Peur d'un effet domino après le choc du Brexit et le trauma Trump ? Politique spectacle hystérisante sur fond de rêve de recomposition ou d'une peur de décomposition ? L'élection présidentielle française a aimanté les regards extérieurs. Il y avait ainsi, le soir du premier tour, plus de journalistes étrangers que français pour suivre Macron au Parc des expositions. Par sa furie et sa dramaturgie, la cinquième puissance mondiale a intrigué et inquiété hors de ses frontières bien plus que lors des précédents scrutins rois. Libération a opté pour un «vu d'ailleurs» pour mieux tenter de cerner ce qui se joue ici. A travers un principe : onze pays, un lieu, des citoyens.
Etats-Unis
«La France doit arrêter cette vague populiste»
Mercredi soir, la bibliothèque de New York organisait une discussion sur le thème de la dystopie et de l'apocalypse, avec la participation (par visioconférence) d'Edward Snowden, le lanceur d'alerte de la NSA exilé en Russie. Dans la file d'attente, sur le trottoir de la 42e rue, Ira dit suivre avec anxiété l'élection française. «Pendant longtemps, on a vécu dans l'utopie d'une mondialisation bénéfique à tous. Les inégalités ont brisé ce mythe et certains, en réponse, se tournent vers les extrêmes. J'ai très peur que la France choisisse à son tour de se replier dans sa coquille nationaliste», confie ce vidéaste de 33 ans. Etudiant en droit, Kenneth estime que «la France doit arrêter cette vague populiste qui semble sortie d'un roman de science-fiction». Tentation du repli nationaliste, mythe du leader providentiel, manipulation de l'information : pour lui, les ingrédients des œuvres dystopiques majeures (dont 1984) se retrouvent aujourd'hui dans l'actualité. Notamment aux Etats-Unis où, déplore-t-il, «il y a déjà une forme d'acceptation, de normalisation de la présidence Trump qui [l']'inquiète profondément». Au cours des discussions, il n'a pas été spécifiquement question de la présidentielle en France. Mais l'écrivain canadien Cory Doctorow, qui conversait avec Snowden, a évoqué plus largement le contexte politique actuel : «Certains obtiennent une crédibilité qu'ils ne méritent pas. Le futur est toujours plus bizarre qu'on l'imagine.»
Royaume-Uni
«L’Europe sans la France, ce n’est pas l’Europe»
A l'Almeida, petit théâtre avant-gardiste, dans le quartier gentrifié d'Islington, dans le nord de Londres, le public, venu voir mercredi soir The Treatment, de Martin Crimp sur une mise en scène de Lyndsey Turner, est à l'image du quartier. Branché, arty et plutôt raffiné. Les hipsters côtoient avec bonheur les City boys et les artistes. «Comment ? Vous ratez le débat ?» interpelle Juan Corbella, 54 ans. Cet Espagnol et Autrichien travaille dans une banque d'investissement et suit avec attention l'élection française. Il est catégorique, si Emmanuel Macron est élu, «ce sera le signe que 2017 marque un nouveau printemps, le retour de l'espoir, après le résultat aux Pays-Bas». Pour lui, comme pour beaucoup de Londoniens, souvent des expatriés européens, le cœur du débat, c'est l'Europe. «L'Europe sans la France, ce n'est pas l'Europe. Et tout le continent réclame depuis des années un (ou une) dirigeant(e) jeune, charismatique, porteur d'espoir et, jusqu'à présent, aucun des pays de l'UE n'a réussi à en sortir un de son chapeau.»
A l'entracte, autour d'un verre de prosecco, Howard Pfarde, avocat d'affaires de 57 ans, s'immisce dans le débat. Américain, détenteur aussi d'un passeport britannique, il vit depuis vingt ans à Londres. Et il est grave. «Ce qui se passe en France est presque plus effrayant qu'aux Etats-Unis. Donald Trump est tellement outrancier, incompétent, que d'une certaine manière, on intègre le fait que c'est un animateur, un amuseur public, explique-t-il. Au moins, on sait que dans quatre ans, on a la possibilité de le virer.» Avant de prévenir : «Avec le Brexit et avec l'éventualité d'une victoire de Le Pen et d'un Frexit, on entre dans une autre dimension, on s'engage dans quelque chose dont on ne voit pas le fond ou la fin.»
