Menu
Libération
épisode 2

Quand la primaire s'invite à gauche

Que la campagne est belledossier
Finalement, le PS et Hollande se rangent à l'organisation d'une primaire. Les candidatures se dessinent.
18 juin 2016, au conseil national du PS, Jean-Christophe Cambadélis annonce finalement l'organisation d'une primaire ouverte à gauche. (Photo Laurent Troude pour Libération)
publié le 10 novembre 2017 à 7h36

Ancien directeur de campagne de Benoît Hamon durant la primaire et l’élection présidentielle, Mathieu Hanotin est actuellement conseiller départemental de la Seine-Saint-Denis en charge des sports et de l’organisation des Jeux olympiques et membre du bureau national du Parti socialiste. Il était également député de Saint-Denis, Pierrefitte et Villetaneuse lors du précédent mandat. Depuis le 21 avril 2002, son parcours s’est progressivement rapproché de celui de Benoît Hamon. En 2014, ils se retrouvent ensemble aux côtés des autres «frondeurs» de l’Assemblée nationale. Il fut également l’un des premiers soutiens du candidat. Il livre dans Libération le journal de cette campagne atypique vue de l’intérieur sans aigreur, ni ressentiment. Aujourd’hui, deuxième épisode: la primaire s’invite à gauche.

18 juin, la surprise des primaires

Pendant toute la première partie de l’année 2016, une question agite le Landerneau socialiste : comment désigner le candidat socialiste à l’élection présidentielle ? Les statuts sont pourtant limpides depuis la réforme de 2010. Le candidat est désigné par le biais d’une primaire ouverte à l’ensemble de nos concitoyens de gauche.

En réalité, rien n’est moins simple. Depuis plusieurs mois, les remises en cause se succèdent. Manuel Valls et Stéphane Le Foll jouent les artificiers en chef afin de dispenser le président sortant d’une telle bataille.

«Ne serait-il pas plus simple alors pour le gouvernement de dissoudre le peuple et d'en élire un autre ?», écrivait Bertolt Brecht. Le président est impopulaire, supprimons l'élection !

Un conseil national du PS doit se réunir le 18 juin et acter les modalités de désignation de notre candidat à la présidentielle.

Dans les tout derniers jours précédant cette date, l’offensive anti-primaire monte d’un cran. Jean-Christophe Cambadélis déclare le 10 juin qu’il envisage finalement de proposer une révision des statuts supprimant l’obligation d’organiser des primaires.

Autant dire que si nous menons la bataille pour l’organisation de cette élection, personne n’y croit réellement.

A la surprise générale, le premier secrétaire annonce pourtant le 17 juin qu’il soumettra au vote le lendemain le principe d’une primaire ouverte qui se tiendra soit dans les 15 premiers jours de décembre si toute la gauche y participe, soit dans les 15 derniers jours de janvier si elle se limite au PS et à ses alliés.

Une fenêtre dans l’horizon bouché qui est le nôtre vient de s’ouvrir. Le calendrier proposé est aberrant mais, au pied du mur, mieux vaut prendre l’échelle, aussi courte soit-elle.

La stratégie de Hollande face à Montebourg

Comment expliquer un tel revirement ? On retiendra cette petite phrase de Hollande : «Si je n'arrive pas à battre Montebourg ou Hamon, comment puis-je espérer battre Juppé ou Sarkozy ?» L'histoire cependant se révèle un peu plus subtile.

La décision du Président d’accepter la primaire, parce que c’est bien sa décision, lui permet d’acheter un bien précieux en politique : du temps.

Empêtré dans la bataille de la loi travail après une première utilisation du 49-3 le 10 mai, Hollande se trouve dans la plus mauvaise période pour un nouveau coup de force. Il est convaincu d’apparaître sous un meilleur jour quelques mois plus tard. Stratégie éclairée digne d’un coup de billard à douze bandes ou tentative désespérée de reporter pour mieux sauter ?

En fait il veut surtout piéger Montebourg.

