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Libération
Episode 8

Début janvier, «il se passe quelque chose»

Que la campagne est belledossier
Un bond dans les sondages, Valls qui patine et des débats télévisés qui s'enchaînent... à quelques jours du premier tour de la primaire, l'hypothèse d'une qualification devient tangible.
Benoît Hamon lors du débat télévisé de la primaire le 15 janvier 2017. (Photo Marc Chaumeil pour Libération)
publié le 24 novembre 2017 à 9h11

Ancien directeur de campagne de Benoît Hamon durant la primaire et l'élection présidentielle, Mathieu Hanotin est actuellement conseiller départemental de la Seine-Saint-Denis en charge des sports et de l'organisation des Jeux olympiques et membre du bureau national du Parti socialiste. Il était également député de Saint-Denis, Pierrefitte et Villetaneuse lors du précédent mandat. Depuis le 21 avril 2002, son parcours s'est progressivement rapproché de celui de Benoît Hamon. En 2014, ils se retrouvent ensemble aux côtés des autres «frondeurs» de l'Assemblée nationale. Il fut également l'un des premiers soutiens du candidat. Il livre dans Libération le journal de cette campagne atypique vue de l'intérieur.

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Début janvier : quinze jours pour convaincre

Janvier est un mois à part. Esprit de Noël et cérémonies de vœux font mauvais ménage avec débats et affrontements politiques. Le 1er tour se tiendra le 22. Il nous reste à peine quinze jours utiles pour convaincre.

Nous devons faire des choix. Benoît est très bon dans tous ses passages médias mais le contact direct fait vraiment la différence. Il faut aborder la course comme si nous étions seuls. Le candidat apparaît suffisamment haut maintenant pour que cela force nos concurrents à réagir.

Trois débats sont prévus les 12, 15 et 19, respectivement sur TF1, BFM-iTélé et France 2. Avec sept candidats et autant d’interviews. L’espace médiatique risque de se trouver saturé. Les bonnes idées ne suffiront pas. Montrer notre réussite et notre dynamique apparaît primordial. Le risque premier est que les électeurs pensent que Benoît n’a aucune chance de remporter la victoire. Terrible écho à ce qui adviendra quelques mois plus tard.

En cette fin d’après-midi du 2 janvier, je me trouve à l’arrière d’un taxi sur le point de quitter la Tour Montparnasse lorsque je reçois un appel de Jean-Daniel Lévy. Comme la plupart des instituts, Louis Harris tient un baromètre mensuel de notoriété et de confiance pour les principales personnalités politiques du pays.

«Il se passe quelque chose», m’annonce-t-il. «On sort notre baromètre demain. Hamon gagne 22 points. Il va dépasser Montebourg et Valls.» Un tel bond en si peu de temps, c’est du jamais vu.

Jusqu'ici on se réjouissait d'un +1 et on déprimait pour un -2. Je m'attendais à ce que le combo réussi Emission Politique-Japy (lire l'épisode précédent) produise son effet, espérant un +5, +8. A +10, je marchais sur les mains. Alors +22, je vous laisse imaginer.

Un bon sondage ne fixe pas les intentions de vote, encore moins un résultat. Mais un mouvement aussi important est révélateur. A condition d’effectuer les bons choix dans les prochains jours, une victoire devient possible.

Valls à l’Emission politique, le retour à la réalité

Le jeudi 5 janvier, Manuel Valls est à son tour l’invité de l’Emission politique.

Très vite ce grand oral tourne à la catastrophe. Mal préparé à l’évidence, il n’arrive pas à se départir de son rôle d’ancien Premier ministre.

Il répète à l’envi qu’il a changé. Personne n’y croit. La confrontation avec Philippe Martinez, le leader de la CGT, comme avec Cédric Herrou qui recueille des migrants dans la vallée de la Roya près de Nice le renvoie à ses contradictions.

Mais la séquence avec Attika Trabelsi se révèle la plus dévastatrice. Jeune entrepreneuse, normalienne, elle revendique son droit à porter le voile. Derrière ce débat, toute la notion du vivre ensemble se trouve réinterrogée. Quelle vision de la laïcité ? Manuel Valls reconnaît d’emblée qu’il n’a pas changé sur ce sujet. Laïcité rime toujours pour lui avec intransigeance quand la jeune femme réclame de la tolérance.

La laïcité constitue un point dur dans cette campagne. Benoît défend une vision de la laïcité directement inspirée d’Aristide Briand, père de la loi de 1905. Pas davantage qu’hier, la laïcité ne représente le bras armé de l’Etat contre telle ou telle religion, mais bien un pacte permettant à chacun et chacune de vivre côte à côte dans le respect des différences.

