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Libération
Episode 7

Valls et Peillon entrent dans la danse

Que la campagne est belledossier
Après la défection de Hollande, son Premier ministre se lance dans la bataille, dans le costume du favori. Suivi de l'ancien ministre de l'Education.
Meeting de Benoît Hamon au gymnase Japy, le 15 décembre 2016. (Photo Marc Chaumeil pour Libération)
publié le 22 novembre 2017 à 10h42

Ancien directeur de campagne de Benoît Hamon durant la primaire et l'élection présidentielle, Mathieu Hanotin est actuellement conseiller départemental de la Seine-Saint-Denis en charge des sports et de l'organisation des Jeux olympiques et membre du bureau national du Parti socialiste. Il était également député de Saint-Denis, Pierrefitte et Villetaneuse lors du précédent mandat. Depuis le 21 avril 2002, son parcours s'est progressivement rapproché de celui de Benoît Hamon. En 2014, ils se retrouvent ensemble aux côtés des autres «frondeurs» de l'Assemblée nationale. Il fut également l'un des premiers soutiens du candidat. Il livre dans Libération le journal de cette campagne atypique vue de l'intérieur.

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Valls entre dans la danse

Une fois Hollande sorti de la compétition, Manuel Valls annonce sa candidature le lundi 5 décembre à Evry. L’après-midi, un premier sondage le donne à 45 %, contre Montebourg à 25 et Hamon à 14. L’histoire paraît écrite d’avance.

Paraît seulement. Les sondages de primaire ne sont pas d’une grande fiabilité. L’écrasante victoire de François Fillon que personne n’a vu venir en constitue la meilleure preuve.

Trois explications à ce phénomène. D’abord, l’absence de référentiel. Dans le cadre d’un sondage électoral classique, l’institut interroge les sondés sur leurs votes précédents. Il compare ensuite les réponses aux résultats réels. Cela lui donne un point de référence et permet de redresser les chiffres. Ici, pas de comparaison possible, l’offre politique de chaque primaire se distingue de la précédente.

La volatilité ensuite. Il est rare qu’un électeur de gauche vote à droite et inversement. Au sein d’un même camp, la bascule d’un candidat à l’autre s’avère beaucoup plus probable. Enfin, le manque de fiabilité tient surtout à l’impossibilité de chiffrer le corps électoral : 1, 2 ou 4 millions de participants ? En fonction des hypothèses, les résultats diffèrent radicalement.

En l’occurrence, si la primaire mobilise quelques centaines de milliers de personnes, cela traduira un vote de fidélité qui profitera à Valls. Si nous parvenons à la faire déborder par une participation populaire massive comme en 2011, l’histoire peut s’écrire autrement.

En tout état de cause, mieux vaut prendre ces sondages avec des pincettes. Valls opte pour la stratégie inverse. Dès le premier jour, il tient sa victoire pour évidente plutôt que de chercher à convaincre. Il se voit déjà face à Fillon, Le Pen, Macron et Mélenchon. Ne jamais sauter d’étapes, c’est la règle. Il le sait forcément mais, comme d’autres avant lui, tente de s’en affranchir. L’explication ? L’ego ? Les flatteries de son entourage ? L’aveuglement causé par l’exercice du pouvoir ? Beaucoup des trois, assurément.

Son slogan en fait sourire plus d’un. #FaireGagnerToutCeQuiNousRassemble. Se placer sous les auspices de la concorde sans avoir jamais cessé de créer des fractures au sein de sa propre famille ne manque pas de sel.

L’inventeur de la théorie des gauches irréconciliables propose aussi de supprimer le 49.3 ! Après l’avoir allègrement utilisé pendant deux ans. La ficelle est si énorme qu’elle lui vaut immédiatement un procès en insincérité.

#RienNestEcrit, indique-t-il à la fin de ses tweets. Nous détournerons ce slogan avec gourmandise.

Sa campagne commence de manière brouillonne. Les cafouillages se succèdent. Quand vous êtes Premier ministre, tout semble facile. Une porte se ferme, dix personnes se précipitent pour l’ouvrir. Vous pouvez vous montrer cassant ou arrogant et ne rencontrer en retour que respect et déférence.  Le retour à la vraie vie s’avère parfois difficile.

J’en veux pour preuve la rencontre entre les représentants des candidats à Solférino pour préparer le premier débat télévisé. Harold Hauzy, le conseiller en communication de Valls, déjà en poste à Matignon, exige que le débat porte exclusivement sur les thèmes favoris de son candidat : sécurité, terrorisme et laïcité. Il ne prend même pas la peine de développer son argumentation.

Le message est limpide : vous êtes bien sympas tous, mais en fait ça va se passer comme ça. Tout le monde se regarde, politiques et journalistes de la chaîne. La réaction ne se fait pas attendre : non, évidemment non. Je lis l’incompréhension totale sur son visage. Il semble si peu habitué à ne pas apparaître tout-puissant qu’une fois ce revers encaissé, il laisse tout filer.