Espagne
«Homme des banques» et«boule de haine»
«Mais comment est-il possible que vous en soyez arrivés à avoir comme finaliste une néofasciste ? Chez vous, le pays de la liberté, de l'égalité et de la fraternité ?» 38 ans, informaticien et amoureux des parcs, Guillermo est interloqué. Abasourdi, même. Autour de lui, trois amis, eux aussi de gauche, abondent dans le même sens. Deux soirées par semaine, ils se retrouvent ici, au Pepe Botella, un café-bar francophile de la place Dos de Mayo, dans le très bobo quartier de Malasaña. «Pepe Botella», littéralement «Joseph de la Bouteille», une allusion au supposé goût pour l'alcool de Joseph Bonaparte, lorsqu'il était installé à Madrid. «Le Pen, la fille du père, ce type raciste et vomitif qui paraît sorti tout droit de l'OAS de Massu et Salan ?» renchérit Alfonso, professeur d'histoire dans le secondaire.
Idéologiquement, ce petit groupe aurait allègrement voté Mélenchon, proche du secrétaire général de Podemos Pablo Iglesias, «une vraie rénovation de la gauche» ; un groupe qui ne porte pas dans son cœur Macron (les quatre amis disent «Macarron»), «l'homme de l'establishment et des banques». Mais, pour eux, il n'y a pas d'équidistance. Certes, Marine Le Pen a un programme social proche de celui de Podemos ou de La France insoumise ; certes, elle se réclame du «peuple», comme eux. «Mais c'est une boule de haine, tranche José Miguel, fonctionnaire du fisc. Ce genre de personnage qui divise un pays, le radicalise, et le pire pourrait arriver.» Et puis, il y a l'Europe. «Nous n'aimons pas cette Europe-ci, ajoute-t-il, mais nous ne voulons pas la détruire, juste la réformer. Avec Le Pen, c'est au revoir la France. Et sans vous, croyez-vous vraiment que cela ait encore un sens, ce projet ?»
Grèce
«Macron, un homme qui va poursuivre l’austérité»
«Alors, elle est comment la femme de Macron ?» demande avec gourmandise Kostas, tandis que son taxi entame la traversée d'Athènes. En Grèce, les chauffeurs de taxi sont particulièrement prolixes, et leur aptitude à disserter sur la politique permet toujours de prendre le pouls de la ville. La femme de Macron, justement, «Brizit», a fait l'objet d'innombrables commentaires à Athènes. Autant à cause de son âge que de sa minceur, jugée excessive. Ce qui lui a valu un éditorial dans un quotidien grec, qui s'inquiétait de son «anorexie» et du modèle ainsi proposé aux jeunes femmes françaises. Sur le fond, Kostas voit d'abord en «Macrone», selon la prononciation locale, «un homme qui va poursuivre une politique d'austérité». Lui ne croit pas que «Lé Pen» sera élue et ne redoute donc pas que la France quitte la zone euro, perspective qui affole ces jours-ci une partie de l'opinion grecque.
Mardi, l'ex-ministre des Finances Yanis Varoufákis a apporté publiquement son soutien au candidat d'En marche. Kostas hausse les épaules : «No comment.» Varoufákis a quitté la scène politique locale mais les Grecs l'associent encore à l'échec du gouvernement d'Alexis Tsípras face aux pressions des créanciers en juillet 2015. Le dernier accord conclu avec Bruxelles, mercredi, prévoit d'ailleurs de nouvelles mesures impopulaires. En traversant la ville déserte aux murs tagués, on devine des silhouettes qui dorment sur le trottoir. «Des fantômes», soupire Kostas. «On devrait s'indigner. Mais ils nous ont rempli la tête avec leurs formules financières et techniques. On ne comprend plus rien, plus personne ne résiste», assène-t-il, persuadé que «ce sera pareil en France».