Valls au contraire continue de l’agiter pour diviser plutôt que rassembler. L’échange avec Madame Trabelsi illustre cette volonté de fracturer la société française. Ce que ne souhaitent pas les Français de gauche. Ils vont le lui signifier. Le sondage de fin d’émission est sans appel. Valls convainc 45% des téléspectateurs de gauche. Contre 51 % pour Montebourg en octobre et 63 pour Benoît. Je me souviendrai longtemps de son expression lorsqu’il découvre les résultats en direct. Les yeux rivés sur l’écran, cherchant l’erreur, l’information manquante ou mal interprétée, il perd contenance. Presque 20 points derrière Hamon qu’il méprise allègrement. Son premier retour brutal à la réalité.

Il est touché dans son amour-propre. Nous connaissons l’appétit de Valls pour les sondages en tout genre. Une telle claque en direct l’oblige à abandonner la partition «hauteur et indifférence». Il va venir au contact pour nous affronter. C’est parfait.

Le match des meetings

La candidature Peillon ne prend pas au-delà des cercles militants. Le match à trois se dessine. Clairement outsider, Benoît doit chercher Montebourg et devenir l’adversaire principal de Valls, pour se qualifier au second tour.

Nous choisissons notre terrain. Les meetings. Dix en quinze jours et tant pis si ça doit nous coûter quelques matinales. Nous parions sur la nouvelle notoriété de Benoît.

Organiser un meeting tous les soirs, c’est possible. Mais ça coûte très cher et nous n’avons pas d’argent ou si peu. Une équipe de bénévole s’attelle à la tâche. Ils accomplissent un travail herculéen. Préparation du meeting la journée. Gestion du candidat à l’arrivée. Conception et exécution de la logistique. Vérification du déroulé. Repli dès la fin de l’exercice. Départ en voiture pendant la nuit jusqu’à l’étape suivante. Je leur tire mon chapeau. Sans eux, c’était mission impossible. Nos adversaires ne peuvent pas nous laisser complètement occuper l’espace. Ils se trouvent obligés de réagir. Valls annonce trois meetings, il en annulera finalement un. Montebourg se concentre sur l’organisation d’un seul grand événement à Paris. L’affrontement ne nous fait pas peur, au contraire. Nous avons réussi à les emmener sur notre terrain. Valls se rend à Clermont, nous choisissons la même salle six jours plus tard. 300 personnes se déplacent pour le voir contre 1000 pour nous alors que des tombereaux de neige s’abattent sur l’Auvergne. Les images parlent d’elles-mêmes.

Montebourg annonce le gymnase Laumière dans le XIXe arrondissement le 18. On ajoute une date à Paris le même soir à l’Institut national du judo, une jauge deux fois supérieure. Pari réussi.

Les débats télés : le revenu universel sur la table

Un débat dure un peu plus de deux heures tout compris. Sa préparation nécessite davantage de temps. Roberto Romero, mon adjoint dans cette campagne, mène la danse. Benoît doit être prêt à répondre à toutes les attaques. Pendant une semaine, alors que la campagne bat son plein, Roberto et son équipe ne quittent plus le local. Ils sont nombreux à bosser d’arrache-pied. Deux se distinguent en particulier, Hadrien Bureau et Paul Bernardet. Le premier coordonne le travail d’argumentaire, le second celui de la riposte. Ils sont jeunes, 25 ans tout juste. Normalien et diplômé de Sciences Po, ils ont assurément la tête bien faite. Mais surtout l’envie démesurée de prouver qu’avec de bonnes idées on peut déplacer des montagnes. Jour et nuit, ils préparent des fiches, décortiquent les points faibles des adversaires, tentent d’anticiper les questions des journalistes. 90% de leur travail ne servira à rien. Ils le savent. C’est la loi de la télé. Une minute trente pour répondre à la question. 30 secondes supplémentaires si vous êtes interpellés par un autre candidat, ça va vite.

Il faut donc autant maîtriser son sujet sur le fond que savoir le présenter de manière concise. Un défi pour Benoît, plus habitué au très très long discours qu’au format punchline. Chaque jour, en fin de matinée, il passe à Paris, entre son meeting de la veille et le suivant, pour voir Roberto et son équipe. Il teste les arguments et passe les commandes pour le lendemain. Il faut être prêt pour le Jour J.

Jeudi 12. La plaine Saint-Denis. Les sept candidats se retrouvent sur le plateau. Première question du journaliste : le revenu universel. Dans notre boîte. On y est presque. Benoît déroule son argumentaire. Il dépasse la minute trente. Il mord sur le temps aussi longtemps que possible. C’est son sujet. Il sait que s’il se montre suffisamment bon les autres devront répondre. Ça ne manque pas. L’échange marque les esprits. Le sondage de l’institut GOV indiquera juste après l’émission qu’il s’est révélé de loin le plus convaincant. Les journalistes suivent sur le mode «les candidats débattent des propositions de Benoît Hamon».

