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Libération
Un jour une circo

Paris-rive gauche : NKM assiégée dans un bastion de droites

Dans la 2e circonscription de la capitale, réputée imperdable pour Les Républicains, les habitants ne savent plus où donner de la tête. Un baron LR se présente, ainsi qu’Henri Guaino et un prétendant LREM. Et les ambiguïtés des candidats vis-à-vis d’Emmanuel Macron brouillent les cartes.
Nathalie Kosciusko Morizet faisant du porte-à-porte dans un immeuble du Ve arrondissement de Paris, vendredi. (Photo Albert Facelly)
publié le 29 mai 2017 à 19h56

Elle sonne souvent dans le vide sur les paliers des immeubles du Ve arrondissement de Paris, aux abords des arènes de Lutèce, désertés par un pont de l'Ascension ensoleillé. Lorsqu'une rare porte s'ouvre sur un touriste étranger, il en faut plus pour démonter Nathalie Kosciusko-Morizet qui laisse un tract à remettre aux propriétaires et se présente comme une «french politician». La mine du locataire Airbnb s'illumine : «You are for Macron ?

- Hum…

- Oh… from the other side ? chuchote-t-il. Marine Le Pen ?

- No, no, no !»

Dans un autre entrebâillement, un vieil homme soupire, en faisant grincer son parquet : «Dites donc, ça défile dans le Ve. Beaucoup d'appelés mais peu d'élus !»Un voisin, qui s'excuse de recevoir en caleçon, coupe net la candidate aux législatives : «Moi, je suis "en marche". Mais vous,vous n'êtes pas la candidate Macron ?»

«Sous Lexomil»

Le ciel s'est brusquement obscurci pour NKM dans la 2e circonscription de Paris. Un territoire réputé être une «circo en or», un fief imperdable pour Les Républicains, comprenant le Ve arrondissement, ainsi que des morceaux du VIe et du VIIe, parmi les quartiers les plus cossus de la capitale. La cheffe de file de la droite (depuis la municipale de 2014) a négocié avec François Fillon, en janvier, pour lui succéder. Bien que peu d'électeurs se souviennent de leur député sortant : «Ah bon ? Mais il n'est pas député de la Sarthe ?» C'était du temps où tout souriait au vainqueur de la primaire.

Depuis, la situation s'est dangereusement corsée. «Ici, nos électeurs sont sous Lexomil, ils ne savent plus à quel saint se vouer», résume un élu parisien. Sur la circonscription, Fillon et Macron ont fait jeu égal au premier tour de la présidentielle, autour de 37 % des voix. Avec son positionnement à la gauche de la droite, NKM n'était pas la moins Macron-compatible des ténors LR et espérait un geste de bienveillance. Le parti du nouveau président n'a-t-il pas épargné un certain nombre d'élus comme Franck Riester, Thierry Solère ou Bruno Le Maire ? Las, En marche a investi Gilles Le Gendre, un novice en politique. C'était encore sans compter sur toute une partie de la droite parisienne qui n'attendait que ce mauvais pas pour tomber sur une Nathalie Kosciusko-Morizet avec laquelle la greffe n'a jamais vraiment pris. L'ex-ministre de Sarkozy doit affronter deux dissidences tombées sur le tard, celle du maire LR du VIe, Jean-Pierre Lecoq, et celle surprise d'Henri Guaino, député des Yvelines. Quand ça ne veut pas…

«Rien à foutre»

Pour aider l'électeur déboussolé à s'y retrouver, au dos de son tract, NKM a «stabiloté en vert» les propositions d'Emmanuel Macron avec lesquelles elle est en accord, «en bleu celles sur lesquelles on peut travailler», et en rouge les pans du programme qui ne lui conviennent pas. Soit «je marche, ça se discute, ou je ne marche pas» : «Je suis prête à venir en support du Président, mais pas non plus à dire amen à tout.» D'ailleurs, elle trouve «un peu "old style"» cette question de savoir si elle appartiendra ou non à une majorité présidentielle : «J'ai toujours été dans des choses plus alternatives que cela.» Ses adversaires racontent pourtant qu'elle a «fait des pieds et des mains» pour décrocher un ministère, notamment celui de la Défense. «Si j'avais voulu entrer au gouvernement, je m'y serais prise autrement», dément l'intéressée, qui dit avoir été contactée avant la présidentielle par l'entourage de Macron. «J'ai répondu que j'irai aux législatives sous mes couleurs.» Elle affiche, dans son prochain document de campagne, les soutiens des poids lourds LR, de François Fillon à Jean-Pierre Raffarin en passant par Alain Juppé, ce dernier vantant «sa loyauté et sa combativité».