Italie
«La droite extrême est très enracinée en France»
Eminent linguiste, philosophe, Raffaele Simone avait écrit en 2010 un ouvrage intitulé le Monstre doux, dans lequel il annonçait la poussée en Europe d'une droite triomphante et décomplexée. «Je ne m'étais pas trompé», fait-il remarquer en commentant les élections françaises. «Le monstre doux est en train de triompher. Il est passé par Berlusconi puis par Trump, et aujourd'hui, à une plus petite échelle, par Marine Le Pen. Certes, elle ne parle pas beaucoup de divertissement, de la société des loisirs, de l'individualisme comme les deux premiers, mais elle procède par slogans. Son projet n'est pas en mesure d'arrêter la commercialisation du monde.» Pour l'intellectuel italien qui, l'an passé, a publié un autre livre au titre évocateur, Si la démocratie fait faillite (éd. Gallimard), il y a deux grands responsables à cette situation inédite en France : François Hollande pour son bilan, et François Fillon qui, «de manière infantile, a refusé d'admettre les scandales et de se retirer». C'est ce qui, selon Raffaele Simone, a ouvert la voie à l'irruption d'Emmanuel Macron et de Marine Le Pen. Mais, fait-il remarquer, le renouvellement politique est un «phénomène général, les partis traditionnels ont épuisé leur fonction. On le voit en Italie, en Espagne, en partie en Grande-Bretagne. Notamment parce qu'ils ont été frappés par les scandales. Max Weber rappelle que c'est le propre des partis. Quand un parti est malade, il faut le tuer et le remplacer par d'autres formations qui seront à leur tour touchées par les affaires. C'est un cycle avec le risque qu'à un certain moment, le jeu se casse», favorisant l'avancée des forces extrêmes.
De ce point de vue, Raffaele Simone n'a pas de doute : «Le Front national est évidemment un parti fasciste même s'il est à visage humain et qu'il a été dédiabolisé. Mais la manière dont Marine Le Pen s'est comportée durant le débat télévisé démontre quelle est la nature de sa formation. Il ne manquait que les gifles. Je crois que la droite extrême est très enracinée en France et qu'elle a été revitalisée par une vague migratoire qui reste hors de contrôle.» Raffaele Simone n'épargne pas non plus Emmanuel Macron : «Durant tout le débat, il n'a pas dit un mot sur les banques, la finance, les produits toxiques.» Marine Le Pen ne gagnera peut-être pas la présidentielle. Mais, avertit le philosophe : «En Italie, le Mouvement Cinq Etoiles va sans doute gagner. Et dans plusieurs pays, nous risquons de voir une dérive comme en Hongrie ou en Pologne.»
Israël
«Ce pays est pourri quel que soit le président élu»
Depuis une quinzaine d’années, Shimon Shamisso, Victor El Ganassi, Marcel Turdjeman et quelques autres sexagénaires se rencontrent chaque jeudi matin au Mifgach Hahaverim («le rendez-vous des amis»), un café sans prétention situé à la sortie de Holon, dans la banlieue populaire de Tel-Aviv. Comme dans de nombreux autres endroits d’Israël, ils forment un «parlement», un club de discussion informel dont les membres commentent les grandes questions du moment. Toute l’actualité de la semaine y passe, y compris l’élection présidentielle française.
Certes, aucun de ces «parlementaires» n'a suivi le débat de l'entre-deux-tours, mais la presse locale y consacre une place importante et ils la consultent avec avidité. «Faut vraiment que la France soit malade pour qu'une femme comme Le Pen grimpe aussi haut, lâche Ganassi. Si elle est élue, les juifs vont faire la queue pour s'installer en Israël.»
«Mais l'autre, le jeune banquier - comment il s'appelle déjà ? -, il ferait mieux qu'elle à votre avis ? Moi j'dis que non, parce que les politiciens sont tous pareils», répond Turdjeman, qui a vécu à Paris au début des années 60. «De toute façon, ce pays est pourri quel que soit le président élu. Entre les grèves, les manifestations et les attentats de Daech, il s'enfonce de jour en jour. Il n'y a pas grand-chose à en attendre.»
Allemagne
«Je n’irai plus en France si Le Pen passe !»
