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Libération
Episode 1

Le 16 novembre 2015, à Versailles...

Que la campagne est belledossier
Il est difficile de déterminer le début exact d’une aventure telle qu’une candidature à l’élection présidentielle... Retour sur la genèse d'une décision.
Mathieu Hanotin (debout, à gauche) au QG de campagne de Benoît Hamon, Tour Montparnasse à Paris, le 27 janvier 2017. (Photo Marc Chaumeil pour Libération)
publié le 8 novembre 2017 à 9h39
(mis à jour le 8 novembre 2017 à 10h50)

Ancien directeur de campagne de Benoît Hamon durant la primaire et l'élection présidentielle, Mathieu Hanotin est actuellement conseiller départemental de la Seine-Saint-Denis en charge des sports et de l'organisation des Jeux olympiques et membre du bureau national du Parti Socialiste. Il était également député de Saint-Denis, Pierrefitte et Villetaneuse lors du précédent mandat. Depuis le 21 avril 2002, son parcours s'est progressivement rapproché de celui de Benoît Hamon. En 2014, ils se retrouvent ensemble aux côtés des autres «frondeurs» de l'Assemblée nationale. Il fut également l'un des premiers soutien du candidat. Il livre dans Libération le journal de cette campagne atypique vue de l'intérieur sans aigreur, ni ressentiment. Aujourd'hui, premier épisode  : la genèse. 

Prologue- comprendre pour réinventer

6,36 %, le pire score à la présidentielle depuis Gaston Defferre en 1969. L’ampleur de cette défaite nous oblige à une profonde introspection pour tenter d’en déterminer les causes.

Le 22 avril 2017 marque la fin d’un cycle ouvert quinze ans plus tôt avec l’élimination de Lionel Jospin du second tour de l’élection présidentielle en 2002.

Ce terrible 21 avril m’a marqué au fer rouge. J’avais 21 ans. Jean-Marie Le Pen se trouvait au second tour. Ce fut l’un des moteurs de mon engagement. Nos prédécesseurs ont dû affronter les conséquences de la chute du mur de Berlin. Le défi de notre génération consistait désormais à empêcher l’extrême droite d’arriver au pouvoir.

Au lendemain du 21 avril, le Parti socialiste ne réinterroge pas sa ligne politique. La théorie de l’accident industriel dû à la division de la gauche l’emporte. Pour moi, il n’en est rien. Pour Benoît Hamon, non plus. Nos parcours politiques commencent alors à converger.

L’erreur majeure de Jospin en 2002 a été de croire qu’après cinq ans de réformes de gauche, comme les 35 heures, la CMU ou les emplois jeunes, le combat était terminé. Comme si nous avions réussi à atteindre un équilibre qu’il suffirait de préserver. Son slogan de campagne «Présider autrement» trahissait cet état d’esprit.

Le rôle de la gauche et des socialistes, en particulier, est d’arriver au pouvoir pour remettre en cause les inégalités. Ce combat ne sera jamais terminé. Quand nous abandonnons cette vocation, le peuple de gauche et les classes populaires se détournent de nous.

Durant ces quinze années, cet éloignement a non seulement été accepté mais aussi théorisé sous l’influence de Terra Nova, think tank d’inspiration «blairiste» aujourd’hui converti au macronisme. Comme la gauche a perdu les classes populaires, plutôt que de les reconquérir remplaçons-les par un électorat éduqué, diplômé et urbain pour qui la question des valeurs détermine le vote !

Dès lors le PS ne cherche plus à modifier en profondeur l’ordre économique libéral mais juste à limiter les conséquences de celui-ci pour les plus démunis.

Dans une élection à forte participation comme la présidentielle, cela n’apparaît à l’évidence pas suffisant pour gagner à gauche, d’où le positionnement ambigu de la campagne de François Hollande en 2012 : «le changement, c’est maintenant». Ce slogan permettait d’unir le temps d’une campagne ceux qui ne supportaient plus les valeurs véhiculées par Sarkozy à ceux qui avaient besoin de voir leurs conditions de vie s’améliorer immédiatement.

Les classes populaires qui ont un travail mais en vivent mal seront les premières à se sentir trahies par les choix de François Hollande.

Le retour de bâton sera d’une violence extrême. Le rejet des socialistes chez nos concitoyens atteindra un niveau inédit. À la hauteur de cette promesse de vie meilleure non tenue.

Le mercredi 13 juin, je retrouve Benoît Hamon au Luisa Maria, un restaurant italien du VIe arrondissement. Nous venons tous deux d'être battus au 1er tour des législatives.

Pourquoi nous retrouver ?

Hormis le plaisir de se voir, nous éprouvons le besoin cathartique d’échanger, de comprendre pourquoi, comment nous en sommes arrivés là.

Comprendre et non se plaindre ou céder à la nostalgie. Comprendre pour réinventer, comme un préalable à ne pas reproduire les erreurs du passé.

