Il a déboulé au pas de charge, les yeux comme des mitraillettes, tentant de semer la presse à ses trousses, après avoir lancé un peu engageant «Je me suis passé de vous pendant toute cette période, je continuerai.» Au lendemain de son élection dans l'Essonne, contestée par sa rivale de La France insoumise, Manuel Valls s'est présenté sans attendre à l'Assemblée, qui accueille toute la semaine les nouveaux députés. «Il y a eu une élection étroite mais en même temps nette. Ceux qui la contestent ont les moyens juridiques de le faire. C'est le Conseil constitutionnel qui décide si le recours est accepté. Pourquoi vouliez-vous que je vienne demain, après-demain ou dans une semaine ? Au nom de quoi ?» s'agace l'ex-Premier ministre, décidé à marquer d'emblée son territoire.
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Grand bain. Les autres élus qui ont traversé lundi l'allée en gravier du Palais-Bourbon offraient un visage plus rayonnant. Parmi eux, de nombreux primo-députés de La République en marche qui ont ignoré les recommandations du mouvement, lequel préconisait d'étaler les arrivées. On les repère à leurs yeux écarquillés : ils ne perdent pas une miette du prestigieux décor. Certains n'étaient entrés qu'une fois à l'Assemblée, en visite guidée ou pour les journées du patrimoine.
Le plongeon dans le grand bain médiatique est un peu brutal. Les voilà qui reculent quand les caméras leur sautent dessus. Avant d'aller chercher leur mallette - qui contient le règlement interne, l'écharpe tricolore et l'insigne à porter dans les cérémonies - et de remplir les formalités administratives, ils récitent leurs bonnes intentions : tous ont consciencieusement «hâte de se mettre au travail» et veulent être «députés à 100 %».
«Je serai à l'Assemblée mais aussi en circonscription pour m'abreuver du quotidien des gens», promet Pierre Person, élu macroniste à Paris. Florian Bachelier (LREM, Rennes) s'engage à mettre sa «carrière d'avocat entre parenthèses et [son] mandat au service de l'intérêt général». Fils de Jacques Barrot, Jean-Noël Barrot (LREM, Yvelines) a ressenti «beaucoup d'émotion en apercevant les colonnes de l'Assemblée». Quand on demande à l'un des novices son numéro, il hésite : «Je l'ai donné à tellement de gens, il va peut-être me falloir un deuxième portable, non ?» Et s'enquiert de l'attribution des bureaux : «Il paraît qu'il faut demander ceux avec un lit, c'est ça ?»
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«George Clooney». S'ils semblent impressionnés, on réalise, quand ils déclinent leur parcours, que certains de ces marcheurs ont fait chuter des poids lourds. Ainsi de Dominique Da Silva qui a battu, dans le Val-d'Oise, le LR Jérôme Chartier, «assez lourd à affronter», concède-t-il, surpris d'avoir remporté ce «pari fou». Tombeuse de Jean-Frédéric Poisson (soutenu par LR) dans les Yvelines, Aurore Bergé tenait à «se mettre au travail dès le premier jour. Durant la campagne, on a essuyé beaucoup de remarques condescendantes : parce qu'on n'aurait pas le parcours classique d'élus, on serait moins légitimes ? On sait qu'on n'a pas le droit à l'erreur».
En bras de chemise, veste à la main, Alexis Corbière (FI, Seine-Saint-Denis), passe en coup de vent. Avec ses collègues, qui viendront mardi en délégation, il compte bien «ouvrir sa bouche et se faire entendre» dans l'hémicycle. «Juste une photo», consent-il, accompagné de sa femme, Raquel Garrido, porte-parole du parti, qui s'esclaffe : «On dirait George Clooney !»
Un député battu erre salle des Quatre-Colonnes. «Salut jeune fille», lance Jacques Myard (LR) comme à son habitude. «Bonjour vieil homme.» Le maire de Maisons-Laffitte (Yvelines) prédit aux nouveaux «le ressac après la vague». Avant d'aller vider son bureau.