Comme chaque mercredi soir, une dizaine de femmes se retrouvent autour d'une bière à l'Eléphant blanc, après leur séance hebdomadaire de «cuisses-abdos-fessiers» dans un gymnase communal de Berlin. Il y a là Daniela, Kerstin, Heidi ou encore Brigitte, toutes quatre francophiles… Elles parlent rarement de politique lors de leurs soirées «entre femmes». Mais à la veille du second tour, la conversation fait un détour par l'Hexagone. Elles connaissent mal Macron. Kerstin sait qu'il est pour plus d'Europe, Brigitte qu'il a épousé son ancienne prof… La conversation se fixe rapidement sur Marine Le Pen. Et si l'une ou l'autre a pu «comprendre» les succès du parti allemand populiste AfD lorsqu'il a été question de fermer leur salle de sport pour y loger des réfugiés, aucune ne saisit l'engouement suscité par le FN chez leurs voisins. Toutes savent que la dirigeante du Front national considère l'Allemagne comme un épouvantail et qu'avec elle au pouvoir, les relations franco-allemandes deviendraient bien compliquées. Daniela est incrédule. Sa fille fait une année Erasmus à Nice, et Daniela craint un raz-de-marée de Marine Le Pen «dans la plus belle région de France». Les quatre francophiles, qui passent de temps en temps leurs vacances en France, craignent une sortie de l'euro, qui gênerait aussi les touristes. «De toute façon, je n'irai plus en France si Le Pen passe !» assure Daniela.
A Nîmes, le 2 mars, pour un déplacement de François Fillon. Photo Albert Facelly pour Libération
Suède
«La société ne peut marcher qu’avec de la coopération»
«Je suis rassurée car il semblerait qu'Emmanuel Macron ait complètement détruit Marine Le Pen dans le dernier débat», lance Camilla Carlberg, employée du musée d'art moderne de Stockholm. Comme la plupart des Suédois attablés en terrasse du musée, elle espère la victoire du candidat d'En marche. Elle le décrit comme un «homme politique de 39 ans normal et décent avec des idées claires» sans pour autant parvenir à déterminer ses orientations politiques : «Libéral, social-démocrate, de droite, je ne sais pas trop.» Quelques tables plus loin, Kerstin et Roger Gerhman saluent le choix de campagne de Macron, qui témoigne de sa détermination, et son passé de banquier, qui montre ses capacités en économie. «Le Pen cherche la confrontation, et la société ne peut marcher qu'avec de la coopération», dit Kerstin dans une remarque très suédoise. D'autres déplorent cependant le manque de choix du second tour et remettent en cause le système électoral français, comparé à celui, proportionnel, suédois. Un système qui permet en effet aux petits candidats d'être représentés au Parlement, à condition d'atteindre 4 % des votes. «Si les gens ne se sentent pas représentés, il y a un risque pour qu'ils se désintéressent du scrutin», s'inquiète Kristoffer Svenberg, chargé des programmes jeunes du musée. Dani Erikson sort d'une conférence et devise avec ses trois amis d'art, de provocation et d'extrémisme. «Peut-être que cela aurait été mieux si Mélotron avait fait partie des finalistes», tente-t-il en référence à Jean-Luc Mélenchon, qu'il compare à Bernie Sanders. Amanda Klasa Fornhammar pense qu'en de semblables circonstances, beaucoup de Suédois de droite pourraient voter pour le parti nationaliste (Démocrates de Suède) s'ils avaient à choisir entre eux et les sociaux-démocrates. «Mais notre système est mieux, car il ne nous permettrait pas de finir dans votre situation…»
RDC
«C’est Une guerre des idées, c’est beau à écouter !»
Jour ou nuit, Patrick lève et descend la barrière d'une vaste résidence qui longe le fleuve Congo, royaume des expatriés. Fin connaisseur de l'actualité française, ce gardien de 27 ans à Kinshasa gagne une centaine de dollars par mois et vit «dans un quartier perdu des faubourgs». Il a suivi le débat du second tour en différé sur TV5 Monde, jusqu'à la coupure d'électricité. «Je voulais étudier en France car un diplôme français est une considération, dit-il. La France reste un modèle de démocratie, qui est un idéal à approcher sans pouvoir l'atteindre.» Il l'assure : «La culture démocratique est ancrée dans la tête des Français. Cette élection est leur dernière cartouche pour se révolter. C'est plus difficile au Congo, où le peuple manque d'éducation.» Il veut le croire : «Le débat en France est très bon, pas personnalisé comme ici. C'est une guerre des idées, c'est beau à écouter !» Même en dépit des affaires qui ont pollué la campagne, et d'un ultime débat façon ring de boxe. «Sarkozy et Hollande semblent avoir fait basculer beaucoup de gens à l'extrême droite. Le Pen veut isoler la France, alors que le monde est un village planétaire. Elle défend des antivaleurs. J'ai entendu qu'elle réclamait la même indépendance pour toutes les nations, y compris d'Afrique. Cela plaît à nos politiciens, car elle ne se mêlera pas de leurs affaires. La France ne peut pas rester fermée : le monde a des exigences. Si la réciproque était vraie, il faudrait interdire aux Français de s'installer à l'étranger ! Je sais que vous êtes réticents à nous accueillir, mais si l'occasion se présente, je n'hésiterai pas à venir.»
