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Libération
Interview

Gaël Brustier : «Pour la France, c’est un 1958 durci. Pour la gauche, c’est l’année zéro»

Le politologue analyse les résultats du premier tour des législatives.
Dans un bureau de vote marseillais, le 11 juin. (Photo Patrick Gherdoussi. Divergence)
publié le 11 juin 2017 à 20h36

«Quand on fait une politique qui déplaît au cœur de son électorat, on déstabilise forcément son propre parti. Comme d’autres formations en Europe qui ont mis le cap à droite, le PS, en collant à la politique de François Hollande, s’effondre. Benoît Hamon n’a rien pu faire : le cœur de l’électorat socialiste était déjà parti. C’était trop tard pour redresser la situation. L’état de confusion idéologique du pays s’est aggravé. Ces législatives n’ont pas dérogé à la règle depuis l’inversion du calendrier électoral sous Jospin : le parti vainqueur de la présidentielle - LREM - a fait la seule campagne nationale qui soit. Le PS a fait 577 campagnes locales… Or sans campagne nationale, sans message clair, quelles étaient les raisons pour un électeur de voter PS ? Le Parti socialiste n’a pas fait campagne. Déjà mal en point, il s’est effondré sur lui-même : l’absence de stratégie collective a achevé nombre de sortants.

«C’est un tournant dans l’histoire de la gauche. Les partis de l’union de la gauche - le PS et le PCF - font autour de 10 % des voix ! Les références politiques, les codes, les modes d’organisation, les patrimoines sont dépassés. Pour la France, c’est un 1958 durci, pour la gauche, c’est l’année zéro.

«Le PS est aussi victime de la crise de régime touchant nos institutions. Les commentateurs parleront, avec cette vague, de nouveaux députés LREM, de renouvellement. Je vois les choses autrement : pour moi, la crise de régime cherche une issue dans le durcissement de ses fondamentaux : un président tout puissant ; des candidats choisis sur CV, comme dans une entreprise, sur une hypothèse de totale obéissance ; un Parlement là pour avaliser les réformes décidées d'en haut par le chef de l'Etat… C'est un retour aux fondamentaux de la Constitution de 1958 dans sa forme la plus caricaturale : le parlementarisme était "rationalisé", il est désormais relégué et la haute fonction publique est, elle, couronnée. Le régime se rigidifie, se durcit… C'est un retour à l'habitus premier des élites de la Ve. Mais attention, la crise de régime étant en cours, tout peut se retourner très vite. Nous n'avons pas, sous nos yeux, le système définitif du monde nouveau que l'on attend. Au contraire.»