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Libération

Emmanuel Macron : Control freak

Photographe officielle, déplacements «poolés» : si Macron raffole des caméras, il aime encore plus les contrôler.
publié le 12 mai 2017 à 20h36

Un chef de l'Etat «jupitérien» face au «bovarysme» journalistique. Voilà en deux mots «macroniens» le credo officiel du futur chef de l'Etat en ce qui concerne son rapport aux médias. Durant la campagne, l'ex-ministre de l'Economie en avait fait un élément majeur de différenciation avec son mentor délaissé François Hollande. Pour Macron, son prédécesseur «considère que le Président est devenu un émetteur comme un autre dans la sphère politico-médiatique», comme il l'expliquait à Challenges fin 2016. Lui veut, à l'inverse, incarner la distance, le recul, loin de «l'anecdote» et de «la réaction qui banalise la fonction». Macron n'a pas toujours suivi cette ligne, mais à mesure que l'ambition de l'ex-banquier s'est concrétisée, ses SMS charmeurs aux journalistes politiques et ses «off» savamment distillés se sont raréfiés. Invité de l'Emission politique le 6 avril, il cogne brutalement sur l'entichement de François Hollande pour la presse : «Quand on préside, on n'est pas le copain des journalistes.» Et d'en rajouter une couche, entre les deux tours, dans des journaux locaux : «Moi, je ne ferai pas des journalistes mes confesseurs, je ne ferai pas visiter les cuisines ni les coulisses.»

Une préservation de l'envers du décor qui n'a, semble-t-il, vocation à s'appliquer qu'une fois élu, à en croire le titre du premier documentaire consacré à son triomphe, les Coulisses d'une victoire, diffusé dès le lendemain de son élection. Le premier d'une série de quatre, programmés en une semaine (un record), est aussi le plus emblématique de la com sauce En marche, (lire aussi page 34). De l'humanisation hagiographique et elliptique, à l'américaine, presque entièrement vidée de contenu politique, où sa cellule communication, dirigée par le cérébral normalien Sylvain Fort et la tonique strauss-khanienne Sibeth Ndiaye, occupe les premiers rôles. Cette masterclass en «coolitude» présidentielle, réalisée par Yann L'Hénoret, s'est faite en bonne intelligence avec l'équipe d'En marche, qui aurait eu, contrairement aux dires du réalisateur et de ses producteurs, une «part du  final cut, parce qu'il y a eu tellement d'accès que certaines choses filmées étaient terriblement sensibles», selon un proche du nouveau président.

Deux choses font consensus : Macron aime les caméras (on se souvient du cabotinage de l’alors ministre devant la focale complice de Canal +, dans les pastilles de Cyrille Eldin), et il les aime encore plus quand il les contrôle. A l’instar d’un Obama avec le photographe Pete Souza, le nouveau président a une relation symbiotique avec la portraitiste Soazig de la Moissonnière, chargée d’abreuver médias et réseaux sociaux en clichés «iconiques», tel l’Amiénois shooté en noir et blanc, de dos, face à la pyramide du Louvre et à son destin, le soir de son élection.

Pour le reste, au fil de la campagne et à mesure qu'enfle le bataillon médiatique autour du candidat, l'équipe de Macron a eu recours de plus en plus systématiquement à des déplacements «poolés» en petit comité, c'est-à-dire accessibles à un nombre très limité de reporters. D'ordinaire, le choix des membres du pool se décide au tirage au sort entre les journalistes. Chez Macron, il était décrété d'office, au profit quasi exclusif des agences de presse et des journaux locaux. On touche là au dernier concept clé des spin doctors de la team Macron : la «désintermédiation». Soit l'effacement, tant que possible, des intermédiaires. A Amiens, quand il décide d'assumer un mano a mano avec les syndicalistes de Whirlpool, seules deux caméras passent les grilles de l'usine : celle alimentant son mur Facebook, repiquée par BFM TV, et celle du film les Coulisses d'une victoire. Autre exemple : son passage entre les deux tours au JT de France 2. Dans les dernières minutes de l'entretien, Macron pivote sur sa chaise et ignore Pujadas pour planter son regard face caméra, s'adressant aux électeurs et transformant sa conclusion en allocution. Deux jours plus tôt, après son faux pas festif à la Rotonde et le surplace qui avait suivi, il avait prévenu : «Il faudra vous habituer, je ne suivrai pas le rythme qui plaît aux médias ou aux commentateurs de la vie politique. Je suivrai le rythme que j'ai décidé.»