Tunisie
«Ce n’est pas Trump, ni les États-Unis»
Dans la queue d'une trentaine de Tunisiens qui attendent devant le portail de TLSContact, sous-traitant de l'ambassade de France pour une partie des demandes de visas, Sourah ben Khalifa n'est pas tendue outre mesure. Mariée à un Tunisien vivant à Paris depuis une quinzaine d'années et en pleine procédure de regroupement familial, la jeune femme n'a pourtant pas un dossier simple. «Avec la montée de Le Pen, j'ai eu un peu peur, mais mon mari m'a bien expliqué qu'elle ne peut pas supprimer le regroupement familial. Elle peut durcir les conditions de logement et de ressources, c'est tout.» Elle veut se persuader, après un temps de réflexion : «La France, c'est le pays des droits de l'homme. Même si elle est élue, elle ne pourra rien faire. Ce n'est pas Trump, ni les Etats-Unis.»
Ici, personne n'envisage que Marine Le Pen puisse s'installer à l'Elysée : «Il n'y a que vous qui évoquez l'hypothèse», fait remarquer Gassem, qui comme la plupart des Tunisiens est plutôt au courant de la politique française. A 23 ans, il a fait une demande de visa touriste avec son ami Imed, qui verra la France pour la première fois. «Moi, je connais bien, se vante Gassem. J'y suis allé trois, quatre fois en France : Paris, Monaco et Nice. Je n'ai jamais eu de problèmes, jamais une remarque raciste.»
En deuxième position dans la queue, Ibtissem se voit déjà sur la Croisette avec ses deux filles, sa sœur et sa nièce. «J'ai déjà fait un séjour de rêve à Paris. Là, nous allons à Cannes.» Le score de la candidate FN dans la ville, plus de 25 % au premier tour de la présidentielle, n'a-t-il pas refroidi son envie de Côte d'Azur ? «Non, pourquoi ?» Juste avant que les portes ne s'ouvrent, Sourah ben Khalifa précise : «Ma seule inquiétude, c'est pour mon mari, qui est chef de sécurité dans un pub des Grands Boulevards. Il est en première ligne s'il y a une attaque terroriste. Ça, ça me fait peur.»
Argentine
«La montée de l’intolérance est indigne de vous»
Dans la bouche de Taty Almeida, le mot France résonne tout particulièrement, et pas seulement parce qu'elle fait rouler son «r» comme un petit caillou précieux, à l'argentine. «Plus qu'une terre d'exil, c'était notre terre d'accueil», se remémore cette petite grande dame de 86 ans, membre des Mères de la place de Mai (ligne fondatrice). Elle et ses camarades sont ces femmes auxquelles la dictature militaire (1976-1983) a arraché les enfants, étudiants, militants de gauche, et qui, depuis, inlassablement, réclament justice. A l'époque, elles se tenaient droites face à la junte et criaient leur douleur et leur combat au monde. Elles avaient trouvé en France une oreille attentive et des bras grands ouverts. «Où est passé ce pays ? Qu'avez-vous fait de son héritage ? De son hospitalité ? De sa justice sociale ? s'indigne Taty. Nous suivons cette élection et le bruit de bottes qui l'accompagne avec beaucoup de préoccupation, de tristesse et de colère. La montée de l'extrémisme, de l'intolérance ces dernières années, et le jeu que vos politiques en ont fait pour masquer la violence économique est indigne de vous.»
Taty défait les liens de son foulard blanc, symbole de la lutte des Mères, et secoue ses cheveux roux, petite silhouette frêle s'éloignant dans la nuit automnale. Mais elle se ravise, fait volte-face et nous enlace, de ces accolades qui réchauffent le cœur et vrillent les tripes tout à la fois. «Ne baissez surtout pas les bras, murmure celle qui a toujours gardé le poing levé. Et courage, vous en aurez besoin.»