Tout y passe, des trahisons aux impasses stratégiques dans lesquelles notre parti s’est enfermé depuis le 21 avril 2002, de l’espoir incroyable suscité pendant la primaire à la triste fin du quinquennat Hollande, en passant par l’inventaire de nos propres erreurs et le mur institutionnel que nous avons dû affronter.

A la fin du déjeuner un constat s’impose, ces deux heures de temps partagé ne sont à l’évidence pas une fin mais une première page. Ce que nous avons vécu mérite d’être dit.

Pour que la gauche retrouve le chemin du travail en commun, chacun doit dire sa part de vérité sur ce qui s’est passé. Voici la mienne.

16 novembre 2015, le congrès de la déchéance

Il est difficile de déterminer le début exact d’une aventure telle qu’une candidature à l’élection présidentielle. On pourrait choisir le jour de la fameuse «cuvée du redressement» ou celui du départ de Benoît du gouvernement, ou encore les batailles parlementaires sur le budget. Tous ces moments politiques constituent la toile de fond de la dégradation progressive du quinquennat de François Hollande.

Mais parce que la politique se nourrit de symboles, je pense que c’est à Versailles, le 16 novembre, que la volonté de se porter candidat a commencé à prendre corps chez Benoît Hamon.

Le 16 novembre, dans le contexte dramatique post-attentat, le congrès se réunit pour la première fois du quinquennat. Député de Seine Saint Denis, j’ai accompagné deux jours plus tôt le préfet Philippe Galli au Stade de France. La confrontation directe avec l’horreur est brutale. Toute ma ville partage le choc que je ressens à ce moment. Chacun avait un ami, un proche, une connaissance au stade ce soir-là.

C’est donc chargé de cette émotion que j’arrive à Versailles, le lundi suivant.

Lors d’un Congrès, les parlementaires sont rangés par ordre alphabétique, députés et sénateurs mélangés. Hamon, Hanotin, je me retrouve assis à côté de Benoît avec lequel je partage une aventure politique de longue date. Depuis le 21 avril 2002 jusqu’au récent mouvement des Frondeurs, nous n’avons cessé de combattre durant ces quinze années pour que le PS redevienne le grand parti de rassemblement de la gauche qu’il n’aurait jamais dû cesser d’être. Ce jour-là ne devait pas prêter à une quelconque polémique. La France devait se rassembler autour d’un grand discours de son président. Un discours à vocation séculaire. J’attendais cela, Benoît aussi.

Nous avons récolté l’État d’urgence, la fermeture des frontières et surtout la déchéance de nationalité. Très loin des valeurs universelles de la France meilleur rempart face au terrorisme.

Le mari d’une des victimes de l’attentat du Bataclan publiera quelques mois plus tard un texte d’une incroyable dignité «Vous n’aurez pas ma haine»… Sans nul doute, le message dont le pays avait besoin

Quand François Hollande invoque la déchéance de nationalité comme réponse à la barbarie, nous sommes nombreux à être interloqués. Benoît, j’en suis convaincu, mesure à cet instant précis la déflagration que ce débat provoquera au sein de la gauche.

S’il est besoin d’incarner notre malaise ce jour-là, une image s’impose. Celle de David Rachline, sénateur FN du Var, remontant les travées de l’hémicycle versaillais, le sourire goguenard, et lançant à notre intention des «bienvenue, bienvenue».

Avec ce discours, quelque chose s’est cassé pour Benoît, pour la gauche, pour un grand nombre de citoyens attachés aux valeurs de la France. S’il faut dater la volonté de Benoît de s’engager sur le chemin de l’élection présidentielle, je choisis ce moment-là.

Avril 2016, rencontre à Haïti

Président du groupe d’amitié France-Haïti de l’Assemblée nationale, je pilote un voyage d’étude du 8 au 15 avril 2016. Nous sommes quatre dans la délégation. Deux de la majorité, deux de l’opposition comme c’est la tradition à l’Assemblée.

Juste avant notre départ, l’un des membres de la délégation tombe malade. Benoît, affilié au groupe, accepte de le remplacer au pied levé.

Nous n’avons jamais visité Haïti. En atterrissant à Port aux Princes ce 8 avril, nous découvrons donc de concert ce pays que les Haïtiens nomment encore avec nostalgie «la perle des Antilles». Un pays à vif, déchiré par tous les antagonismes nés des excès du libéralisme.

Nous rencontrons aussi bien des entrepreneurs désireux d’aider au développement de leur pays que des caricatures de personnages avides et sans scrupule.

L’un d’eux nous marque particulièrement. Membre d’une grande famille du pays, il a signé un contrat avec le groupe Bolloré pour construire un nouvel équipement portuaire sur le site du terminal pétrolier de Varreux. Comme il s’agit d’intérêts français, nous nous rendons sur le site pour le rencontrer.

