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Libération
Episode 6

Le jour où Hollande a renoncé

Que la campagne est belledossier
La question plane comme une ombre sur la campagne de la primaire en cette fin novembre : le Président sortant se représentera-t-il ?
Lors d'une réunion publique de Benoît Hamon à Paris en décembre 2016. (Photo Marc Chaumeil pour Libération)
publié le 20 novembre 2017 à 16h46

Ancien directeur de campagne de Benoît Hamon durant la primaire et l'élection présidentielle, Mathieu Hanotin est actuellement conseiller départemental de la Seine-Saint-Denis en charge des sports et de l'organisation des Jeux olympiques et membre du bureau national du Parti socialiste. Il était également député de Saint-Denis, Pierrefitte et Villetaneuse lors du précédent mandat. Depuis le 21 avril 2002, son parcours s'est progressivement rapproché de celui de Benoît Hamon. En 2014, ils se retrouvent ensemble aux côtés des autres «frondeurs» de l'Assemblée nationale. Il fut également l'un des premiers soutiens du candidat. Il livre dans Libération le journal de cette campagne atypique vue de l'intérieur.

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Ambition intime

Une question se pose à la mi-octobre. Faut-il participer à Ambition intime ? L'émission peopolitique de la rentrée. Le premier numéro a fait un carton. Plus de trois millions de téléspectateurs. Marine Le Pen jardine, Montebourg et Le Maire versent une larme et Sarkozy évoque ses passions pour le jogging et les femmes.

Le politique rencontre le voyeurisme. Tout ce que Benoît déteste. Mais il hésite. Il a conscience que sa candidature dévoilera forcément une partie de sa vie privée. Est-ce le bon moment ? La bonne manière ? Benoît accuse un retard de notoriété massif dans les sondages particulièrement dans l’électorat féminin. Trois millions de téléspectateurs, c’est toujours compliqué à refuser.

Il décide donc de rencontrer Karine Le Marchand pour comprendre clairement ce qu’elle attend de lui. Rendez-vous est pris pour le 10 octobre. L’émission doit avoir lieu début novembre.

La discussion ne se passe pas mal mais les attentes se révèlent très vite contradictoires. Benoît tient à préserver sa femme qui mène sa propre carrière professionnelle. Il refuse catégoriquement que l’on montre ses filles à l’écran. La production se montre prête à quelques aménagements mais reste ferme sur la nécessité de dévoiler une part conséquente de son intimité. «On peut vous filmer amenant vos filles à l’école, même de dos si vous voulez.»

Benoît choisit de prendre quelques jours de réflexion mais en sortant du rendez-vous je sens que sa décision est déjà prise. La formule ne correspond pas à sa conception de la politique.

Après avoir annoncé sa décision à l'équipe de Le Marchand, il s'en expliquera dans un long billet sur Facebook, le lundi suivant.

Jusque-là rien d’extraordinaire. Seulement un choix plutôt atypique alors que le monde politique cède chaque jour un peu plus aux sirènes de la peopolisation et du voyeurisme.

C'est la suite que nous n'avons pas prévue. Le vendredi 21 octobre, un article torchon intitulé : «Pourquoi Benoît Hamon n'a pas d'ambition intime» sort dans Le Parisien, signé Philippe Martinat (1).

Le Marchand a opté pour la vengeance bête et méchante : Hamon ne vient pas parce qu’il a honte que sa femme travaille chez LVMH. «On ne met pas un vent à l’animatrice préférée des Français», nous chapitre même l’un des assistants de production.

Benoît m’appelle. Je l’ai rarement entendu aussi en colère. Il est révolté de voir la femme qu’il aime jetée en pâture. Coups de fil à la rédaction, à Martinat. Tout y passe, mais trop tard, le mal est fait.

Le duo Le Marchand/Martinat agit en pleine conscience. La lumière appelle la lumière. On va décortiquer le parcours de Gabrielle Guallar. Les paparazzis vont se battre pour la prendre en photo. On insinuera tout et son contraire. Elle est richissime. C’est une lobbyiste qui a mis Benoît sous influence. Il a vendu son âme pour la faire recruter. Si Hamon n’expose pas sa femme, il a forcément quelque chose à cacher.

Il ne s’agit pas de ragots de comptoirs mais de prétendues informations colportées par des journalistes peu scrupuleux. Choquant.

Gabrielle Guallar a toujours choisi de ne pas s’exposer médiatiquement. Elle en paye le prix fort à cause de la mesquinerie d’une présentatrice qui ne voit pas plus loin que son ego surdimensionné.

Mais Le Marchand ne s’arrête pas là. Elle va même beaucoup plus loin.

Nous sommes à Montparnasse au milieu d’une conversation téléphonique avec sa production. Le climat est glacial, le ton menaçant. Benoît envisage de porter plainte. «De toute façon vous ne pourrez rien faire, on a les bandes», entend-on dans le combiné.

Quatre mots de trop. Enregistrer une conversation privée avec un politique à son insu et s'en servir comme instrument de pression, contrevient non seulement à toute déontologie mais apparaît de surcroît fort peu professionnel. On décide de taper tout de suite et fort en se fendant d'un communiqué sur ces méthodes dignes de Patrick Buisson. La réponse ne nous parviendra jamais.

