Il a beau être ministre de la Justice, c'est son côté prof qui a pris le dessus. Après une demi-heure de présentation de la très roborative future loi «pour la confiance dans la vie démocratique», François Bayrou veut faire revenir les projecteurs sur son grand œuvre. «Je propose qu'on mette un peu d'ordre, qu'on s'intéresse d'abord au texte et après au contexte», organise le garde des Sceaux, assailli de questions montant d'un parterre de plus de 130 journalistes. Le «contexte», c'est la présentation de la première loi du quinquennat six heures après l'ouverture d'une enquête préliminaire sur l'affaire Richard Ferrand. Le procureur de Brest veut rechercher si le montage immobilier du proche d'Emmanuel Macron constitue«une infraction pénale en matière d'atteinte aux biens, de manquement au devoir de probité et aux règles spécifiques du code de la mutualité». De quoi accentuer la pression médiatique sur le ministre de la Cohésion des territoires, mais surtout politique sur le Président. «On ne va pas pouvoir tenir longtemps comme ça», pronostique un conseiller de l'exécutif comptant les jours qui séparent le gouvernement des législatives.
Bateau de sauvetage
Macron, lui, n'en a cure : tenir tête à la presse fait partie de ses marqueurs. Il affiche donc son soutien inoxydable à Ferrand, enquillant les marques d'affection, de l'Elysée à la Bretagne, d'où le secrétaire général d'En marche est originaire et où il brigue un nouveau mandat de député. Mercredi, après un passage sur les chantiers navals de Saint-Nazaire, les deux hommes étaient à Vannes pour un «dîner républicain». Jeudi, c'est à Lorient que Macron a passé la matinée, voguant sur un bateau de sauvetage en mer avant de croquer des langoustines, loin des journalistes. «Tenez bon», ont lancé des curieux venus récolter leur selfie présidentiel sur le port. La presse repart bredouille sur ce que le gouvernement appelle le «débat» et non «l'affaire» Ferrand : pas un mot de Macron. «Le porte-parole s'est exprimé, le Premier ministre aussi. Le gouvernement est un tout, l'Elysée n'a pas à en rajouter», insiste Sibeth Ndiaye, chargée de la communication présidentielle.
Sur le fond, la présentation en Conseil des ministres de cette loi, «compliquée à écrire» parce que «très innovante», dixit le Premier ministre, a été repoussée au 14 juin. Mais depuis une semaine - alors que le quinquennat n'en a que trois - les conflits d'intérêts potentiels de l'ex-dirigeant mutualiste Ferrand mazoutent chaque jour un peu plus la belle vague macroniste promise aux législatives. D'où cette présentation en grande pompe : le gouvernement avance sur le chemin du «nouveau monde» et tient à le faire savoir. Le texte, qui va plus loin que les engagements de campagne du candidat Macron, est là pour «ramener la confiance» et «en finir avec le deux poids, deux mesures» afin que «les règles soient désormais les mêmes pour tous les citoyens, quel que soit leur rôle dans notre vie démocratique», insiste François Bayrou, qui avait fait de cette opération vertu politique la principale condition de son ralliement à Macron en février. La loi compte une vingtaine de mesures modifiant le financement des partis et les pratiques parlementaires. Une «disruption», dit-on en langage Macron, après une présidentielle marquée par les affaires et la progression du Front national.
Pupitre
Place Vendôme, pendant une heure et demie, François Bayrou se réfugie derrière le code de procédure pénale - un gros pavé relié de rouge qu'il a posé sur son pupitre - pour ne pas commenter les ennuis de Richard Ferrand : le ministre de la Justice respecte l'indépendance des magistrats. Mais son propos liminaire, parfois acide, laisse peu de doutes sur l'analyse qu'il fait de la situation de son collègue. La loi ne porte plus le nom de «moralisation de la vie publique», utilisé jusque-là par l'exécutif, car «la morale est une question de conscience personnelle : on préfère qu'elle soit exigeante que laxiste mais personne peut imaginer qu'un texte va rendre quelqu'un vertueux». Richard Ferrand appréciera.