Le port est un lieu stratégique, une mine d’or, surtout dans un pays comme Haïti qui importe la plupart de ses biens. Celui qui le contrôle est assuré d’une rente de situation gigantesque.

Nous le retrouvons donc sur une grande digue, lieu du futur terminal de conteneur. Elle est pour l’instant vierge de toute installation, l’ouverture est prévue pour 2018.

Le type nous explique qu’il y a beaucoup d’argent à se faire. Pour preuve, il tape du pied à plusieurs reprises sur «sa» digue. Il l’a fait construire «pour rien». «La meilleure affaire» de sa carrière, se vante-t-il. Après le séisme, la ville n’était qu’un amoncellement de gravats. Quand l’Etat a entrepris de déblayer, une compagnie de chauffeurs de camions composée quasi exclusivement de femmes a été mobilisée. Là, il a eu «l’idée du siècle». La misère régnait sur Port au Prince, on n’y trouvait plus rien. Il a proposé à chaque femme une boîte de serviettes hygiéniques par camion de gravats déchargé sur le port. «Elles sont toutes venues. Ma digue, je l’ai payée en Tampax !» s’esclaffe-t-il en conclusion. Le tremblement de terre, catastrophe nationale ayant entraîné la mort de plus de 200 000 personnes, s’est avéré pour certains «la meilleure affaire» de leur vie. Zola sous le soleil des Caraïbes. Nous sommes révulsés par tant de cynisme.

Heureusement ce voyage se révèle aussi porteur d’espoir. Les habitants de Noailles, par exemple, un village d’artisans à deux heures de Port-au-Prince, ont décidé de prendre leur destin en main sur un mode coopératif. Ils travaillent le fer le matin et construisent routes et infrastructures l’après-midi, sans l’aide de personne. Un jeune homme croisé au hasard des ateliers me tient des propos d’une incroyable dureté sur la classe politique haïtienne. «Tous dans le même sac. Ils ont coulé l’État, ils ne servent que leurs propres intérêts». Propos excessif évidemment mais tellement révélateur de la défiance de la population. Tous sauf un, ajoute-t-il cependant, Jerry Tardieu.

Entrepreneur engagé, Jerry est devenu député de Pétion-Ville en 2015. Il a réussi dans la vie avant de faire de la politique. Ça lui donne une indépendance rare dans ce pays. Je le connais bien, c’est mon homologue, le président du groupe d’amitié Haïti France.

Ces rencontres nous ont profondément marqués, Benoît et moi. Nous en reparlons encore régulièrement aujourd’hui. Elles nous rappellent que certains n’auront jamais de limite à l’indécence. Que le combat pour l’égalité ne sera jamais terminé. Qu’il est nécessaire de garder sa capacité d’indignation intacte. Que les citoyens sont prêts à se mobiliser mais qu’ils veulent des élus dignes, intègres, capables de résister aux sirènes des lobbys en tout genre.

En revenant de ce village, nous tombons dans un embouteillage tel que je n’en ai jamais connu. Trois heures bloqués à un carrefour. Même le gyrophare capitule devant le flot de voitures qui arrive à contre-sens. Dans cette immobilité forcée, la politique française reprend le dessus. Nous tombons d’accord sur le constat : la présidentielle à venir ressemble de plus en plus à une impasse.

Après le terrible épisode de la déchéance de nationalité, heureusement avortée, nous voilà maintenant au cœur de la bataille sur la loi El Khomri.

Comme si au cours de cette dernière année de quinquennat, le président avait décidé de rompre avec tout ce qui constituait le socle des valeurs de gauche. Fraternité, solidarité, justice sociale… Autant de totems à abattre avant la fin de son mandat.

L’échec politique et moral de la présidence Hollande nous apparaît complet. La rupture avec le peuple de gauche, consommée.

Mais l’entêtement de Hollande à se présenter, envers et contre tout, rend la situation quasi inextricable.

Benoît et moi échangeons longuement sur cette impasse stratégique :Se présenter, ou soutenir un candidat qui se dresserait à gauche contre le président sortant, c’est risquer de porter la responsabilité de l’élimination de la gauche au premier tour de l’élection présidentielle. Paradoxalement, plus cette hypothétique aventure réussirait, plus elle condamnerait la gauche.

Nous percevons ce mur institutionnel mais celui de l’inaction nous apparaît encore plus insupportable.

Ne rien faire, c’est accepter. Cela revient à entériner la disqualification de la gauche sans tenter de lui donner une chance. Ne rien faire, c’est perdre l’espoir qu’elle puisse se régénérer.

C’était avant le lancement d’En Marche, avant les lourdes confidences du Président dans l’ouvrage de Gérard Davet et Fabrice Lhomme, avant les nouvelles trahisons de Manuel Valls, avant la primaire de la gauche. La vérité d’un jour n’est jamais absolue.

Ce jour-là nous n’avions pas la solution mais, en sortant de cette voiture, nous partageons la nécessité d’agir.