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Episode 9

Dans les coulisses de la campagne Hamon: une victoire surprise par KO à la primaire

Que la campagne est belledossier
Déjouant les pronostics, Hamon arrive en tête au premier tour de la primaire. Et s'impose une semaine plus tard, après un entre deux tours tendu.
Lors d'une réunion publique de Benoît Hamon à Lille, entre les deux tours de la primaire, le 28 janvier. (Photo Marc Chaumeil pour Libération)
publié le 27 novembre 2017 à 10h55
(mis à jour le 27 novembre 2017 à 10h55)

Ancien directeur de campagne de Benoît Hamon durant la primaire et l'élection présidentielle, Mathieu Hanotin est actuellement conseiller départemental de la Seine-Saint-Denis en charge des sports et de l'organisation des Jeux olympiques et membre du bureau national du Parti socialiste. Il était également député de Saint-Denis, Pierrefitte et Villetaneuse lors du précédent mandat. Depuis le 21 avril 2002, son parcours s'est progressivement rapproché de celui de Benoît Hamon. En 2014, ils se retrouvent ensemble aux côtés des autres «frondeurs» de l'Assemblée nationale. Il fut également l'un des premiers soutiens du candidat. Il livre dans Libération le journal de cette campagne atypique vue de l'intérieur.

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Dimanche 22 janvier : en tête au 1er tour

C’est le D-Day. Il est presque 9 heures, je me trouve au bureau de vote du centre-ville à Saint Denis. Il est situé dans la grande salle de la légion d’honneur qui accueille tous les grands meetings politiques locaux. Tout est en place, reste une question : les électeurs seront-ils au rendez-vous ? Tous ces jours et ces nuits passés à se battre se résumeront finalement aux dix prochaines heures. C’est la loi du genre.

Bien que Saint-Denis soit traditionnellement mauvais élève en matière de participation électorale, à 11 heures la file d’attente est impressionnante. Nous ne sommes pas loin de l’affluence de 2011. Ça sent bon.

À 18 heures, j’arrive à Solférino. Une petite équipe s’est relayée toute la journée pour gérer d’éventuels problèmes de fraude. Rien de majeur à signaler.

La tension est à son comble. Le dispositif de remontée des résultats mis en place par la haute autorité ne nous permet pas de contrôler en direct.

19 heures, clôture du scrutin. Très vite, les engueulades commencent. Pourquoi n’obtient-on pas les résultats de ce département alors que nos amis sur place nous les ont déjà remontés ? Pourquoi ce silence radio dans telle ville, alors que nous avons déjà tout le reste de la fédération ? Entre 19 et 20heures, la moindre incohérence devient suspecte.

19 h 40, la tension se mue en pression. En cinq minutes tombent les résultats d’une dizaine de départements. Il s’agit en majorité de départements plutôt ruraux, pas vraiment notre cœur de cible. Pourtant, à chaque fois, Benoît sort premier ou au pire deuxième juste derrière Valls.

19 h 45, c’est réglé. Nous serons au second tour. Maintenant, LA question qui ne s’est jamais vraiment posée : premier ou deuxième ?

Nous nous trouvons largement en tête dans les grands centres urbains. Si Valls ne creuse pas l’écart dans les communes rurales, le vote des métropoles nous fera passer devant.

19 h 50, tout s’accélère. Les résultats départementaux tombent par grappe. Ça semble très bon mais tout va trop vite. On ne parvient plus à reporter en temps réel sur notre tableau.

Un résultat attire mon attention. En Côte-d’Or, le département de Rebsamen, l’historique «Monsieur Fédération» de Hollande, Hamon fait 29,8, Valls 28 et Montebourg 27,5. Hormis quelques valeureux militants, pour nous c’est terra incognita. Même dans mon scénario le plus optimiste, je n’ai jamais prévu que nous puissions gagner là-bas. Je comprends alors que  nous serons largement devant.

Une heure plus tard, les résultats sont consolidés : Hamon 36, Valls 31, Montebourg 17. Pas le temps de savourer. Benoît doit faire sa déclaration sur la péniche.

A l’arrivée, c’est l’explosion de joie. Personne n’a communiqué sur la soirée auprès de notre réseau, mais le bouche-à-oreille fonctionne à plein. Nous sommes vite débordés. Les journalistes s’agglutinent autour de Benoît à la recherche du moindre bon mot. Les militants veulent tous le toucher, l’embrasser, le féliciter.

Je suis resté sur le quai. J’observe la scène se dérouler. C’est un moment incroyable. Le peuple de gauche vient de nous donner raison après cinq années de quinquennat Hollande. Toutes ces batailles menées à l’Assemblée prennent enfin sens.

Benoît finit par parvenir à s’exprimer. Il se réjouit des résultats et donne tout de suite rendez-vous à Manuel Valls pour le débat de l’entre-deux tours.

Ces quelques minutes de discours forment l’œil du cyclone. Dès les premiers mots, la foule se calme instantanément pour écouter celui qui, à n’en pas douter, remportera la primaire dimanche prochain. Mais, comme dans la vraie vie, l’ouragan repart ensuite de plus belle. La musique démarre. Et la cohue reprend avec une intensité encore plus forte.

Si forte que je lui dois ma plus grosse frayeur de la campagne. La péniche se met à tanguer sous l’effet de la foule. Une amarre se rompt. La catastrophe défile sous mes yeux. Grâce au service d’ordre du parti, nous réussissons à évacuer discrètement un maximum de personnes puis à ramener Benoît suivi d’une cinquantaine de journalistes du bon côté de la péniche. L’embarcation se redresse doucement. Personne ne s’en doute mais nous nous venons de frôler la catastrophe. Heureusement, une bonne étoile flotte ce soir au-dessus de nos têtes.