En cette première partie d’année 2016, Arnaud Montebourg qui a quitté le gouvernement en 2014 à l’occasion de la fameuse «cuvée du redressement» ne fait pas mystère de son intention de se présenter à l’élection présidentielle.

Certes, l’ancien ministre s’est investi dans le privé devenant, entre autres, administrateur du groupe Habitat. Mais l’on devine très vite qu’il n’est pas complètement guéri du virus de la politique.

Il envoie d'ailleurs régulièrement des cartes postales : une tribune avec Mathieu Pigasse dans le Journal du dimanche pendant le congrès de Poitiers en juin 2015 pour dénoncer le bilan du gouvernement, des papiers sur sa nouvelle vie d'entrepreneur, d'anciennes notes destinées au président qu'il fait fuiter dans Mediapart, jusqu'à cette interview dans le Parisien en avril 2016 où il affirme ne percevoir aucune différence entre la politique de Hollande et celle de Sarkozy.

Et Montebourg reçoit. Il voit beaucoup de monde. Dans le Paris politique, tout se sait quasi instantanément. Il ne cesse de faire état de son désarroi face à la vacuité du Président, tant sur le plan politique que personnel. Et répète à tous ses visiteurs la même petite phrase : «Je suis un homme libre.»

Pas besoin d’être grand clerc pour traduire : «Je vais me présenter à la présidentielle contre François Hollande.» Si ce discours a pu revenir aux oreilles du modeste député que j’étais, il n’a en aucune manière pu échapper à l’omnisciente vigilance du Président.

Le désir de Montebourg de se présenter à l’élection présidentielle, son souhait d’incarner le grand homme face à son peuple, transpire dans l’ensemble de ses actes.

A tel point qu’il surjoue pendant plusieurs mois l’indignation démocratique devant l’abandon possible des primaires. Quelle plus belle rampe de lancement pour sa campagne qu’une nouvelle forfaiture de François Hollande ?

Ici, se joue en premier lieu le sort de la primaire. En acceptant d’y participer, alors même que Montebourg en fut l’initiateur quelques années auparavant, Hollande le bloque. Impossible, sauf à se saborder d’ignorer ce processus collectif.

Arnaud Montebourg mettra plusieurs semaines avant de s'en rendre compte. Comme un rêve auquel on n'arrive pas à renoncer. Sa stratégie construite sur une sorte de mano a mano avec le Président, les Français pour juge de paix, devient le 18 juin inopérante.

25 juin, des frondeurs et un absent

Le vote du 18 juin provoque donc immédiatement un double débat dans le mouvement des «frondeurs».

Faut-il participer à cette primaire et, si oui, quelle est la stratégie ? Marie-Noëlle Lienemann et Gérard Filoche ont déjà fait acte de candidature. Arnaud Montebourg ne cache pas ses intentions de candidature mais hésite sur la primaire. Et Benoît Hamon a fait part de sa disponibilité mais sans faire de sa candidature un préalable.

Afin d’élaborer une stratégie concertée, toute la petite galaxie des frondeurs décide dans l’urgence de se réunir. En arrivant ce samedi 25 juin à l’ancien Hôpital Saint Vincent de Paul, dans le XIVe arrondissement, reconverti par l’association Les Grands Voisins en espace de culture et de création. Une absence me frappe immédiatement. Tous les responsables de l’aile gauche du parti sont là, tous les candidats putatifs aussi, à l’exception d’Arnaud Montebourg.

Bien sûr, tout le monde se connaît. Chacun sait qui parle pour qui. Les lieutenants de Montebourg se chargent de porter la bonne parole. Mais son absence a clairement un sens. Elle témoigne de son hésitation stratégique à participer à la primaire mais aussi de sa volonté à ne pas s’inscrire dans un cadre collectif qui le contraindrait. Encore et toujours cette posture de l’homme providentiel qui fait tant de tort à notre République.

Mal lui en prend car, à ce moment-là, les dirigeants et les militants de notre courant privilégient l’unité face à François Hollande, peu importe le candidat. En ce mois de juin, unité veut dire Montebourg candidat.