Dès la menace proférée, nous avons gagné. Si la polémique dure, les prochains papiers répercuteront les drôles de méthodes de Karine Le Marchand.

Je ne connais aucun politique qui ne sera pas sur ses gardes en discutant à l’avenir avec l’animatrice. L’arroseuse arrosée.

C’est notre première expérience «boule puante». Bien que douloureuse pour Benoît, elle ne fait que nous renforcer politiquement.

De nombreux Français, dont des journalistes, sont choqués par cette affaire. En montrant qu’il sait dire non, en refusant de se prêter à la comédie de la petite larme, Benoît gagne en stature à leurs yeux.

Ils semblent apprécier qu’un homme politique prenne le risque de dénoncer les dérives du système médiatique sans tomber dans la démagogie d’un Mélenchon.

Ambition intime ne survivra pas à son deuxième numéro. Toujours ça de pris pour la qualité de la démocratie française.

Le 19e parrainage

Pour concourir à la primaire, les parrainages sont indispensables. Il nous faut les signatures de dix-neuf parlementaires ou de dix maires de grandes villes ou de soixante-six conseillers régionaux/départementaux ou de vingt membres du comité national du PS. A déposer entre le 1er et le 15 décembre. Personne ne doute que nous les réunirons, mais ce n’est pas l’enjeu principal en ce mois de novembre. Chaque soutien de parlementaire ou de grand élu alimente la dynamique que nous cherchons à créer.

Tous les lundis, j’anime une petite cellule chargée de cette mission. On pointe. Croix, colonnes, rappels, rendez-vous. Nos concurrents sont Montebourg, Lienemann et Filoche. Tout le monde joue sur la même partition. On se doute bien qu’un vallsiste pro-déchéance de nationalité ne signera pour aucun d’entre nous.

L’enjeu symbolique se cristallise sur les parlementaires et les députés en particulier. La bagarre pour les signatures fait rage.

Il y a les évidents. Ceux qui sont là depuis le début, déjà actifs dans la campagne. Une petite quinzaine. Barbara Romagnan, Isabelle Thomas, Serge Janquin, Michel Pouzol pour ne citer qu’eux.

Il y a ceux qui nous rejoignent spontanément comme Edouard Martin, l'ancien syndicaliste d'Arcelor Mittal, député européen. Tout le monde l'annonce chez Montebourg. Il nous témoigne son soutien dans une interview à Libé.

Et puis, il y a tous les autres. Ceux qui sont d’accord mais ne veulent pas se prononcer entre Arnaud, Gérard, Marie-Noëlle et Benoît. Ceux qui pensent que ce n’est pas très prudent de s’engager avant les investitures aux législatives. Ceux qui souhaitent attendre de savoir si Hollande se présente. Bref, les plus nombreux.

Le 6 novembre, lors de ma réunion hebdomadaire, je suis à 18. En comptant Benoît, nous parvenons au chiffre recherché, mais les journalistes ne rateront pas l’auto-parrainage qu’ils traduiront comme un aveu de faiblesse.

A l’Assemblée, pendant et autour des questions d’actualité, c’est LE moment. L’occasion unique de voir un maximum de monde en un minimum de temps. On me trouve rarement assis à ma place entre 15 heures et 16 heures ces mardi et mercredi de novembre.

Rencontre informelle à la buvette ou rendez-vous plus discret dans un bureau. Sur un banc du jardin de la salle des Quatre colonnes ou directement dans l’hémicycle. Tous les lieux sont propices. Une fois la discussion amorcée, il ne faut jamais l’interrompre. Toujours renvoyer à un prochain rendez-vous, à un passage de Benoît dans le département, à une échéance.

Au début du mois, nous distinguons particulièrement quatre cibles susceptibles de signer sans attendre le 15 décembre. Ils répondront tous présents, in fine. Mais le premier à s’engager, celui qui débloque notre compteur, le 19e homme, c’est Alexis Bachelay, député du 92.

Nous nous comprenons bien, tous les deux. Nos circonscriptions sont proches à tous points de vue. Géographiquement, seule la Seine nous sépare. Sociologiquement, c’est la vraie banlieue, celle qui souffre, celle dont la jeunesse est trop souvent stigmatisée. Plusieurs collègues nous appellent les députés de la ligne 13. À la fin des séances de nuit, on repart ensemble depuis Invalides avant que La Fourche nous sépare.

Alexis est déjà convaincu depuis plusieurs semaines. Il réfléchit juste au bon timing et fait un peu trop durer le plaisir à mon goût. Il nous le faut et il nous le faut maintenant. Alors, je lui fais la totale. On a besoin de toi, Benoît te veut au cœur de l’équipe. C’est le moment, avec son bouquin Hollande est carbonisé, il acquiesce. Montebourg, ça ne prend pas, il confirme. Si on ne fait rien, on va se retrouver avec Valls candidat. C’est la corde sensible pour lui comme pour moi.

