques, toutes les richesses avec lui, rien ne va changer s'il passe. Autour de moi, il y a beaucoup de gens qui ne veulent pas de Macron et qui vont montrer leur mécontentement.» Si le FN passe ? «On verra bien si c'est la merde, il faut essayer. Expulser les étrangers qui déconnent, lutter contre les grandes sociétés, défendre les petites entreprises françaises… Je dis pas que c'est la meilleure solution, mais c'est sûr, faut du changement.»
Plus loin, trois amies échangent. Elles ont voté Emmanuel Macron mais l'une est saisie de doutes : «Je ne sais pas si je vais retourner voter. Je trouve que Macron a été très orgueilleux, très sûr de lui. Est-il capable de gouverner ? Je n'en suis pas convaincue, son attitude m'interpelle…» Ses amies la raisonnent : «L'abstention, c'est le risque de voir passer Le Pen et ses idées irréalisables, le retour au franc, la fermeture des frontières, comment peut-on imaginer ça aujourd'hui ?»
L'hésitante se défend : «Si je vais voter, ce sera pas pour Le Pen… mais je ne sais pas si j'irai.» Silence.
Troisième tablée : Sandrine a voté Mélenchon. Elle se dit «désespérée», mais sait déjà qu'elle votera Macron «pour faire barrage». Sans état d'âme mais avec la certitude que «rien ne va changer». Aurélien aussi votera pour le candidat d'En marche, sans passion car il n'est pas d'accord avec toutes ses idées et craint qu'il n'ait «pas le pouvoir de faire mieux que Hollande… et Sarkozy avant lui», mais avec la satisfaction de savoir qu'on sort du bipartisme : «C'est très positif.»
Christelle les écoute et se lance : «Je suis dans le flou le plus total. Je n'exclus aucune hypothèse : abstention, Macron ou Le Pen. J'en ai ras le bol des gros partis, je suis ouverte sur le changement… mais il y a beaucoup d'utopie des deux côtés.» Là encore, silence autour de la table.