Peut-être plus encore que son OPA sur la présidentielle, ce serait le plus grand tour de magie du prestidigitateur Macron. Ou, pour reprendre les mots de Richard Ferrand, secrétaire général d'En marche, le «deuxième acte» du projet macronien. Soit mettre sur pied, ex nihilo, en quelques mois, une génération entière d'élus, sans accords d'appareils. Du jamais vu, et la condition sine qua non pour «dérouler [son] programme de transformation», comme l'indique une note interne de la commission d'investiture (CNI) dès mars 2017, sans se voir imposer une coalition baroque ou une cohabitation castratrice.
Jeudi après-midi, après moult atermoiements, reports et signaux confus, Richard Ferrand, secrétaire général du mouvement, a dévoilé une liste de 428 candidats estampillés La République en marche (LREM) et Modem, sans faire le distinguo entre les deux maisons «alliées». Pour autant, tout a été discuté jusqu'à la dernière minute. Avec François Bayrou, dès l'aube, et en commission d'investiture jusqu'en milieu d'après-midi, entraînant un retard de deux heures de leur communication officielle. «Bayrou voulait le quart des sièges à pourvoir, raconte une source interne. Il n'en a eu que 90, dont 35 gagnables.» En début de soirée, le maire de Pau rejetait la liste présentée, annonçant la tenue d'un bureau politique du Modem ce vendredi.
«Macron academy»
L’exercice était à haut risque, et dans les heures qui ont suivi la publication des noms de cette grosse fournée de candidats, quelques bugs ont gâché l’impeccable machinerie. Trois investis sur le papier ont en effet fait savoir immédiatement qu’ils n’en étaient pas. C’est le cas de Mourad Boudjellal, président du club de rugby RC Toulon, qui avait pris la parole au meeting de Macron à Bercy, suivi de deux élus de gauche : François Pupponi, le député et maire socialiste de Sarcelles, et Stéphane Saint-André, député PRG sortant du Pas-de-Calais.
Longtemps moquée par les partis traditionnels, la «Macron academy», s'est pourtant enorgueillie jeudi de statistiques, couacs mis à part, en tous points conformes aux critères énoncés par Macron le 19 janvier. Sur la parité, avec 214 femmes investies pour 214 hommes, mais aussi sur le renouvellement des visages et des parcours, 52 % des candidats investis n'ayant jamais eu auparavant de mandat électif, et donc réellement estampillables «société civile». Des chiffres avantageux qui pourraient l'être moins une fois connue la totalité des investitures. LREM s'est en effet donné jusqu'à mercredi prochain pour statuer sur le cas des 148 circonscriptions manquantes, qualifiées d'«espaces de rassemblement». Auxquelles s'ajoute un cas particulier : Manuel Valls. L'ex-premier ministre, quasi-exclu du PS, n'aura pas l'investiture qu'il avait demandée en début de semaine. Mais, néanmoins, n'aura aucun candidat macronien en face dans son fief d'Evry.
Grâce à cette semaine supplémentaire de délai, la commission d'investiture espère «maintenir vivant un espace permettant la recomposition du paysage politique, nous voulons laisser à ceux qui veulent encore se manifester le temps de le faire», comme l'a dit le secrétaire général du mouvement Richard Ferrand. Traduction : Macron croit encore possible des ralliements substantiels de députés sortant de la droite et du centre. Car derrière la vitrine des nouveaux visages et le respect des grands principes cochés comme une liste de courses, Macron n'en fait pas moins de la politique à l'ancienne. Il temporise et joue à fond le mécano des circonscriptions.
«Visiblement il y a deux clans [au sein du comité politique d'En marche], assure un ancien responsable de droite passé chez Macron. Les strauss-kahniens et Ferrand sur la ligne dure, et ceux qui ont compris qu'il fallait gouverner avec la droite.» La nomination du Premier ministre, attendue lundi, pourrait être le déclencheur de cet appel d'air. Si l'heureux élu vient de la droite de l'échiquier, certaines personnalités, à l'instar de Bruno Le Maire, pourraient se laisser convaincre. Indispensable pour respecter un autre des critères fixés par Macron : le pluralisme de sa majorité, alors que pour l'heure, les 24 parlementaires d'ores et déjà investis sont tous socialistes. En cas d'échec de ces débauchages individuels, LREM pourrait décider, au cas par cas, d'une «abstention complaisante», selon les mots d'un membre de la CNI dans les circonscriptions des élus dragués par le mouvement, histoire de pouvoir s'appuyer sur eux par la suite. C'est d'abord vrai pour des personnalités LR et UDI, mais aussi quelques figures isolées à gauche, comme Myriam El Khomri dans le XVIIIe arrondissement de Paris. Autant d'arbitrages délicats tranchés directement par le «maître des horloges»Emmanuel Macron. Une fois ces ajustements terminés, la liste finale serait plutôt composé d'un tiers de «petits élus» (maires de villages, conseillers municipaux), d'un tiers de députés, présidents d'agglomérations et conseillers départementaux ou régionaux et enfin d'un tiers issus de la société civile, aux dires d'un proche de Macron.
Média training
Les heureux élus, des novices pour la plupart, vont bénéficier d'un suivi personnalisé. Malgré une procédure de sélection serrée - CV, lettre de motivation, recommandations et entretien pour «identifier leur potentiel» noté sur 10 -, ils ne sont pas toujours conscients des difficultés pratiques qu'ils vont devoir affronter. Un séminaire est organisé à leur intention samedi au musée du Quai Branly pour les aider à surmonter les premiers obstacles. Au programme : des séances de média training et de coaching ainsi qu'une assistance financière et juridique sur mesure. Les candidats doivent en effet obligatoirement créer une association de financement pour isoler leur compte de campagne, approvisionné sur fonds personnels ou grâce à des prêts, à hauteur maximum de 30 000 euros.
Autre défi pour En marche, contenir le désarroi des recalés. Et ils sont nombreux, sachant que 19 000 candidatures ont été déposées sur la plateforme en ligne depuis le 19 janvier, sans compter les charrettes de dossiers («quelques milliers» selon En marche) envoyés depuis la victoire de Macron. Dès mars, dans la note précitée, un membre de la commission d'investiture insistait sur l'importance de constituer à leur intention un réservoir «d'éléments de langage (empathie, accueillir déception, tracer des perspectives futures = municipales, équipes de campagnes)». Et de suggérer la mise en place d'une hotline, avec au bout du fil des militants «qui ont un profil plutôt médiateur que helper [bénévole, ndlr]». Objectif : éviter une démobilisation des marcheurs aux aspirations parlementaires douchées, ces derniers étant souvent les plus actifs dans leurs comités respectifs.
«De la casse»
Le casting de Macron fera-t-il des miracles le 11 juin dans les urnes ? Pour la droite, qui espère prendre sa revanche et imposer une cohabitation à Macron, le profil des candidats macroniens prête à sourire. Un dirigeant de LR veut le croire : «Ils vont jeter dans le marigot de la campagne des types recrutés sur Internet. Il y aura de la casse.» Pas de quoi briser l'optimisme de la garde rapprochée du nouveau président. Le député PS Christophe Castaner, investi dans son fief des Alpes-de-Haute-Provence, y croit dur comme fer : «Macron aura la majorité absolue à l'Assemblée. Les Français n'ont jamais déjugé le président nouvellement élu.» Ou comment se rassurer en invoquant les vieux mécanismes parlementaires quand son champion ambitionne de rebooter le système partisan tout entier.