Une finaliste à l'élection présidentielle qui, à la toute fin d'un débat télévisé, balance une question anodine sur un supposé compte bancaire aux Bahamas que posséderait son adversaire, «fake news» qui vient de naître sur les réseaux sociaux par des comptes authentifiés experts en complotisme. L'important responsable d'un parti d'extrême droite qui tweete, vingt minutes avant l'interdiction faite aux partis politiques de s'exprimer, des insinuations concernant la mise en ligne de mails piratés d'En marche. Ce même responsable qui continue de retweeter sciemment des faux grossiers sur les réseaux sociaux, malgré les preuves de l'imposture apportées. Un militant de l'ultra-droite américaine qui organise depuis les Etats-Unis la circulation de pseudo-informations issues d'une manipulation. Et qui demande même à être entendu pour le Parlement français pour lui faire part de pseudo-révélations qui semblent avoir autant d'intérêt qu'une notice pour monter des meubles suédois.
Non, nous ne rêvons pas. Voilà le genre de choses qui se produisent désormais juste avant et même pendant ce qu'on appelle la trêve électorale, période de réserve durant laquelle on est censé foutre la paix aux électeurs et leur parler de l'Eurovision – un autre concours tout aussi important paraît-il. Trêve aujourd'hui complètement dépassée à l'heure d'Internet, de la multiplication des canaux d'information mais aussi au moment où l'extrême droite détourne la liberté et les outils de la démocratie pour les retourner contre elle et s'emparer du pouvoir. Alors que l'hypocrisie règne toujours sur la question des sondages qui circulent malgré les interdictions mises en place, la situation est la même en ce qui concerne toutes ces tentatives de manipulation de dernière minute.
Après la fuite organisée des mails d'En marche vendredi soir, la Commission nationale de contrôle de la campagne électorale a conseillé samedi matin aux médias et aux citoyens, «de ne pas relayer ces contenus» sur les réseaux sociaux et «à faire preuve d'esprit de responsabilité». Comme si Libération allait s'amuser à publier les documents de cette fuite au mépris de toute éthique journalistique. Au fond, elle nous demande quand même de ne pas faire notre travail afin de donner l'illusion de respecter une loi obsolète, alors que de leur côté, les spécialistes de la désinformation exploitent à fond cette période pour diffuser en masse leur propagande. Pour nous, la réponse est claire : nous ne baisserons pas la garde. Car nous ne brisons aucune trêve quand il s'agit de dénoncer et de déconstruire de telles manips dont le but est de fausser les règles du jeu démocratique. Il serait même criminel de nous taire et de laisser le champ libre à tous ceux qui connaissent bien les rouages de la contamination numérique au profit d'autres qui comptent en profiter tout en donnant l'illusion de respecter la loi.
Tout cela laisse augurer de ce qui passera pour toute prochaine campagne électorale. Sans compter les risques de manipulation liés à la circulation sous le manteau de sondages interdits en période de trêve. Il serait temps que notre législation prenne aussi la mesure de tous ces nouveaux enjeux et des risques de laisser se développer de telles tentatives de déstabilisation. Il suffit de voir aujourd’hui comment certains utilisent la liberté offerte par la démocratie pour imaginer ce qu’ils en feront une fois au pouvoir.