Chercheur à l'université de Tours, Sylvain Crépon est spécialiste du Front national. Il a codirigé la rédaction de l'ouvrage les Faux-Semblants du Front national (Presses de Sciences-Po, 2015).
Entre clins d’œil à l’électorat mélenchoniste et recul sur l’euro, la ligne mariniste semble flottante en cette fin de campagne…
On le redécouvre : le Front national n’a pas de culture de gouvernement. La campagne de 2012 avait pourtant représenté un progrès sur ce plan : conseillée notamment par Florian Philippot, Marine Le Pen avait travaillé ses dossiers, introduit dans sa campagne un principe de réalité. De ce point de vue, 2017 représente une régression. On semble en revenir aux incantations idéologiques de la vieille extrême droite, concentrée sur la nostalgie du passé et la critique de l’ordre existant, plus que sur l’élaboration d’un projet pour l’avenir. Comme si, ayant été initiée à la politique au sein de l’extrême droite, Marine Le Pen s’avérait aujourd’hui incapable de dépasser ce stade.
La question se pose même de la sincérité de son envie d’arriver au pouvoir…
Le premier tour peut être le moment de tenir un discours idéologique pour rassembler son camp ; le second doit laisser la place à la rationalité gestionnaire. Macron n’a guère de fond idéologique, ce qui l’a sans doute handicapé dans un premier temps, mais il est, de ce point de vue, un parfait candidat de second tour. Marine Le Pen, c’est manifestement l’inverse. Son problème est d’ailleurs de ne pas pouvoir s’affranchir complètement de la charge radicale du discours FN, qui fait la spécificité de celui-ci.
Le FN peut-il poursuivre sa croissance en s’adressant aux électeurs de gauche, comme a tenté de le faire sa candidate ?
Selon moi, cette ligne symbolise le peu d’appétit du FN pour le pouvoir. Aujourd’hui, 63 % des électeurs frontistes se déclarent spontanément «de droite», un petit tiers «du centre» ou «ni de droite, ni de gauche», et environ 5 % de gauche. C’est du côté des électeurs de François Fillon que se trouve le potentiel de croissance du Front national. Or, Marine Le Pen se sera dans l’entre-deux-tours adressée à part égale à la droite et à la gauche, et peut-être même plus à cette dernière. Ce qui constitue évidemment un signal décourageant pour l’électorat filloniste. J’y vois une forme d’immaturité politique, consistant à partir à l’assaut du pouvoir avec une stratégie qui vous en interdit l’accès.
En cas de défaite de Marine Le Pen au second tour, quelles sont les perspectives pour son mouvement ?
Le score du second tour déterminera sans doute celui des élections législatives à venir. Le projet du FN de constituer un groupe à l’Assemblée nationale, avec quinze députés au moins, n’a rien d’irréaliste. Reste à savoir si Marine Le Pen y figurera en étant élue sur son terrain nordiste : cela aussi est envisageable, et elle jouerait alors à l’Assemblée un rôle qui lui correspond parfaitement. Seule contre tous, elle pourrait faire le buzz dans les médias et les travées de l’hémicycle. A moyen et long termes, en revanche, les perspectives sont plus aléatoires.
Même en cas de résultat très décevant dimanche, il n’y a guère d’alternative à Marine Le Pen pour la présidence du parti. D’autant que les possibilités d’expression d’une éventuelle opposition interne sont très réduites. Un débat un peu sourd, mais réel, continuera à exister, animé notamment par ces sympathisants de Marion Maréchal-Le Pen qui voudraient voir le FN assumer une identité de droite. Et se contenteraient très bien d’une participation au pouvoir, aux côtés de la droite, plutôt que de son contrôle total.