Reste que son activisme pour faire signer l'appel à saisir la «main tendue» par Macron, et débrancher le gênant candidat d'En marche qui lui était opposé, a fortement déplu dans les rangs LR. «En faisant appeler tous les conseillers de Paris par son dircab, elle a été d'une rare maladresse, s'agace un parlementaire de la capitale, exaspéré par les querelles de chiffonniers de la 2circonscription. Entre ses élucubrations pro-Macron et, d'autre part, l'opération contre elle des datio-sarkozystes [référence à la maire du VIIarrondissement, Rachida Dati, ndlr], qu'ils se débrouillent, j'en ai rien à foutre !»

Plus que ses possibles tentations macronistes, c'est son «nomadisme électoral» que lui reprochent les barons de la droite municipale. Et le «patinage idéologique» de la quadra a servi de prétexte à un Lecoq qui se tenait déjà dans les starting-blocks. Si la maire du VIIe (dont les relations exécrables avec NKM sont de notoriété publique) roule pour lui, il refuse de passer uniquement pour «la balle tirée par le fusil Dati» : «Que ma candidature serve les intérêts de certains, cela ne m'a pas échappé. Mais notre amie [NKM] s'est atomisée toute seule.»

Les autres élus LR se tiennent à bonne distance de la castagne mais ont des mots durs pour leur cheffe de file. «La droite rosette-légion d'honneur du VIIe ne veut pas d'une baba cool», assène l'un deux, qui parle de la dissidence de Lecoq comme du «candidat officieux de LR». Le maire du VIe revendique, lui, d'avoir fait ses classes politiques dans le quartier depuis plus de trois décennies. «Notre amie jouait encore au cerceau que j'étais déjà là», balance-t-il, en se présentant comme «le local de l'étape». Ce qui ne manque pas d'air puisqu'il était jusqu'alors investi plus au sud, dans la 11e circonscription (actuellement socialiste), celle-là même qui était initialement dévolue à NKM, élue du XIVe arrondissement. Lui espère siphonner les voix de la droite quand sa rivale et le candidat d'En marche se partageraient les voix du centre. Qu'on lui objecte que Kosciusko-Morizet a été habituée à l'emporter au finish aux législatives, comme ce fut le cas en 2012 dans l'Essonne, et Lecoq rappelle sa cinglante défaite aux municipales de 2014 et donne rendez-vous début juillet. La présidente du groupe LR au Conseil de Paris devra alors remettre son siège en jeu. «Elle sera battue», prédit-il.

«Idéologique»

S'il y a un sujet sur lequel les belligérants s'accordent, c'est bien l'enjeu très local du règlement de comptes. NKM dénonce, elle, «une vieille maladie de la droite parisienne» qui serait «crispée par le renouvellement» qu'elle dit avoir engagé. Quant à l'intransigeance d'En marche à son égard, son entourage y voit une offensive du porte-parole du parti et candidat dans l'Est parisien, Benjamin Griveaux, qu'il soupçonne d'avoir des vues sur la capitale aux municipales de 2020.

Que vient alors faire Henri Guaino, tout droit parachuté des Yvelines, dans cette embrouille ? Un baroud d'honneur décidé à la dernière minute. Mis au ban de LR pour sa violente fronde anti-Fillon au lendemain de la primaire, l'ex-plume avait perdu son investiture. Il dit avoir atterri là pour mener face à la candidate Les Républicains «un combat idéologique emblématique» : «Je ne reproche à personne de vouloir servir d'appoint à la majorité, mais il faut que ce soit clair, on doit trancher entre plusieurs lignes. Les partis sont devenus des cartels minés par ces contradictions.» S'il s'est entretenu avec Jean-Pierre Lecoq sur ses intentions voilà trois semaines, l'un et l'autre ne sont pas parvenus à s'accorder. «Je doute qu'il s'entende déjà avec lui-même, ce garçon», tacle le maire du VIe.

Malgré son retard de notoriété et son inexpérience, le candidat En marche espère tirer profit de cette foire d'empoigne. Sur le marché de la rue Cler, à deux pas des Invalides, Gilles Le Gendre, 59 ans, insiste sur sa bannière de «seul candidat pour la majorité présidentielle» et raconte que Macron lui «a demandé de le représenter sur la circonscription», histoire de «lever les ambiguïtés». «Le vent Macron va pousser nos voiles», s'emballe cet ancien journaliste aujourd'hui à la tête d'une boîte de conseils aux entreprises, qui a adhéré à En marche en mai 2016 avant de prendre les manettes de la présidentielle dans les Ve et VIe arrondissements. S'il dit refuser de se focaliser sur sa principale rivale LR, le candidat, qui a pris pour suppléante une ex-conseillère municipale de Dati, n'oublie pas de moquer sa «macronisation» express «quand elle a senti le sol se dérober sous ses pieds». Un passant prend la défense de NKM : «Nathalie est à moitié Macron aussi, et elle a beaucoup de gens contre elle.» «Je vous avoue, je suis un peu perdu dans tout ça !» tente Le Gendre. Lui jure qu'il serait un soldat parlementaire discipliné : «Si je m'engage clairement pour Macron, ce n'est pas pour faire le mariole une fois élu.»