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Voting Day

Législatives : à Lille, 25 candidats pour une âpre bataille

Reportage dans la première circonscription du Nord, où les électeurs se préparent à élire le ou la successeure du socialiste Bernard Roman. Parmi les candidats, l'ancien ministre délégué à la Ville, l'aubryste François Lamy.
Un isoloir dans un bureau de vote à Nantes, en juin 2012. (Photo Stephane Mahe. Reuters)
publié le 11 juin 2017 à 10h53

9 heures, près de la mairie. À Lille, à l'école Lalo-Clément près de la mairie, la petite Lili est toute fière d'avoir mis le bulletin de son père dans l'urne transparente. «J'ai vu tomber l'enveloppe, Papa», chuchote-t-elle en sortant. On est ici dans un des bureaux les plus macronistes de Lille. Une vieille dame signe, et juste avant de glisser son bulletin, demande : «Je dois revenir la semaine prochaine ? Vous pensez qu'il y aura un ballotage ?»

Il y a de grandes chances, oui : dans la première du Nord, les électeurs ont le choix entre 25 candidats pour succéder au socialiste Bernard Roman, qui a accepté de laisser sa place après quatre mandats aux scores confortables pour le PS. Ici, François Lamy, député socialiste de l'Essonne, qui se présente avec la bénédiction de Martine Aubry, avec la mairie dans le viseur, aura fort à faire pour gagner sa place au second tour et espérer gagner le siège qui lui a été offert sur un plateau par la maire de Lille. Au premier tour de la présidentielle, Jean-Luc Mélenchon était en tête avec plus de 30%, suivi d'Emmanuel Macron à 24%. Le socialiste Benoît Hamon n'est arrivé que cinquième, à près de 10,5%, derrière la droite et le FN.

Sylvain, statisticien économiste en télétravail pour un hôpital parisien, a voté pour l'alliance écologiste indépendante. «Pas pour Europe-Ecologie, parce que je ne crois pas au revenu universel, c'est une bonne idée, mais ce n'est pas financé.» Au premier tour de la présidentielle, il avait voté Macron, «par peur d'un second tour Fillon-Le Pen», et il est déjà déçu par Emmanuel Macron au pouvoir, à cause des premières affaires. Dominique, pharmacienne à la retraite, a voté pour le candidat LR Nicolas Lebas. «J'ai failli voter pour En marche, par peur d'un duel à gauche au second tour.» Elle est séduite par Macron, mais trouve qu'il y a «trop de gens de gauche» au gouvernement.

11 heures, à Moulins. Vers 11 heures, dans le bureau lillois du quartier populaire de Moulins, où Jean-Luc Mélenchon a explosé le plafond, à 51,2% des suffrages, dans la cantine de l'école Arago, Thibaud, analyste programmeur, confie qu'il a voté pour le candidat de la France insoumise, Adrien Quattenens. Son amie, médiatrice culturelle, qui souhaite rester anonyme, a voté, pour le Parti animaliste. Pourquoi ? «Parce qu'à la présidentielle aux deux tours, j'ai voté pour le moins pire, et là, j'ai envie de faire ce que je veux». 

Dans cette circonscription à 25 candidats, le vote, à gauche, devrait être très émietté. Les deux trentenaires ont voté pour Jean-Luc Mélenchon au premier tour de la présidentielle, et Emmanuel Macron au second, pour faire barrage à Marine Le Pen et sont scandalisés que les partisans de la République en marche puissent s'approprier leur vote anti-FN et le transformer en adhésion à Macron. «C'est ce qu'a dit Bayrou, mais aussi certains commentateurs à la télé.» Elle n'a «plus beaucoup de foi», et vient voter «pour ne pas froisser la famille et la belle-famille». Lui a voté FI par conviction, «si il y a moyen d'avoir quelques députés, au moins ça mettrait du mouvement dans l'assemblée, en tous cas plus que le pseudo-renouvellement à la En Marche, auquel je ne crois pas du tout». Ils sont tous les deux d'accord pour dire que «ça s'annonce super mal». Elle : «Il réussit à enjoliver son business, il va faire passer ses lois par ordonnances en juillet quand les gens seront en vacances, il nous prend vraiment pour des cons». À midi, dans le Nord, le taux de participation était de 16,55%.