Personne, y compris parmi les plus proches de Benoît, ne veut, parce que nous perdrions la primaire, devoir assumer tout ce que nous avons combattu pendant les funestes dernières années du quinquennat.

Dans cette salle atypique, sous une chaleur plombante, les esprits sont mûrs pour Arnaud mais il n’est pas là pour récupérer la mise. J’ai rarement été aussi convaincu que les absents ont toujours tort.

En réalité, Montebourg a décidé de ne pas tuer le match dès le début parce qu’au fond il est persuadé qu’il n’y en a pas. Les candidatures de Gérard Filoche et Marie Noëlle Lienemann lui apparaissent peu crédibles. Benoît existe à peine dans les sondages d’opinion et ne cesse de répéter que s’il peut se porter candidat, il n’en fait pas «un préalable».

«T’es partant ?»

J’accompagne Benoît en sortant de la réunion. Pendant que nous marchons vers sa voiture, je lui demande de m’éclairer sur ses intentions. Familier du langage politique, je traduis comme beaucoup «je ne fais pas de ma candidature un préalable…» par «je n’ai pas forcément envie d’aller au bout.» Déformation.

Les quelques centaines de mètres que nous parcourons sur l’avenue Denfert-Rochereau sont l’occasion d’une discussion haletante qui durera près d’une heure.

Je me rends compte de sa détermination. J’ai pris pour de l’hésitation l’extrême sincérité avec laquelle il oppose le «nous» à l’homme providentiel.

Sur le trottoir, devant sa petite Opel Corsa vieillissante, il m’annonce sa décision de se présenter.

Il a travaillé. Il a réfléchi. Cela se voit immédiatement. Comme dans un meeting où je serais le seul public, le bruit de moteurs pour unique applaudissement, il m’explique sa vision. Le monde du travail change, tout le monde feint d’en ignorer les conséquences. Nous sommes aux portes d’une révolution qui sera comparable à la révolution industrielle du XIXe siècle. Dans les dix prochaines années des millions d’emplois seront détruits par le processus d’automatisation. Cette révolution touchera massivement le secteur des services. Nos économies européennes seront donc frappées de plein fouet.

Le rôle historique que nous devons jouer consiste à trouver les solutions pour que cette transition vers un travail humain plus rare et donc aussi plus précieux se passe bien. Il faut inventer des nouvelles réponses à la hauteur des défis qui nous sont posés. Le revenu universel d’existence par exemple.

A ce moment-là, pour être parfaitement honnête, si j’ai déjà entendu parler du RUE, je ne vois pas bien l’intérêt d’un tel dispositif. Pour Benoît, l’équation apparaît en revanche limpide : la concentration du capital, par un phénomène d’accumulation, dans les mains d’un petit nombre de personnes et d’entreprises rend caduques les réponses classiques de redistribution que sont l’augmentation généralisée des salaires et la baisse uniforme du temps de travail. La majorité des entreprises ne peut y faire face. Pourtant on crée toujours plus de richesses. Mais le système ne parvient pas à les redistribuer. Si on ne fait rien, on va droit vers l’explosion.

Les gens travailleront moins. Les entreprises n’auront pas les moyens de compenser cette diminution du temps de travail par une augmentation des salaires. Nos concitoyens ne pourront accepter que leur revenu baisse tant ils se trouvent déjà, pour un grand nombre d’entre eux, à la lisière de la pauvreté. Le revenu universel répond donc à cette équation impossible.

Il permettra d’éradiquer l’extrême pauvreté, de faire du travail davantage un choix qu’une contrainte, libérera du temps pour d’autres activités utiles, et parfois nécessaires, à la société. Quel est le sens de voir un père ou une mère cumuler deux, voire trois, petits boulots pour un salaire de misère. L’absence des parents conduit souvent au décrochage scolaire et une fois le cycle infernal enclenché, on arrive vite au chômage, à la désocialisation voire à la délinquance. Avec quel coût, y compris financier, pour la société ?

Puisque le système n’arrive plus à s’autoréguler, il faut une intervention forte de la puissance publique. Comme au lendemain de la Seconde guerre avec la sécurité sociale. Le RUE c’est une réforme de cette nature-là.