C’est maintenant qu’il faut agir, il en convient. J’aimerai que tu sois porte-parole, ça me ferait vraiment mal si quelqu’un d’autre exigeait la même condition de ralliement. Il sait traduire. À prendre ou à laisser. Il monte dans le train.

Ce 15 novembre, nous sommes 19. Le chiffre magique.

Le moment clé de la primaire : le 1er décembre

Toute campagne a ses moments charnières. Pour nous, le 1er décembre est de ceux-là.

Plus la date fatidique du 15 décembre approche, plus la perspective d’une candidature de François Hollande apparaît compliquée.

La déflagration provoquée par le livre confidence Un président ne devrait pas dire ça la rend même quasi-impossible.

Fin novembre, le dernier quarteron de Hollandais mené par Stéphane Le Foll tente d’imposer la candidature du Président en dehors du processus des primaires.

Tentative désespérée qui est aussi la seule susceptible de fonctionner. Plus personne, même chez les plus fervents supporters du président, ne l’imagine gagner la compétition à la loyale.

Ce putsch de dernière minute avorte quasi-instantanément. Manuel Valls, profitant de l’extrême faiblesse de Hollande, lui annonce qu’il ne le suivra pas. Il se déclare même le 26 novembre prêt à se présenter contre lui. C’est le coup de grâce.

Nous vivons cela à distance. La campagne bat son plein. Benoît enchaîne les déplacements.

Le 1er décembre, il se trouve à Toulouse. Un passage obligé pour un candidat de gauche. Nous le redoutons car, à l’exception très notable de Pierre Cohen, l’ancien maire, Benoît a perdu tous ses soutiens locaux au profit de Montebourg.

Personne ne l’aurait parié, pourtant c’est bien ici que naît la dynamique qui mènera à sa victoire en janvier.

L’après-midi, Benoît se trouve invité par Sciences Po Toulouse à donner une conférence devant les étudiants. La direction nous garantit 150 à 200 personnes. De quoi faire un bon discours qui nourrira les passages aux chaînes infos du soir et les journaux du lendemain.

Tous les candidats, quelle que soit l’élection, peuvent en témoigner. A chaque réunion publique, les mêmes angoisses réapparaissent. Il y a du monde ? Comment est la salle ? C’est rempli ? Les meetings constituent le baromètre «live» du candidat. Une rencontre réussie, c’est 48 heures de shoot d’adrénaline pour lui et son équipe. A l’inverse une salle clairsemée vous fait voir tout en noir. Chaque réunion publique est donc autant attendue que redoutée. Comme nous n’organisons pas l’événement, nous ne disposons d’aucune info sur la salle avant que Benoît n’arrive. Il déteste ça.

La conférence est prévue à 16 h 30 mais il prend son temps. Visitant une entreprise menacée de délocalisation, il relance sans cesse de nouveaux sujets avec les syndicalistes. Près d’une heure dans la vue sur le planning. Mécanisme de défense personnel face à un moment redouté ? Importance de l’enjeu industriel ? Un peu des deux, probablement.

Il sait que cette étape toulousaine n’est pas facile. Il sait que Montebourg a rempli une salle de 300 personnes, le mois dernier. Il sait qu’il nous reste quinze jours pour rebondir. Après, tout va s’accélérer.

Il arrive à 17 h 30, réfléchit déjà à demain et après-demain. Il ne sait pas encore que les deux prochaines heures changeront pour une grande part son destin politique.

Première surprise, l’amphithéâtre de Sciences Po est tellement bondé qu’il peine à se frayer un chemin jusqu’à la tribune. Le bouche-à-oreille a fonctionné au-delà de toutes nos espérances.

L’ambiance est surchauffée, les «Hamon Président» fusent de toute part.

Deuxième surprise, peu après le début de son intervention, Nadjet Boubekeur sa conseillère presse lui griffonne un petit mot. «FH va parler à 19 h, pas d’info mais ça se fera à l’Elysée donc ça sent le retrait».

La plupart des hommes politiques se seraient excusés et auraient écourté la réunion. Benoît, non. Spontanément, il propose aux étudiants de regarder en leur compagnie l’intervention du Président sur l’écran géant et de partager ce moment politique rare.

Le directeur de Sciences Po exulte. Ce n’est pas tous les jours qu’une part d’histoire politique s’écrit en direct dans vos locaux. La technique s’organise pendant l’échange de Benoît avec les étudiants.

19 heures surviennent. François Hollande apparaît sur l’écran. Silence total dans l’amphi. Il commence par défendre son bilan. Pas de réaction. Il s’excuse pour la déchéance de nationalité. Pas un applaudissement. Juste une tension qui grandit et devient presque palpable.

Quand le Président annonce son retrait de la course, l’amphi vrombit de joie tel un stade de foot anglais lorsque l’équipe nationale marque un but. Un cri de libération après une sourde colère retenue trop longtemps.

Benoît est stupéfait. On mesurait tous l’impopularité de Hollande mais on n’imaginait pas la violence de cette colère. À la hauteur de l’espoir suscité en 2012.

Cette joie de la jeunesse quand le deuxième président de gauche de la Ve République renonce.

Là réside le véritable échec du quinquennat.