Sortis de Matignon, il leur faut juste réapprendre à entendre le mot non.

De surprise en surprise

Le renoncement d’Hollande provoque hormis la candidature de Valls des conséquences inattendues. De vraies surprises. Des bonnes.

Lundi 5 décembre, Tour Montparnasse. Nous tentons d’anticiper les prochains mouvements de Valls suite à sa déclaration de candidature quand le téléphone sonne. C’est France 2. Le staff de l’Emission Politique. #LEP dans le jargon des twittos. Pour nous, l’émission de référence. Tous les grands la font. Et eux seulement. Nous leur courons après depuis plusieurs mois pour faire inviter Benoît. «Oui, pourquoi pas ? Mais plus tard». «En janvier peut-être.» En clair, on en rediscute si d’ici là vous montez dans les sondages.

Le ton diffère complètement ce matin-là. On comprend vite. Ils sont à la rue. Hollande avait lancé en secret son plan de communication. Il devait passer à l’émission le 8, soit trois jours plus tard, et Valls refuse de le remplacer. Si nous le souhaitons, le créneau nous appartient.

L’Emission politique est très regardée et très commentée. C’est une caisse de résonance incroyable mais un exercice difficile. Deux heures et demie sur le grill.

Pujadas et Salamé à l’animation. François Lenglet réputé impitoyable sur questions économiques. Les débats avec des experts sélectionnés par Karim Rissouli que vous découvrez sur le plateau. L’invité mystère.

Tous poursuivent un objectif : tester la résistance de l’invité et le faire tomber.

Normalement, ça se prépare longuement à l’avance. Les négociations avec la production prennent du temps. Là, rien. Nous sommes lundi matin, l’émission a lieu jeudi soir.

Impossible de passer à côté. Malgré le risque, Benoît accepte évidemment le challenge.

Branle-bas de combat dans l’équipe. On annule tout ce qui n’est pas strictement nécessaire. En deux jours, et deux nuits pour certains, on abat le boulot de deux semaines de préparation.

Le soir venu, je décide de m’installer dans le public, bien que je déteste ça. On ne peut pas bouger ni regarder en instantané les réactions sur les réseaux sociaux. La visibilité passive amène souvent plus d’inconvénients que d’avantages. Mais compte tenu de l’enjeu, je veux sentir la prestation de Benoît en direct.

Une minute avant l’antenne, l’invité est positionné seul dans un coin du plateau. Deux cents personnes le regardent. Je le vois concentré. Il a son regard dur de boxeur qui s’apprête à monter sur le ring. Je m’inquiète. L’agressivité à la télé est le pire ennemi. 30 secondes plus tard, prise d’antenne, Pujadas l’appelle. Son visage change. Ses traits se détendent.

L’émission se passe très bien. Benoît réussit à convaincre la médecin opposée à la légalisation du cannabis. Il anéantit le représentant des lobbys industriels sur les questions de santé liées aux pollutions. Il croise brillamment le fer avec François Lenglet sur le revenu universel.

Il se révèle posé, clair, sérieux avec juste ce qu’il faut d’humour.

Un seul bémol : l’invité mystère. Julien Sanchez, le maire de Beaucaire, tient des propos tellement ignobles sur les réfugiés que Benoît sort de ses gonds. Mais le public, outré, lui manifeste son soutien.

L’Emission Politique obéit à un cérémonial précis. Avant la conclusion de Charline Vanhoenacker, le verdict tombe. Pas celui des urnes mais presque. Un sondage en direct sur la prestation du candidat. C’est le moment le plus redouté. Depuis mon siège, je harcèle de textos Jean-Daniel Levy, le patron d’Harris Interactive qui réalise le sondage. Je lui arrache péniblement un «c’est bon». Il revient dans le public. Nous nous retrouvons à une dizaine de mètres l’un de l’autre. Je cherche son regard et je comprends que ça va être très bon. Benoît crève l’écran. Au-delà de tout ce qu’on pouvait espérer. L’Emission le fait changer de statut. De looser sympathique, il se mue en outsider sérieux.

Peillon rejoint le bal

Au rayon des surprises, la palme revient à la candidature de Vincent Peillon.

Le 2 décembre, je suis à l’Assemblée. Je déjeune à la buvette. En sortant, je tombe nez à nez avec Sébastien Denaja. Député de l’Hérault, il se trouvait jusqu’à la veille l’un des plus fervents partisans de la candidature Hollande. Malgré de sérieux désaccords, nous nous sommes toujours bien entendu durant la législature. Pas besoin de le cuisiner longtemps pour qu’il me confie tout le mal qu’il pense de Valls. Il a trahi Hollande dans la dernière ligne droite bien sûr, mais le hiatus est plus profond. Pourtant, François Hollande et Manuel Valls incarnaient à la perfection les Dr Jekyll et Mr Hyde d’une même politique. Valls concentrait tout ce qu’on aimait le moins chez Hollande.

