Emmanuel Macron en «maître des horloges» ? On connaissait le «maître du temps» dans les entrailles de Fort Boyard, mais «maître des horloges»… Depuis plusieurs semaines, celui qui est devenu président de la République le 7 mai se définit régulièrement ainsi, en réponse à tous ceux qui souhaitaient lui imposer un rythme.
«Je resterai le maître des horloges, il faudra vous [les médias, nldr] y habituer, j'ai toujours fait ainsi. Je ne vais pas sauter pour aller devant les caméras parce que Mme Le Pen va devant les caméras», avait-il affirmé sur le plateau de France 2, en avril. L'alors candidat avait, par le biais de cette expression, tenté de justifier sa présence tardive sur le site de Whirlpool où la candidate d'extrême droite venait de passer.
[ L’intégralité de l’interview d’Emmanuel Macron sur France 2 ]
Depuis son arrivée à l’Elysée, le président de la République fait effectivement ce qu’il veut avec les pendules. Après avoir retardé l’annonce de son Premier ministre lundi, il a choisi de repousser l’annonce du gouvernement prévue ce mardi à mercredi… Une façon de montrer qu’il décide seul du calendrier. Mais d’où sort donc cette expression de «maître des horloges» ?
Usage récent en politique
En septembre, peu de temps après sa démission du gouvernement Hollande, Emmanuel Macron avait déjà avancé cette comparaison lors de l'émission Questions politiques de France Inter : «On va faire les choses dans l'ordre car j'entends bien être, sur ce sujet, le maître des horloges.» Il est alors question de son éventuelle candidature à la présidentielle, alors qu'il a quitté le gouvernement peu de temps avant.
En octobre, Marisol Touraine utilisait à son tour cette personnification. C'était alors François Hollande qui était qualifié ainsi, à propos de son éventuelle candidature. «C'est lui qui est le maître des horloges. C'est lui qui décide du calendrier», avait affirmé l'ex-ministre de la Santé au micro de RTL.
Si la formule a donc déjà été utilisée à la fin du précédent quinquennat, elle est d'usage récent en politique. Nous n'avons pour l'instant pas déniché de responsables qui auraient utilisé cette expression avant 2016. Comme l'explique Delphine Gaston-Sloan, auteure du livre le Pourquoi et le Comment de nos expressions françaises (Larousse, 2016), «maître des horloges» n'est pas répertoriée.
«L’Etat, gardien des horloges»
«Faut-il y voir une sorte de réappropriation de la métaphore voltairienne du grand horloger ?» se questionne Delphine Gaston-Sloan. En effet, en 1772, dans l'une de ses distiques publiées dans les Cabales, l'auteur avait repris la figure de l'horloger en référence à Dieu, «le créateur de l'univers» : «L'univers m'embarrasse, et je ne puis songer, que cette horloge existe et n'ait point d'horloger.» Cette comparaison entre Dieu et l'horloger avait déjà été faite par René Descartes dans Essais philosophiques, suivis de la métaphysique.
Plus près de nous, en 1992, l'énarque Philippe Delmas, docteur en économie et en mathématiques, reprend la métaphore voltairienne pour parler du rôle de l'Etat sous la Ve République et parle alors de… «maître des horloges». «L'Etat est le gardien des horloges, le pourvoyeur de la lenteur nécessaire, inaccessible aux marchés parce que contraire à la rapidité qui leur fait force», précise-t-il dans le Maître des horloges, modernité de l'action publique.
Le maître des horloges a donc désigné, selon les cas, Dieu ou l'Etat. «Il est clair que l'expression renvoie à l'idée que l'action publique s'inscrit dans le temps long, par opposition à l'immédiateté. Le "maître" est une image très forte en matière de gouvernance, quant aux horloges elles donnent une petite teinte désuète au discours, sourit Delphine Gaston-Sloan. Si on ajoute l'autre métaphore d'Emmanuel Macron, celle du "président jupitérien", référence à Jupiter, le maître des dieux dans la mythologie romaine, on se demande s'il n'est pas temps de redescendre sur Terre. Emmanuel Macron, c'est droite et gauche et dieu et maître…»