Smartphone à la main, Daoud n'a d'yeux que pour son application météo. Va-t-il pleuvoir aujourd'hui ? La question tracasse. Personne ne souhaite revivre le fiasco de la veille, mardi. «On était à Evreux, ça n'a pas arrêté de flotter», déplore ce retraité de 64 ans, lunettes de soleil fixées sur son crâne dégarni. Le chauffeur officiel de la caravane des militants de La France insoumise n'est pas serein, et il a raison. Une averse s'apprête à rincer les bonnes intentions des mélenchonistes venus à la rencontre des 40 000 habitants de Chartres.
Chartres, c'est la quatrième étape. Avant de rejoindre Marseille, où se dérouleront les universités d'été du mouvement du 24 au 27 août, trois camarades – Daoud, Emma et Abdel – sillonnent depuis dimanche le pays. En trois semaines, la «caravane» – en réalité une camionnette blanche placardée de 4 affiches – traversera 16 villes. «Le but, c'est de mobiliser contre la loi travail en allant dans certains quartiers où personne ne va», explique, depuis Paris, Alexis Corbière pour Libération. «On propose aussi des simulations pour informer les gens de leurs droits. Parfois les gens ne savent pas qu'ils peuvent toucher des aides de l'Etat», complète sur place Emma, étudiante et assistante juridique de 21 ans.
«C’est compliqué, là»
A 90 kilomètres de Paris, aux abords du marché d’un quartier populaire, voilà donc les trois compères prêts pour une journée de conquête. L’objectif, après une session parlementaire où les députés de La France insoumise ont réussi leurs premiers pas médiatiques : mobiliser dans la perspective du défilé du 12 septembre, à l’appel de la CGT, contre la loi travail. Une autre manif, organisée par le mouvement, est déjà prévue le 23 septembre. Pour éviter le flop, il faut faire de la retape au cœur de l’été, sans attendre la rentrée. Ça tombe bien : les dix autres militants insoumis du département venus prêter main-forte sont arrivés, la tonnelle est montée, les affiches et drapeaux bleu blanc rouge sont scotchés. Il ne reste plus qu’à brancher la sono pour diffuser les discours de Jean-Luc Mélenchon et la séance de tractage pour attirer les sympathisants peut commencer. Il est 10h30.
Une heure plus tard, les visages des insoumis rayonnent autant que le soleil, visiblement en RTT pour la journée. «Les gens ne viennent pas vers nous. C'est compliqué, là», reconnaît Pascale Bigard, une militante. Entre les aubergines et les courgettes, la rhétorique de Jean-Luc Mélenchon ne résonne pas. Il faut dire que les citoyens concernés par la politique se font rares sur la place du marché bordée d'immeubles. A Chartres, le taux d'abstention à la dernière présidentielle a été un peu supérieur à la moyenne nationale. Quant aux législatives, les candidats insoumis des deux circonscriptions qui divisent Chartres, Julien Morainnes et Pascale Certain, ont tout juste dépassé la barre des 10%.
«Arrêtez vos conneries, la politique est morte»
La bonne volonté et les pin's «France insoumise» accrochés au tee-shirt de Daoud ne peuvent donc rien face aux aigreurs politiques. «Arrêtez vos conneries, la politique est morte. On n'arrête pas de se faire baiser la gueule», s'énerve un Chartrois, tout en refusant un tract. «On voit bien qu'ils essayent de s'opposer à Emmanuel Macron, mais à quoi bon ? Les votes sont passés, la majorité est installée pendant cinq ans. Il faut pas chercher plus loin», s'accordent à dire un groupe de retraités trois mètres plus loin.
Sans renoncer, certains insoumis laissent échapper quelques remises en questions : «On est très mal organisé, tout s'est fait à l'arrache» ; «C'est trop improvisé pour que cela fonctionne» ; «Ces discours de Mélenchon qu'on diffuse dans les amplis, ça ne sert à rien» ; «Pourquoi mettre tous ces drapeaux bleu blanc rouge ? On dirait le FN». D'autres préfèrent se voiler la face : «C'est toujours compliqué de discuter avec les gens sur un marché. Ils n'ont pas forcément le temps.»