14 heures, à Faches-Thumesnil. Dans le bureau de l'école La Fontaine à Faches-Thumesnil, près de Lille, la ville dont Nicolas Lebas, le candidat UDI-LR, est le maire, le taux de participation à 14h est à 27,9%. Dans cette ville, au premier tour de la présidentielle, Macron et Mélenchon étaient au coude à coude à 24%, et Le Pen à 20%. Marie-Françoise, secrétaire en invalidité, et peintre «à [ses] heures perdues», a voté pour le candidat La République en Marche, Christophe Itier. Cette catholique qui va à la messe «deux fois par semaine» vote à droite d'habitude, mais elle veut donner sa chance à Emmanuel Macron. «Je ne dis pas que c'est le Père Noël, qu'il va tout arranger. Mais pour montrer ce qu'il a dans les tripes, il faut lui donner une majorité.» Elle pense qu'il peut «conduire la France, de façon plus sereine». Elle regrette d'avoir voté Hollande en 2012 : «Il y a des retraités dans une grande détresse, qui n'ont pas de quoi manger». Elle paie 800 euros de taxe d'habitation, et elle est soulagée qu'Emmanuel Macron ait le projet de la supprimer. «Mais je n'ai pas voté pour lui en pensant à ma petite personne.» Ces jours-ci, elle peint une toile recto verso, «sur la France, aux couleurs bleu, blanc et rouge».

Jérôme1, infirmier libéral, a voté pour son maire, Nicolas Lebas. Il trouve «ridicule» la dispersion des candidatures -25 au total, mais dans les faits plutôt 18, car dans les trois bureaux où on s'est rendu, sept candidats n'avaient pas déposé de bulletin. Il a voté Fillon au premier tour de la présidentielle, Macron au second. Si le candidat de la République en marche est au second tour, il votera pour lui. Jean, conseiller Pôle emploi, a voté France insoumise. Il désapprouve Macron au point d'avoir voté blanc au second tour de la présidentielle. «C'est un libéral pur et dur. On a Thatcher avec 40 ans de retard.»

17 heures, à Loos. «Je pensais voter pour le candidat d'En Marche, mais j'ai changé d'avis à la dernière seconde.» Nagui, qui travaille dans une administration, sort du bureau de vote de l'école Curie de Loos. Il n'arrive plus à se souvenir du nom du candidat qu'il a choisi. «Le Parti Pirate. » Donc Slimane Abdelfakar. «J'ai voté pour lui parce c'est humoristique, il dit qu'il faut hacker l'assemblée. Parce que ça remet en cause le système, mais aussi par affinité d'origine, je suis d'origine maghrébine. S'il y avait eu un danger pour le candidat En Marche, je ne l'aurais pas fait. Il n'y a aucun risque, ça va être un raz de marée.» À la présidentielle, il a d'ailleurs voté Macron aux deux tours. Il se rattrappera au second tour. «La semaine prochaine, ce sera différent.»

Dans cette ville ouvrière près de Lille, longtemps socialiste, qui a basculé à droite, Mélenchon et Le Pen étaient au coude à coude au premier tour de la présidentielle, à près de 27%, et Emmanuel Macron autour de 20%. Ahmed, chauffeur de taxi, et Malika, travailleuse sociale qui a choisi d'arrêter de travailler, ont voté France insoumise. Malika pense que «la démocratie est en danger». Elle ne comprend pas que la devise de la France ne figure plus au fronton de l'école de ses deux filles, ni que le drapeau tricolore n'y soit que les jours d'élection, et sans drapeau européen. «Un des gros problèmes, c'est l'école. Quand l'école était forte, elle fédérait. Si elle était forte, on n'aurait pas tous ces problèmes de communautarisation, de tous ordres : riches, pauvres, musulmans, catholiques», dit cette athée. Elle ne croit pas que le candidat de la France insoumise l'emportera dans la circonscription. Si La République en Marche est au deuxième tour, elle voterait pour ? «Non. Un type qui dit que les jeunes français doivent avoir envie de devenir milliardaires ? Pas possible.»

1. Le prénom a été modifié.