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Analyse

Le barrage Macron tient bon

Avec 65,8 %, le candidat d’En marche est élu président. Défait, le Front national progresse dans un scrutin marqué par une abstention record.
Des partisans de Macron sur le parvis du carrousel du Louvre, dimanche soir. (Photo Boris Allin. Hans Lucas)
publié le 7 mai 2017 à 23h46
(mis à jour le 7 mai 2017 à 23h52)

Dimanche soir, au terme d'une campagne haletante et toxique, Emmanuel Macron est sorti vainqueur des urnes. Avec 65,8 % des suffrages, il terrasse Marine Le Pen. Le 14 mai, jour de passation de pouvoirs, l'ex-enfant chéri de François Hollande sera officiellement intronisé huitième président de la Ve République. Confortable, la victoire du primo-élu est toutefois ternie par l'importance de l'abstention (26 %) et des votes blancs et nuls (8,8 % des inscrits). Du jamais-vu pour un second tour de présidentielle depuis 1969, d'autant qu'à revers de tous les précédents scrutins présidentiels, l'abstention a augmenté entre le premier et le second tour.

A l'évidence, le refus de Jean-Luc Mélenchon d'appeler à voter pour le candidat centriste contre le Front national, tout comme l'écœurement d'une frange de la droite républicaine, qui pensait cette présidentielle «imperdable», ont pesé sur la mobilisation citoyenne. Quant au piratage de la correspondance interne d'En marche, qui a éclaboussé le Web une heure avant la clôture de la campagne officielle vendredi soir (lire pages 18-19), il n'y a rien changé. Peut-être même a-t-il accentué l'avance de Macron, tant l'opération sent le téléguidage malveillant.

«Humilité». Macron, lui, respire. Les vingt petits points qui le séparaient de Le Pen dans les intentions de vote au lendemain du premier tour étaient à peine suffisants pour aborder sereinement la suite. Sauf à faire tapisserie à l'Elysée, il lui fallait creuser l'écart afin de créer la dynamique nécessaire pour porter ses candidats aux législatives sous étiquette «la République en marche», dont beaucoup sont inconnus du grand public et novices en politique. «La moitié du chemin est faite», s'est réjoui dimanche soir Richard Ferrand, le secrétaire général d'En marche.

Après son raté le soir du 23 avril, entre parade à l'américaine et petite fête à la Rotonde (brasserie réputée du quartier de Montparnasse), Macron a, lors de sa première allocation télévisée dimanche soir, pris le contre-pied de son discours du premier tour, jugé prématurément triomphaliste. Avant de partir rejoindre ses supporteurs au Louvre (lire pages 6-7), il a parlé d'«humilité», seul derrière son pupitre, mine grave, voix monocorde. Puis il s'est dit à l'écoute de la «colère», de l'«anxiété» et des «doutes» révélés par le scrutin. Avec pour objectif de «retisser les liens entre l'Europe et les citoyens», de défendre «l'image» et «les intérêts vitaux de la France» et d'assurer à tous la «sécurité».

Pour Marine Le Pen, la défaite n'est pas une surprise. Peu dans son entourage s'attendaient à une victoire de la candidate du Front national. Au sein du parti, les optimistes noteront que celui-ci recueille, et de loin, le plus grand nombre de voix de son histoire : 11 millions environ, soit 3,4 millions de plus qu'au premier tour et 4,6 millions de plus qu'au premier tour de la présidentielle de 2012. Reste que chez les proches de la candidate comme chez les observateurs, la barre des 40 % était fréquemment retenue comme limite entre l'échec honorable et la déroute (pages 20-21). Un niveau auquel Marine Le Pen s'est longtemps maintenue dans les sondages avant de subir une nette baisse - attribuée à un débat de second tour raté. La présidente («en congé») du FN a aussi payé l'absence de rassemblement autour de sa candidature, seul Nicolas Dupont-Aignan (4,7 %) l'ayant rejointe dans l'entre-deux-tours. C'est peu dire que ce résultat a déçu au sein du parti. «Humiliation», «plantage», «problème de leadership» : le jugement des frontistes contactés dimanche soir par Libération était d'une inhabituelle dureté. Pour la première fois depuis son accession à la tête du FN, Marine Le Pen se voit très directement mise en accusation.

Prophétie. S'exprimant rapidement après 20 heures, Marine Le Pen a évoqué un résultat «historique et massif», faisant de «l'alliance patriote et républicaine» (le nom donné à son attelage avec Dupont-Aignan) la «première force d'opposition au nouveau président» - prophétie que doivent encore confirmer les législatives de juin. Malgré l'ampleur de sa défaite, Le Pen a vu dans le scrutin la confirmation d'une «recomposition de grande ampleur autour du clivage entre patriotes et mondialistes». Surtout, elle a annoncé une «transformation profonde» du FN, qui devrait céder la place à «une nouvelle force politique». «Par définition, ce mouvement n'aura pas le même nom», a ajouté Florian Philippot sur TF1. Manière pour le parti de s'affranchir un peu plus de sa sulfureuse hérédité ; manière, pour sa présidente, de préempter l'inévitable débat interne