Quand le faiseur de roi se fait boulet. Qu'il y ait ou non une affaire des assistants du Modem sur le plan judiciaire, il y a d'ores et déjà une affaire politique François Bayrou. Le comportement du garde des Sceaux, qui a eu la légèreté et même la grossièreté intellectuelle d'invoquer son statut de simple «citoyen» ou d'«homme libre», est en cause. Et l'intéressé ne peut s'en prendre qu'à lui-même. Il appartiendra bien sûr à la justice – alors qu'une enquête préliminaire a été ouverte par le parquet de Paris – de caractériser les faits et d'engager si besoin des poursuites. Mais le ministre de la Justice, – à ce titre patron des parquets de France – a déjà multiplié les dérapages.
Premier épisode fin mai. François Bayrou partage sur son compte Twitter le communiqué de défense de Marielle de Sarnez, sa collègue du gouvernement mais surtout numéro 2 du Modem, visée comme une vingtaine d’autres eurodéputés par une enquête préliminaire à la suite d’une dénonciation d’une élue FN. En cause : le possible usage national pour le Modem d’assistants parlementaires payés par le parlement européen. L’émoi, dans la magistrature et au-delà, suscité par le tweet du ministre de la Justice à ses plus de 600 000 abonnés aurait pu, aurait dû, servir d’avertissement à celui qui est tout sauf un néophyte en politique. Que nenni. On passe sur le changement de sa biographie sur Twitter, où il est redevenu simple maire de Pau...
Deuxième épisode mercredi dernier. Alors que la presse s'empare du dossier, à la recherche de documents et de témoignages, le garde des Sceaux décroche en personne son téléphone pour faire part de son agacement à la cellule investigation de Radio France. «[Il] s'est plaint […] des méthodes inquisitrices» des journalistes, jugeant que ceux-ci interrogent les salariés du Modem «de manière abusive», a raconté le patron de ladite cellule. Un interventionnisme caractérisé d'un des plus hauts personnages de l'Etat, visant un organe d'information du service public. Pour l'exemplarité on repassera.
Les sorties de route de Bayrou interpellent d’autant plus que l’homme a fait de la vertu en politique un credo majeur de son identité nationale. Il fut notamment un contempteur saignant et pertinent des errements du sarkozysme au pouvoir. Alors que le ministre qu’il est porte le premier texte du quinquennat, présenté comme majeur (il l’est) et portant précisément sur le rétablissement de la confiance entre les citoyens et leurs représentants, il y a comme un carambolage. Bayrou pointe, lui, une opération de basse politique. L’argument concerne le calendrier et l’origine supposée des révélations faites au parquet, mais il ne justifie en rien les fautes de goût du ministre en exercice. Même si celui-ci claironne qu’il a spécifiquement demandé à ne pas être informé par le parquet de l’enquête visant le Modem.
Troisième brique du cas Bayrou, son dialogue (de sourds) à distance avec le Premier ministre Edouard Philippe. Ce dernier a bien tenté, mardi matin sur France Info, un recadrage soft de son garde des Sceaux, mais celui-ci en a remis une couche dans la foulée, entonnant son refrain de l'homme libre. Bis repetita dans le Monde du jour. Il apparaît dès lors assez nettement que le ministre ne se sent devoir rendre des comptes qu'au seul chef de l'Etat. Et en tout cas pas à cet ex-député LR, qui appartenait jusque-là à une forme de ligue 2 de la politique et que des circonstances électorales ont conduit à Matignon alors que lui-même s'y serait bien vu. Toutes choses égales par ailleurs, Manuel Valls ou Arnaud Montebourg avaient peu ou prou la même indifférence confinant au dédain à l'égard de Jean-Marc Ayrault au début du précédent quinquennat. Mais ce qui s'appelait alors un couac est aujourd'hui qualifié d'ajustement.
S'il se fantasme intouchable, c'est que François Bayrou est convaincu que Macron lui doit en large part son accession à l’Elysée. Il n’en démordra pas. D’où ses oukazes sur les investitures pour les législatives ou le peu de cas qu’il fait d’Edouard Philippe. Mais alors que le Président pourrait disposer dimanche soir d’une majorité absolue XXL, le Modem, malgré les quelque 70 députés qu’il pourrait lui-même obtenir, serait loin d’avoir droit de vie et de mort sur les projets du gouvernement. De quoi relativiser sérieusement le poids parlementaire d’un Bayrou dans la nouvelle Assemblée macronienne. Et fragiliser sérieusement sa position au gouvernement.