Je sonde Sébastien sur ses intentions. Et pourquoi pas Peillon ? s’exclame-t-il. Je n’y crois pas. Il insiste. «Il faut quelqu’un pour représenter l’espace social-démocrate ! Vous êtes trop à gauche, Valls trop à droite et Montebourg, trop ailleurs.» Mi-amusé mi-interloqué,  j’énumère mentalement  toutes les étapes que nous avons dû franchir depuis le mois de juin. Une candidature à la présidentielle ne s’improvise pas. Nous nous quittons.

A mon tour, je cède à la tentation du «et si ?». Une candidature Peillon disperserait un peu plus les soutiens du gouvernement. Une bonne nouvelle pour nous.

Le mardi suivant à l’Assemblée, c’est parti. Patrick Mennucci, le député de Marseille nous entreprend au café. Il réactive les anciens réseaux Ségo avec, surprise du chef, le parrainage d’Anne Hidalgo qu’il vient de récupérer.

Vincent Peillon se déclare le dimanche suivant. Il fait figure de recours des « non-alignés ». Beaucoup de parrains mais peu de soutiens actifs. Ils se trompent de match, se lancent dans la bataille comme à un congrès du PS en alignant les divisons plutôt que les idées.

Loin de nous l’idée d’émettre la moindre critique, cependant. Un caillou de plus dans la chaussure de Valls suffit amplement à notre bonheur.

15 décembre, le meeting de Japy

Quelques semaines plus tôt, nous avons décidé de marquer les esprits en organisant un grand rassemblement juste avant la trêve des confiseurs. Notre choix s’est porté sur Japy, un symbole.

Ce gymnase accueille depuis le XIXe siècle les grands moments de notre famille politique. Le socialisme français y est né en 1899. Les voix de Jaurès, Blum, Mitterrand et de tant d’autres y résonnent encore.

Japy représente aussi un gros risque. En décembre, la primaire ne s’inscrit pas encore très bien dans les esprits. Tout le monde connaît la salle . Impossible de tricher sur les chiffres. Le site Internet de la ville annonce la couleur : 1500 places. Un échec en termes de participation et toute la presse se déchaînera contre nous.

Le jour J, tout semble réglé comme du papier à musique. Corentin Duprey, mon complice de Saint-Denis, spécialiste de l’animation sportive, officie en Monsieur Loyal pour la première fois. Il accompagnera Benoît dans tous les meetings jusqu’au 22 avril. C’est un chauffeur de salle incroyable. Le meilleur de notre petit monde politique.

Deux heures avant l’ouverture des portes, dernier filage. Le déroulé est précis. 19 h 30, ouverture des portes. Animations musicales, clips de propagande, nouvelles annonces de soutiens, tout est minuté. 20 h 30, entrée de Benoît. Il doit commencer par un hommage aux habitants d’Alep décimés par Bachar Al Assad. Il a ensuite une heure pour présenter ses propositions. Quinze minutes pour conclure sur l’inéluctabilité des changements à mener et la nécessité d’y croire. Peu avant 22 heures, évacuation de la salle. Enorme réussite et tout le monde au lit. Ce sera presque ça. A un détail près.

L’affluence est au rendez-vous. De ce côté, pas de souci. 300 mètres de queue à 19 heures alors qu’il fait un froid de canard. Mais non loin de là survient alors un tragique incident.

H-25 minutes avant démarrage et H-90 avant le discours. Dans un immeuble d’une rue adjacente dont l’un des appartements a été transformé en loge, le candidat souhaite relire une dernière fois son discours de trente-cinq pages avant de l’imprimer. Un texte ciselé, travaillé et retravaillé depuis cinq jours. Dans l’escalier, deux personnes se croisent. L’une d’elle fait un faux mouvement. L’ordinateur tombe et s’explose un étage plus bas. Le discours avec. Pas de sauvegarde sur place ni via internet, pour des questions de confidentialité. Pas d’impression papier de secours. Le drame.

A la main, Benoît tente de reconstruire un plan le plus détaillé possible. L’horloge tourne. Corentin traîne autant que possible. Mais la salle est chauffée à blanc. Près de 2000 personnes attendent Benoît Hamon. Maintenant.

Il faut y aller. En freestyle.

Encore une fois, Benoît se révèle excellent. Il domine tous ses sujets, sans aucune note. Il impressionne la salle, journalistes compris. Et fait vibrer l’auditoire en rappelant ses origines modestes, et ce qu’il doit à la République.

Une immense réussite mais très longue, très très longue. Assurément trop longue. Deux heures et demie de discours au lieu d'une heure et quart. Quotidien de Yann Barthès ne nous ratera pas avec un sketch désopilant sur les «très, très, très long discours de Benoît Hamon».

Après beaucoup de stress, l’année 2016, d’une incroyable intensité s’achève sur un bel optimisme.

Tous les candidats sont alignés. Nous sommes prêts. Un mois avant le vote, l’affrontement peut commencer.