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Libération
Reportage

En Haute-Garonne, «un échec à transformer la vie des gens»

Dans cette terre socialiste, la débâcle est totale. Les élus locaux pointent le décalage entre la tête du parti et la réalité quotidienne.
A Cintegabelle en Haute-Garonne, le 12 juin. (Photo Ulrich Lebeuf. MYOP)
publié le 12 juin 2017 à 20h46

Soleil de plomb, pas un chat dans les rues, silence de mort. A Cintegabelle, commune du Lauragais (Haute-Garonne) de 2 800 habitants dont Lionel Jospin fut en son temps conseiller général, tous les maires sont socialistes depuis 1945. Dans le bureau de vote installé au rez-de-chaussée dans la mairie, le portrait de François Hollande - en attendant celui du nouveau président de la République - semble contempler les isoloirs vides dans un silence pesant. «Toute la journée d'hier, j'ai vu défiler les militants socialistes. Avant même le résultat des élections, ils étaient abattus comme s'ils venaient à un enterrement», raconte Marie, assesseure, l'une des rares à accepter de parler au lendemain de la défaite historique du PS dans ce département très ancré à gauche. Aux législatives de 2012, les socialistes avaient remporté 9 de ses 10 circonscriptions. Dimanche, ils ont tout perdu ou presque, balayés par la vague En marche.

«Raclée». Les députés sortants, Christophe Borgel, le «monsieur élections» du PS, Kader Arif, ancien secrétaire d'Etat, Catherine Lemorton, porte-parole d'Arnaud Montebourg lors de la primaire, Gérard Bapt et Martine Martinel ont été éliminés dès le premier tour. Une autre sortante, Monique Iborra, est passée avec armes et bagages à En marche. Carole Delga, la présidente du conseil régional, ne se représentait pas, de même que Françoise Imbert. A l'arrivée, seul Joël Aviragnet a réussi à se qualifier pour le second tour. Même dans la commune de Cintegabelle, la candidate du PS a fini troisième derrière celle du FN et très loin derrière la candidate LREM, qui totalise 31,57 % des suffrages exprimés. «C'est du jamais-vu. On a pris une raclée», lâche Sébastien Vincini, 39 ans, secrétaire départemental du PS et élu municipal. Il a passé sa soirée à écouter «les pleurs des perdants». «Des élus de terrain qui n'imaginaient pas une telle défaite face à des inconnus qui se sont contentés de poser deux affiches.»

Le temps n'est plus aux analyses policées de lendemain d'élections. «Le logiciel du PS n'a pas évolué depuis les années 90. Avec 3 600 adhérents à jour de cotisations, la fédération de Haute-Garonne est la deuxième sur le plan national. Ça vous donne une idée de là ou nous en sommes, ajoute Sébastien Vincini. Les gens le disent. Ils en ont marre de nos dirigeants à des années-lumière de leur réalité quotidienne : l'emploi, le logement, la peur de la mondialisation. On n'en est plus à rebâtir, c'est le terrain lui-même dont nous nous sommes éloignés.»

Pôle Emploi. Changement de décor : un bar bobo du centre-ville de Toulouse où est attablé Romain Cujives, 32 ans, «bébé Montebourg» et conseiller municipal de l'opposition de la ville, dirigée depuis 2014 par Jean-Luc Moudenc (LR). «On avait les clés du camion, le pouvoir, l'Assemblée. La claque que l'on vient de prendre est la conséquence de notre échec à transformer la vie des gens. Nos dirigeants ne parlent plus qu'à des nantis. Ils ont oublié toutes celles et ceux qui gagnent 2 500 euros en bossant à deux avec des gosses et qui se sentent déclassés dans les communes périurbaines autour des grandes métropoles comme Toulouse», analyse-t-il. Conseiller du président du conseil départemental PS, il voit «nombre de petits élus engagés sur le social dégoûtés par ce gâchis». Quand on tente de les joindre sur leur téléphone, les députés PS sortants battus sont aux abonnés absents. «Trop triste pour parler. Aujourd'hui, je dois gérer les licenciements des gens de mon équipe», finit par lâcher cet élu défait, «inscrit dès aujourd'hui» à Pôle Emploi.

Désormais retraité du Parti socialiste, Martin Malvy, ancien ministre de Mitterrand et ex-président du conseil régional, n'a rien à perdre. «On a assisté à l'effondrement de notre formation politique. Les raisons sont multiples et ne datent pas d'hier. Il y a eu Cahuzac et les affaires, la déstabilisation permanente du gouvernement de François Hollande par les frondeurs issus du PS, la communication insignifiante du président de la République et, surtout, l'impuissance à répondre aux inquiétudes existentielles des nouvelles générations.» Un constat accablant qui explique la bérézina.