Un débat gagné en deux temps. Evidemment sur le plateau où Benoît a excellé, mais  aussi quelques semaines plus tôt dans la salle Dayan à Solférino où nous avons affronté Harold Hauzy sur le contenu de celui-ci. Déterminer la partition représente 50% de la victoire finale.

Les sondages ne le pronostiquent pas encore mais lorsque je retrouve Benoît tard dans la soirée, j’ai pour la première fois la certitude que nous serons au second tour.

Derniers jours de campagne

Le 19 janvier, Le dernier sondage OpinionWay avant le 1er tour donne Valls toujours largement en tête (37%), mais nous passons devant Montebourg (28 contre 24).

Au moment de Japy, nous plafonnions à 14%, un mois plus tard, notre score a doublé. Alors on se prend à rêver. Et si cette dynamique s’amplifiait dans les derniers jours ? Et si ça redonnait espoir à toute une partie de la gauche ? Et si nous sortions en tête ?

Arnaud Montebourg accuse le coup. Il tente d’attaquer Benoît comme ses proches ont dû le lui conseiller. Mais le cœur n’y est plus et ça se voit.

Valls, lui, surjoue la posture de l’homme d’Etat. Très loin du début de campagne où il voulait rassembler et supprimer le 49-3. Le Valls cassant et agressif qu’il a toujours été revient au pas de charge.

En rentrant chez moi, ce soir-là, j’échange avec Christophe Borgel, le député de Toulouse, en charge de l’organisation de la primaire. Il soutient Valls mais demeure assez en retrait du fait de sa fonction. C’est le grand expert électoral du PS. Pour lui, aucun doute, le deuxième tour verra s’affronter Manuel et Benoît pour s’achever sur une victoire du premier. Et ça l’inquiète. Attaché à l’unité du parti, il perçoit les fractures que laissera le scrutin. L’attitude des uns et des autres dimanche soir et dans les jours qui suivront sera déterminante. Il m’exhorte déjà à la responsabilité.

Je rétorque que nous ne sommes pas le sujet. Tout le monde sait ce qu’il adviendra avec l’aile gauche minoritaire, nous venons de le vivre pendant cinq ans. Mais si nous gagnons, peut-il me garantir la loyauté du camp Valls ? Grand blanc.

48 heures avant le vote, sentant la qualification approcher, nous décidons de changer le lieu initialement prévu pour notre soirée électorale. Nous devions être au «Truc», une petite salle de concert dans le XXe. La propriétaire est une amie, activiste pro-Hamon de la première heure. Mais c’est trop petit, trop excentré et inadapté aux contraintes des journalistes de plus en plus nombreux à vouloir venir.

Alors que nous sommes à la limite de la banqueroute, trouver le lieu idoine, bien situé, véhiculant  une belle image pour le moins cher possible, le vendredi pour le dimanche, relève de la gageure.

Heureusement nous avons Marie Luchi. La reine des bons plans et des situations désespérées. Elle trouve une péniche au pied du Musée d’Orsay, à deux pas de Solférino, au tarif imbattable de 2000 euros. Inespéré. On négocie quand même une ristourne de 200 euros, c’est dire si nous manquons de ressources. Sans prestations à ce prix-là. «Pas grave, on va faire les courses et préparer le buffet nous-même», propose Marie. Cet esprit débrouillard n’a jamais quitté la campagne. Les journalistes ont pu le constater au quotidien. Il a grandement participé à forger l’image sympathique et positivement modeste de Benoît. Mais nous touchons la limite de l’exercice.

La campagne s’achève sur un grand meeting à Toulouse à la manière de François Mitterrand. Minuit arrive, les dés sont jetés. Ou presque. Le samedi est banalisé, mais l’équipe de Trappes a réservé cette date pour les vœux de Benoît. Spontanément, bien sûr. On frôle la limite, on le sait. Mais si, outsider, vous ne mordez pas la ligne au moins dix fois pendant la campagne, vous n’avez pas fait votre job.

Ce petit piège marchera au-delà de mes espérances. Les autres candidats s’emparent du sujet. Kalfon, au nom de Montebourg, fait une réclamation officielle auprès de la haute autorité des primaires. Polémique signifie presse. Si bien que, sans communiqué ni tract, nous obtenons une belle couverture média le samedi sur les vœux du député Benoît Hamon. Tout le monde peut constater que Benoît ne parle pas de la primaire. Difficile en revanche d’empêcher l’assistance de crier «Hamon, président !» ou les chaînes infos de filmer…