«Lui donner sa chance.» La vague des députés En marche qui devrait, selon tous les sondages, recouvrir la France et donner à Emmanuel Macron au minimum une majorité absolue, sinon historique, n'est pas vraiment soulevée par un vent d'enthousiasme débridé. Certes, les Français ont apprécié dans leur grande majorité les premiers pas du jeune président. Certains lui reconnaissent même un vrai talent, mais beaucoup se gardent de lui signer un chèque en blanc. Les Français revendiquent une forme de légitimisme républicain, ou du moins de cohérence électorale. Ce n'est pas un état de grâce, mais une curiosité, à la fois bienveillante et attentive. C'est déjà beaucoup. Et avec la logique du scrutin majoritaire à deux tours, et une abstention qui s'annonce élevée, ça devrait suffire pour lever un raz de marée à l'Assemblée nationale.
Palavas-les-Flots : «On a un sentiment de renouveau»
A Palavas, vendredi. Photo David Richard. Transit pour Libération
Dans ce petit restaurant de Palavas (Hérault), on savoure les derniers instants calmes : la saison estivale n'a pas vraiment débuté, la station balnéaire n'est pas encore envahie. Campé derrière le comptoir, Eric, 45 ans, confesse tout en tapant une addition : «A la présidentielle, j'ai choisi Macron non par défaut, mais par adhésion. Ce qu'il a fait jusque-là, ses réformes, son gouvernement, ça me paraît bien, on a un sentiment de renouveau.» Dimanche, il votera «sans hésiter» pour le candidat de La République en marche (LREM). En slalomant toute l'année entre les tables du restaurant, Eric est habitué à entendre parler politique. Il soupire : «Beaucoup ici sont pour Le Pen. Pour le moment, on ne les entend plus trop, mais je pense qu'ils attendent Macron au tournant.»
Attablées près du comptoir, Marie et Jeanne, deux copines de 72 et 80 ans, dégustent leurs assiettes de seiches. «On a toutes les deux voté pour Dupont-Aignan au premier tour, et pour Macron au deuxième, pour éviter Le Pen.» Mais pour les législatives, leurs avis diffèrent : «Moi je vais soutenir le candidat de Macron, ça me semble cohérent, tranche Marie. Il faut lui laisser ses chances, à ce jeune président, voir ce qu'il a dans le ventre. Et puis le pays a besoin de réformes.» Jeanne, elle, va voter à droite afin, dit-elle, «de ne pas lui donner les pleins pouvoirs». A quelques tables de là, Annie, 57 ans, trouve aussi que le Président est «suffisamment bien assis» : «Moi aussi j'ai voté pour lui par défaut, parce que je hais le FN. Aujourd'hui il faut bien reconnaître qu'il n'est pas mal, qu'il a fait changer des têtes et insufflé un peu d'air frais… D'ici à revoter pour lui dimanche, a priori non.» Au contraire, «il faut lui donner le maximum de députés !» rétorque Michel, 78 ans, ancien huissier de justice. «Même si je suis de droite, j'ai voté pour Macron et à présent, il me plaît bien ce jeune, il bouge, il se démerde, il s'est entouré de gens compétents…» Et d'ajouter, tout en déshabillant de petits carrés de chocolat : «Le soir de son élection, son arrivée dans la cour du Louvre, ça avait de la gueule, pas vrai ?»
Sur le quai, le son de cloche s'avère bien différent. Jacques, 55 ans, pêcheur depuis vingt-sept ans, a du mal à cacher son amertume tandis qu'il trie les coquillages pris dans ses filets. «Macron, j'ai pas voté pour lui. C'est un jeune loup et les énarques ne pensent qu'à leur gueule. Moi j'ai toujours eu le cœur à droite mais là, je ne m'y reconnais plus.» Sur son étal, les soles, les plies et les escargots de mer attirent quelques passants. Concentré sur ses filets, Jacques poursuit : «Oui, j'irai voter dimanche, mais pas par envie, par dépit. Et franchement, je ne sais pas pour qui. On a l'impression qu'ils nous prennent tous pour des lapins de trois semaines.» Pour des quoi ? «Pour des cons, quoi.»
