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Libération
Moralisation

Des députés LR montent au créneau contre la fin des emplois familiaux au Parlement

Une soixantaine de députés LR ont saisi jeudi le Conseil constitutionnel sur plusieurs points de la loi de moralisation de la vie politique, adoptée par le Parlement mercredi.
A l'Assemblée nationale, le 9 août. (Photo Jacques Demarthon. AFP)
publié le 11 août 2017 à 15h15

A un scandale près, Michel Mercier aurait pu, en bon connaisseur du sujet, juger de la constitutionnalité de l'interdiction des emplois familiaux. Las, le sénateur Modem a refusé mardi de siéger au Conseil constitutionnel, englué dans les révélations à répétition sur ses pratiques en la matière. Il n'aura donc pas son mot à dire sur la saisine déposée jeudi auprès de l'institution par une soixantaine de députés du groupe LR, qui assimilent cette mesure phare de la loi sur la moralisation de la vie politique à de la «discrimination à l'embauche». Un recours déposé jeudi après-midi en toute discrétion, aucun ténor de la droite n'ayant annoncé pareille intention la veille, au moment de l'adoption définitive de la loi par le Parlement. Depuis, silence radio ou presque sur les ondes, et les ténors de la droite sont aux abonnés absents pour défendre l'initiative.

La Déclaration des droits de l’homme citée six fois

Rare exception : jeudi matin, sur France Inter, le néodéputé LR Pierre-Henri Dumont montait prudemment au créneau, invoquant un «doute sur la constitutionnalité, dans le respect des institutions» de la loi, et non «pas une défense des emplois familiaux». En revanche, le porte-parole du gouvernement, Christophe Castaner, ne s'est pas privé de fustiger sur Twitter une «saisine honteuse, en catimini». Il est vrai que la loi avait été mise en chantier en réaction à l'affaire Fillon, souvenir éminemment douloureux à droite.

La saisine des députés LR, consultable sur leur site, vaut pourtant le coup d'œil. Loin de se limiter à la remise en question de l'interdiction des emplois familiaux, le texte s'attaque tous azimuts à la «loi relative à la confiance dans la vie politique», son appellation officielle. Sur la procédure, arguant de «la totale confusion» dans l'hémicycle au moment du vote de ces amendements, mais aussi sur le fond, remettant en cause les dispositions contre les conflits d'intérêts, les peines d'inéligibilité automatique et le projet de création d'une «banque de la démocratie». Néanmoins, c'est le démontage de l'article prévoyant l'interdiction de l'emploi d'un conjoint ou membre de la famille qui est le plus longuement étayé – les élus LR allant jusqu'à citer six fois la Déclaration des droits de l'homme, qui dispose que tous les citoyens sont égaux et «admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents».

Une entrave à la liberté du mariage

Pour ces parlementaires, l'interdiction des emplois familiaux «ne constitue qu'une mesure symbolique, alors qu'elle va créer une discrimination à l'emploi», qui ne se justifie selon eux «par aucun motif d'intérêt général». Et de poursuivre : «On ne voit d'ailleurs pas pourquoi la défiance s'exercerait de manière privilégiée à l'encontre d'un époux, d'une épouse, d'un enfant ou d'un ascendant et non à l'égard d'autres "liens sentimentaux"». Les députés évoquent par ailleurs l'obligation de licenciement que la mesure entraînerait en cas d'union entre un ou une élu(e) et son collaborateur ou sa collaboratrice, évoquant une entrave à la liberté du mariage. Argument qui rappelle celui utilisé il y a quelques années par l'ex-président de l'Assemblée nationale, Claude Bartolone, pour se défendre d'employer son épouse au sein de son cabinet. «Je n'ai pas embauché ma femme, j'ai épousé ma collaboratrice», avait-il alors rétorqué.

Dans le code pénal (mais aussi dans le code du travail qui traite plus spécifiquement de l'embauche), la discrimination vise tout préjugé sur le sexe, la race, la religion et autres opinions politiques et syndicales. Mais aussi «la situation familiale» : dans l'esprit, cela vise principalement les parents de jeunes enfants ou en passe d'en avoir un (cas typique d'une femme enceinte), réputés dans la tête des patrons être plus préoccupés par la gestion des couches-culottes que pour leur ardeur au travail… Dans leur recours, les députés LR misent ainsi sur une interprétation plus large de la «situation familiale» pour mieux dénoncer une «discrimination à l'embauche» visant leurs conjoint(e)s, pacsé(e)s ou rejetons.

L'argument se plaide, tout comme, par ailleurs, le recours visant à censurer l'article instituant une peine automatique d'inéligibilité de tout élu condamné pour délit financier. Les tribunaux ne se privent pourtant pas d'utiliser cette faculté d'infliger cette sanction complémentaire aux peines de prison, comme l'ont démontré les récents procès Cahuzac, Dassault ou Thévenoud. Pourquoi, dès lors, la rendre obligatoire, alors que son automaticité serait rigoureusement contraire au principe d'individualisation des peines ? Le gouvernement a pris ce risque d'anticonstitutionnalité comme solution de repli d'un autre risque de censure : l'idée initiale, une promesse de campagne, était d'imposer la production d'un casier judiciaire vierge avant toute candidature à une élection. C'eût été contraire à la liberté de se porter candidat à une élection – il suffit de songer au cas d'Alain Juppé, qui dès lors aurait été interdit de tout retour en politique après sa condamnation dans l'affaire des emplois fictifs de la mairie de Paris… Plutôt que de laisser la justice faire son job, l'exécutif a décidé de légiférer sur ce point, au risque de se faire censurer. Le Conseil constitutionnel a annoncé qu'il rendrait sa décision «dans la semaine du 4 septembre».