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Libération
Interview

Emmanuel Macron : Libéralisme «de gauche»

Selon l’économiste David Spector, le «macronisme» recentre l’Etat-providence sur les individus tout en intervenant moins sur le marché.
publié le 12 mai 2017 à 20h36

Economiste à la Paris School of Economics, David Spector, qui vient de publier la Gauche, la droite et le marché (Odile Jacob), tente de définir le «macronisme» en économie. Il ne fait pas partie, ni de près ni de loin, des équipes d'En marche et se fonde donc sur les mesures de l'ancien ministre de l'Economie, et sur les déclarations du candidat.

«On peut décrire Macron comme un libéral de gauche. Le fait que cette expression soit souvent perçue en France comme un oxymore dit assez la nouveauté que représente son élection. Son action à Bercy et son programme vont dans le sens des mécanismes de marché, mais plusieurs éléments de son programme visent à maintenir et étendre l’Etat-providence et les services publics.

«Les éléments promarché sont les plus évidents : par exemple, l’augmentation - modeste - de la concurrence dans l’activité des notaires prévue par la loi Macron de 2015 - ce qui n’est pas spécialement de droite. Ses projets en matière de droit du travail sont un autre exemple, puisque Macron veut réintroduire le plafonnement des indemnités de licenciement, qui avait été supprimé de la loi El Khomri. Cette diminution de la marge d’action des juges n’affaiblit pas nécessairement la protection réelle des salariés : fixer un plafond, c’est aller dans le sens d’un "signal prix", comme disent les économistes, en clarifiant le coût maximum du licenciement pour l’employeur, sans forcément le diminuer. A côté de cela, il y a des éléments plus à gauche comme l’affectation d’enseignants supplémentaires dans les ZEP.

Arbitrages. «L'idée générale semble être un recentrage de l'Etat-providence sur la protection des individus, en diminuant les interférences avec le fonctionnement des marchés - ce qu'on appelle parfois la "flexisécurité à la scandinave". Au sein de l'UE, ces pays sont très favorables au libre-échange et à la libéralisation des marchés - sujets sur lesquels ils s'opposent souvent à la France dans les instances européennes - et en même temps ont une fiscalité très redistributive - même si elle l'est moins qu'autrefois - et un Etat-providence protecteur.

«On retrouve ces principes dans le projet de retraite par points. Il s’agirait de conserver un système par répartition, fondé sur la solidarité entre générations. Mais en substituant un empilement de régimes disparates par un système permettant un pilotage public par quelques "prix" : la valeur du point lors du départ à la retraite, le "taux d’intérêt" par lequel les points accumulés dans le passé sont revalorisés, etc. Un tel système permet surtout à chacun de choisir en fonction de ses objectifs personnels : prendre sa retraite plus tôt mais avec une pension moindre, ou l’inverse. Ces arbitrages individuels existent déjà aujourd’hui, mais la réforme proposée les simplifierait en instaurant là aussi un "signal prix" plus lisible.

«Il s’agit aussi d’instaurer une forme de neutralité : qu’on soit fonctionnaire, salarié du privé ou indépendant, le système fonctionne de la même façon, ce qui facilite aussi les transitions. Cette neutralité des politiques publiques par rapport aux choix de vie individuels est une idée libérale - on la retrouve aussi dans le projet d’étendre le droit aux indemnités de chômage aux salariés qui démissionnent ou mettent fin à une activité indépendante.

Transformation. «On est donc loin d'une conception traditionnelle selon laquelle une politique de gauche doit intervenir de manière directive dans le fonctionnement des marchés : l'antimodèle, de ce point de vue, ce sont les politiques menées en matière de logement - qu'il s'agisse de l'aide personnalisée au logement qui finit par profiter aux propriétaires en faisant augmenter les loyers, ou du plafonnement des loyers à Paris avec la loi Duflot.

«Plutôt qu'un recul de l'action publique, on peut attendre une transformation qui la rendrait plus rationnelle : en l'articulant mieux aux marchés, elle évite les effets pervers - comme pour le logement - et les combats perdus d'avance, sans renoncer à protéger. Les propos tenus aux ouvriers de Whirlpool illustrent cette logique. Ils m'ont fait penser à une scène du film Primary Colors, inspiré d'un roman sur la campagne de Clinton en 1992 : John Travolta dit à des ouvriers du Midwest qu'il les aidera mais qu'il ne fera pas revenir les usines disparues.»