Lyon : «Ça ne donne pas envie de lui ouvrir un boulevard non plus»
A Lyon, vendredi. Photo Hugo Ribes. Item pour Libération
Dans la métropole du Rhône, on guette la vague macroniste. Mais sur le plateau de la Croix-Rousse, quartier réputé populaire et «bobo» à la fois, Emmanuel Macron est talonné par La France insoumise. «Moi, j'ai voté pour Mélenchon mais je n'ai pas aimé son attitude après le premier tour. Maintenant que Macron est là, autant lui donner la majorité à l'Assemblée, même si ça m'inquiète pour le côté social», confie un jeune entrepreneur. «Ce qui peut me faire hésiter, ce sont les sondages, ça biaise tout. A force de parler de l'écrasante majorité qu'aura Macron, ça ne donne pas envie de lui ouvrir un boulevard non plus», lance-t-il avant de démarrer son scooter. En face de la place de la Croix-Rousse, un passant s'arrête devant l'affiche du macroniste Hubert Julien-Laferrière, maire du IXe arrondissement et proche du ministre de l'Intérieur, Gérard Collomb. «Je ne connais pas du tout ce candidat mais il y a Emmanuel Macron en photo à côté, ça éclaire !» s'amuse Félix. «Moi, j'hésitais avec Fillon à la présidentielle, mais je suis devenu un macroniste convaincu, poursuit ce chef d'entreprise retraité. Ces premiers pas, c'est un sans-faute.»
Sur le boulevard principal, à l'heure du marché, Leïla s'interroge. «J'ai voté pour Macron au second tour mais je ne veux pas lui donner un chèque en blanc», raconte cette jeune médiatrice dans la culture. Le paysage politique local la fait d'autant plus hésiter. Il faut dire que la deuxième circonscription du Rhône, réputée de gauche, compte une candidate coriace : la dissidente socialiste, Nathalie Perrin-Gilbert, maire du Ier arrondissement à la tête du mouvement citoyen de gauche Gram, connue pour tenir tête au maire de Lyon. «Sans elle, je votais En marche direct !» s'exclame Leïla.
Sablé-sur-Sarthe : «Il faut faire confiance aux jeunes, c’est un bon petit gars»
A Sablé-sur-Sarthe, quinze affiches sur les panneaux électoraux mais zéro marcheur parmi eux. Comme dans 50 autres territoires, La République en marche n'a investi personne dans cette 4e circonscription de la Sarthe, pour mieux ménager la tête d'affiche du coin, Stéphane Le Foll, ministre de l'Agriculture de François Hollande et député sortant. Ici, c'est le bastion historique de François Fillon, dont le manoir est niché dans la verdure alentour. Mais après un hiver politiquement agité à cause de l'affaire Fillon, le scrutin de dimanche suscite dans la ville de 12 000 habitants un intérêt tout relatif. «J'ai un peu décroché des infos après la présidentielle», dit Marcel, rencontré à un tournoi de pétanque organisé par une association de retraités. Une petite centaine d'anciens s'appliquent à viser le cochonnet. Une femme sur un banc dit qu'elle n'est «pas là» ce week-end. «Et pour les législatives, je ne fais pas de procuration.» Comme Marcel, elle a voté pour l'ancien Premier ministre le 23 avril.
Ici, «chez Fillon», l'arrivée d'Emmanuel Macron au pouvoir inspire des sentiments divers mais rarement passionnés. De l'indifférence à la prudence bienveillante, en passant par le pragmatisme parfois un brin résigné. «Pour l'instant, il n'y a rien à lui reprocher», «il a l'air intelligent» ou «ça fait un peu de sang neuf», constate-t-on à droite, à gauche.
Un jeune homme tatoué, dans la rue : «Il va être là pendant cinq ans alors autant lui laisser sa chance. Il faut lui donner une majorité.» Si le premier mois de mandat n'a pas franchement marqué les Saboliens, beaucoup saluent l'âge de Macron : «Il faut faire confiance aux jeunes, pense un homme âgé. C'est un bon petit gars.» Même un mélenchoniste rencontré au bord de la Sarthe explique dans un haussement d'épaules ne pas être a priori «contre» Macron. Ce quinquagénaire prof de tennis l'a trouvé «courageux» lors de l'épisode Whirlpool pendant l'entre-deux-tours. Il est quand même partagé : «Maintenant qu'il est là, il faut lui donner un peu de pouvoir mais pas trop non plus…» réfléchit Olivier, inquiet d'un programme présidentiel «dangereux pour les petites gens».
