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Analyse

Législatives : abstention partout, opposition nulle part

Au terme d’un premier tour terni par le pire taux de participation de l’histoire de la Ve République, la formation présidentielle est en passe d’obtenir une majorité écrasante à l’Assemblée.
Dans un bureau de vote marseillais, le 11 juin. (Photo Patrick Gherdoussi. Divergence)
publié le 11 juin 2017 à 23h36

L'énormité de la vague macronienne est à la mesure du dolorisme qui, ces derniers jours, avait saisi les ténors des vieux partis - «génocide dans la vallée» pour un député LR, «boucherie» et «retraite de Russie» côté PS. Jamais sous la Ve République un président n'a été, à l'issue du premier tour, sur le point de disposer d'une majorité si écrasante à l'Assemblée nationale. Avec plus de 32 % des suffrages dimanche, le parti du chef de l'Etat, mis en orbite il y a à peine plus d'un an, peut espérer engranger de 415 à 455 sièges au Palais-Bourbon avec le Modem.

Un «message des Français sans ambiguïté», a pavoisé le Premier ministre, Edouard Philippe, malgré une abstention elle aussi historique, autour de 50 %. Ce résultat quasi stalinien réduit en tout cas toute forme d'opposition à l'anecdote et relègue les vieux partis au rang de reliques. Quand le patron du PS, Jean-Christophe Cambadélis, éliminé au premier tour, s'inquiète d'un tel «unanimisme», Alain Juppé met en garde contre une Assemblée «monochrome».

Implosion

A cet égard, la gauche de gouvernement, du PS à EE-LV, est presque annihilée, sauvant entre 20 et 30 sièges. Le FN, qui se voyait déjà disposer d'un groupe parlementaire actif, déchante, devant se contenter de 1 à 5 députés, dont sans doute Marine Le Pen mais sans Nicolas Bay, responsable de la campagne législative, éliminé en Seine-Maritime. Du côté de La France insoumise, la percée de Mélenchon à la présidentielle ne semble pas avoir bénéficié à ses candidats. Le parti pourrait toutefois être en mesure de former un groupe en cas de réconciliation avec le PCF. Seuls LR et l'UDI sauvent temporairement les meubles, avec entre 70 et 110 sièges estimés, mais au prix d'une probable implosion à venir entre pro-Macron et conservateurs irréductibles. François Bayrou, le président du Modem, lui, jubile. Sa formation revit. Son parti devrait constituer un élément clé de la future majorité avec, selon les estimations, entre 30 et 60 députés. Pas suffisant cependant pour pouvoir contrer Macron en cas de désaccord.

Monarque

Même avec un air du temps favorable à un dégagisme soft sous couvert de «renouvellement» par la «société civile», le pedigree des candidats En marche, des inconnus en grande majorité, n'explique évidemment pas ce raz-de-marée historique. Incarnations interchangeables de leur chef de file, ils doivent tout ou presque à la vision d'Emmanuel Macron. Lequel jouait gros. Sans majorité à l'Assemblée, les rêves de réformes tous azimuts du président «jupitérien» en auraient été compromis.

Pour éviter le pire, Macron s'est appliqué durant toute la campagne à montrer le meilleur de lui-même, se glissant avec gourmandise dans le rôle du monarque républicain. Servi par l'agenda international, il a construit pas à pas sa stature d'homme d'Etat, s'imposant aux yeux du monde en leader crédible de la cinquième puissance mondiale (l'homme qui concasse les phalanges de Trump et soutient le regard de Poutine). Sur le plan intérieur, il a envoyé une poignée de cartes postales parfaitement calibrées, tout en passant sous silence les sujets gênants.

Macron donne le change avec brio, et ça marche. Les convertis le soutiennent, et les autres s'abstiennent, résignés, pour lui «donner sa chance», en témoignent l'abstention et la mobilisation des sympathisants macronistes, seuls au rendez-vous des urnes. Le quitus donné à Macron vaut pour la plupart de ses ministres. Le locataire de Bercy et ancien candidat à la primaire de la droite, Bruno Le Maire, s'impose dans son fief de l'Eure, tout comme le porte-parole du gouvernement, Christophe Castaner, dans les Alpes-de-Haute-Provence. Le jeune secrétaire d'Etat au Numérique, Mounir Mahjoubi, se qualifie lui aussi sans difficulté à Paris. En dépit de ses turpitudes immobilières, le ministre de la Cohésion des territoires, Richard Ferrand, prend largement la tête dans sa circonscription, améliorant même de 2 points son score de 2012, alors sous étiquette PS. Seule la ministre des Outre-Mer, Annick Girardin, habituée des plébiscites, est en ballottage à Saint-Pierre-et-Miquelon. Pas de quoi gâcher le triomphe.