Oui, mais comment on finance ça ? «Et comment ont-ils fait en 1947 alors que le pays était en ruine ?». Il y a de nombreuses pistes. Par exemple, une taxe sur ces futurs robots qui remplaceront le travail humain. Dans cinq ans, le métier de caissière aura disparu. Le travail humain crée de la valeur. C’est pour cela qu’il est taxé. Pourquoi serait-ce si aberrant de taxer la création de valeur produite par cette machine qui remplacera demain la caissière ?.

Et puis, cela doit être l’occasion d’affronter les inégalités grandissantes, de rééquilibrer le système. 1 % de la population possède 50 % des richesses mondiales. Et ça continue d’augmenter. C’était moitié moins, il y a trente ans. Les ressources sont là.

La discussion continue. Nous avons tous deux évolué de la même façon sur les questions écologiques. Je suis convaincu que ce sera le moteur de la refondation de la gauche dans les années à venir. Partout je rencontre des citoyens qui veulent se prendre en main et agir. Les politiques publiques doivent se montrer à la hauteur de cette volonté. Ce sera l’un des piliers de cette campagne que nous imaginons déjà.

Enfin, comme un écho à notre voyage haïtien, Benoît m’annonce qu’il veut faire de l’intégrité un thème à part entière. Reconquérir la confiance de nos concitoyens passe par la démonstration de notre capacité à résister aux lobbys. La grande majorité des élus français ne sont pas corrompus. Trop souvent, en revanche, les politiques cèdent devant le pouvoir de l’argent, sans même tenter de résister. Cette reconquête démocratique constitue un enjeu majeur dont dépend notre crédibilité et donc notre capacité à agir. Il faut convaincre nos concitoyens que nous sommes dignes de leur confiance.

Cet après-midi-là, Benoît que je connais pourtant depuis longtemps me bluffe par sa densité politique. J’ai le sentiment qu’il a passé un cap. Qu’il est devenu bien plus que le chef du courant de gauche du PS que je connaissais. En quelques instants, je me projette dans la bataille à venir. Avec beaucoup d’envie. Enfin, nous avons la possibilité de nous battre pour quelqu’un en qui nous croyons vraiment. Nous, qui depuis tant d’années, nous trouvons réduits à défendre le moins mauvais choix.

En ce mois de juin, peu oseraient parier sur une victoire de Benoît Hamon à la primaire. Mais il y croit. Fermement. Cela va même plus loin. Dès le début, il se montre convaincu qu’il est le mieux placé pour incarner l’alternative à une nouvelle candidature de Hollande.

Je me souviens très bien de ses mots ce jour-là. L'espace politique existe à l'évidence tellement le rejet de l'exécutif est fort. Le vrai piège serait de n'offrir qu'une redite de la primaire de 2012, un nouvel épisode des «chicayas» socialistes. «Je veux construire une offre politique nouvelle qui, bien sûr, tourne la page du hollandisme mais qui, surtout, fasse envie et réinvente une gauche pour demain.»

Au vu de l’état de notre camp, l’enjeu, au-delà d’une victoire aux primaires, consiste à montrer qu’il existe un chemin pour que la gauche se refonde.

Qu’elle réponde aux nouveaux défis qui nous sont et nous seront posés dans les années à venir en restant fidèle à un corpus de valeurs.

Bouleversements écologiques, mutation profonde du marché du travail, crise démocratique. À ce moment, Benoît a déjà l’intuition du mot-clé de ces dix prochaines années : «Transitions».

Sa portière est ouverte. Il a déjà une jambe dans sa voiture. Il s’apprête à partir. Nous sommes tous les deux très en retard. Il ressort comme pour me donner un dernier argument. Mais non, il s’agit d’autre chose. Je te veux à mes côtés me dit-il. J’ai besoin de toi pour animer cette campagne. Tout le monde dira que c’est un combat perdu d’avance mais moi j’y crois. Qu’en dis-tu ? T’es partant ?

Evidemment oui. Plutôt deux fois qu’une.