Marseille : «On a l’impression que le mec est motivé»
Pendant toute la campagne présidentielle, Libération s'était invité dans le vestiaire d'une équipe marseillaise de handballeurs amateurs. On les avait quittés en mode «vote utile», jouant quasi-collectif en faveur d'Emmanuel Macron au second tour de la présidentielle. Un mois plus tard, Jean-Claude, le doyen du groupe, qui avait déjà choisi le nouveau président dès le premier tour, est séduit. «Dimanche ce sera plus un vote d'adhésion, souligne le quinqua. Déjà, il a remis un peu de solennité à la fonction. Et puis il a explosé tous les partis. Je ne sais pas si on peut appeler ça une révolution, mais moi, ça me plaît. Ce serait dramatique de ne pas lui donner la majorité à l'Assemblée.»
Romain, son coéquipier, entend l'argument, mais il hésite encore : «Tout ça est encore un peu frais, dit le trentenaire tendance Les Républicains. Mais déjà, on a l'impression que le mec est motivé. Et puis il fait ce qu'il a dit et ça, je respecte.» Gilles aussi n'a pas encore tranché entre son bulletin blanc et le candidat du Président. «Ça me fait bizarre de voter pour des inconnus», souffle le joueur, qui constate tout de même que ses lignes ont bougé : «Inconsciemment, quand j'entends les attaques contre lui, j'ai tendance à me dire qu'il faut laisser sa chance au produit là où, jusqu'à présent, j'étais plutôt dans le "tous pourris". J'ai voté pour lui au second tour, la logique voudrait que je continue… Mais je n'ai pas encore tranché.»
Julien, lui, veut rester logique : l'ancien sympathisant LR est séduit, il glissera son bulletin LREM dès dimanche. «J'aime le fait qu'il soit jeune, souriant, bilingue… Il impulse un dynamisme qu'on n'avait plus avec les deux derniers présidents. Pour l'instant, il fait un sans-faute sur ce plan. Après, j'attends des actes forts. Je ne suis pas dupe, c'est de la com…» De la com voire «du vernis», redoute Kader, socialiste envers et contre tous: «On l'a bien vu avec la petite phrase sur les "kwassa-kwassa" : dès qu'on gratte un peu, il y a, comme chez ses prédécesseurs, un mépris pour les sans-dents… Après, je ne veux pas être buté. Entre lui et Les Républicains, au second tour, je le choisirais encore.» Nicolas, l'enseignant mélenchoniste, n'hésitera pas non plus en cas de duel face à la droite. Quant au premier tour, c'est une autre affaire… « Autour de moi, plusieurs personnes sont convaincues. C'est déjà ça : les gens sont plus optimistes, ça donne un élan. Moi, je suis un utopiste : tout en restant sceptique, je me dis qu'on peut lui donner sa chance.»
Aulnay- sous-Bois : «Il faudrait terminer le ménage pour tourner une page»
En Seine-Saint-Denis aussi, les gens utilisent le champ lexical de la tectonique des plaques : Emmanuel Macron a créé des failles partout. Ce qui fait sourire Thierry comme un bébé : «Les gens de gauche et de droite courent dans tous les sens pour être En marche. Ça permet de voir les vrais visages de ceux que l’on voit depuis des années. Rien que pour ça, il faut remercier le Président». Pour autant, les quidams ne savent pas trop quoi répondre quand on dégaine «Que vous inspire Macron un mois après son élection ?» Une quinqua, ouvrière et habitante de Drancy : «Je n’ai pas voté Emmanuel Macron pour ses idées, mais pour faire le grand ménage. Il faudrait le terminer aux législatives pour tourner une page.» Au conditionnel : elle s’en fout des législatives.
Dans la huitième circonscription, à Aulnay-sous-Bois, le candidat LREM provoque quelques railleries. Les gens lui reprochent des crochets ici et là dans différentes formations politiques. Il n’empêche que Valérie, professeure de 47 ans, s’en moque : «Je ne le connais pas, j’ai simplement lu sa profession de foi. Une seule chose m’aurait dissuadée de voter pour lui : une expérience chez les extrêmes.»
Ex-militante à l’UDF, déçue par le Modem et l’UDI, elle précise : «Macron ne fera pas la révolution, mais il a décidé de dépasser les logiques partisanes. De toute façon, avec qui pourrait-il y avoir une cohabitation ? La gauche est éclatée, les Républicains sont embourbés dans les affaires. Je vais voter LREM, sinon, on ne pourra jamais faire le véritable bilan de Macron.»