La radicalisation des vallsistes

L’unique intérêt du second tour tient à l’ampleur de la victoire de Benoît. Les résultats du premier apparaissent tellement évidents qu’un renversement de situation semble hautement improbable. Il nous suffit de continuer sur notre lancée.

Notre stratégie se résume dorénavant à ne pas faire de faute. Le débat est prévu pour mercredi. Nous consacrerons les deux premiers jours à le préparer avant d’achever la campagne sur deux grands meetings. A Montreuil puis à Lille où Benoît recevra le soutien de Martine Aubry.

Un second tour apparemment tranquille, donc. C’est sans compter sur notre concurrent. Un vent de panique s’est levé dans le camp Valls. Comme souvent dans ce type de situation raison et lucidité ne l’emportent pas. Très tôt le lundi matin, Valls convoque un conseil de guerre avec ses principaux soutiens. Les tenants de la ligne dure prennent l’avantage. «Tu as perdu parce que tu as essayé de ne plus être toi-même. Les Français n’ont pas compris que tu adoucisses ton propos. Il faut que tu redeviennes le Valls qui bouscule».

Le tout résumé en un seul objectif : dépeindre Benoît Hamon comme un dangereux ennemi de la République.

Gonflée à bloc, la frange néo-conservatrice de ses soutiens se rue dans les médias. Ils ne font pas dans la finesse, loin s’en faut. Pour Malek Boutih, Benoît Hamon «est en résonance avec une frange islamo-gauchiste». Un ministre anonyme, toute ressemblance avec Jean-Marie Le Guen serait bien évidemment fortuite, nous gratifie de cette magistrale sentence : «Benoît Hamon est le candidat des Frères musulmans». Tremblez, Français ! Il imposera la charia si vous votez pour lui !

Mohamed Sifaoui incarne le mieux cette vision du monde inspirée de la théorie du «choc des civilisations» dans la galaxie vallsiste. Il s’illustre par des déclarations plus haineuses les unes que les autres. Avec les musulmans pour cible récurrente. Lors de l’Emission Politique du 6 janvier, il a comparé dans plusieurs tweets, par exemple, le foulard d’Attika Trabelsi à une serpillière et à un brassard nazi.

Valls ne se contente pas le laisser parler. Il l’adoube quelques jours plus tard en déclarant «ma vision de la laïcité, c’est celle d’Elisabeth Badinter, de Caroline Fourest et de Mohamed Sifaoui».

Toujours plus loin dans cette volonté de diviser de la société française. Ils n’ont décidément rien compris. Les Français de gauche ne veulent plus de cette ligne politique.

Le duel télévisé

Dans ce contexte, nous préparons le dernier débat, le quatrième pour Benoît en moins de trois semaines. Notre équipe est rompue à l’exercice. La violence des vallsistes nous fait cependant craindre que l’exercice tourne au pugilat. Ce n’est jamais bon. Lundi, Benoît sera candidat à l’élection présidentielle. Comment faire pour qu’il n’en ressorte pas trop abîmé ?

Je prends contact avec les éléments les plus raisonnables de l’équipe Valls qui me font part de leur désarroi. Face à la tournure que prend ce second tour, ils comptent bien y être associés le moins possible.

Benoît semble le moins inquiet d’entre nous. La veille du débat, je l’appelle pour lui proposer une stratégie de riposte graduée. Valls doit comprendre en direct que nous répondrons à chaque coup et qu’il souffrira au moins autant que nous s’il va trop loin.

Benoît m’écoute attentivement avant de m’annoncer qu’il n’aura pas besoin de ces cartouches. Surpris, je lui demande de m’éclairer. «Tout au long du mandat, j’ai acquis une conviction sur Valls. Il est fort avec les faibles et faible avec les forts. Il est très fort pour donner des coups de menton quand il n’a pas de contradicteur. Mais les yeux dans les yeux, il se dégonfle.»

Il voit juste. Il ne se passera pas grand-chose finalement. Chacun jouera sa partition. Valls tentera bien quelques attaques en dessous de la ceinture mais rien de déterminant.

Le débat sonne comme une reddition après trois jours de politique de la terre brûlée.

Derniers meetings

Jeudi 26 janvier. Nous sommes à trois jours du vote. Le terrain d’affrontement se situe en région parisienne. Alfortville versus Montreuil. Valls n’a pas réussi à faire chuter Benoît lors du débat de la veille. Au fond de lui, il sait qu’il a perdu.

Ça tourne au calvaire. Mille personnes ont fait péniblement le déplacement à Alfortville. La CGT a envoyé un comité d'accueil pour fêter son «pot de départ». Le discours de l'ancien Premier ministre est interrompu à de multiples reprises, sans compter les jets d'œufs et de farine. Rien ne va plus. Sur scène, il souffre. Cela se voit. La salle paraît atone. Il veut en finir au plus vite. Son discours dure moins d'une heure, arrêts de jeu et Marseillaise comprises.

A quelques kilomètres de là, nous vivons une toute autre soirée. Le Palais des congrès de Montreuil s’est rempli. Il y a une énergie formidable. Des jeunes, des vieux, des visages métissés, tout sourire. Les drapeaux s’agitent dans tous les sens. On voit du rose, du rouge, du vert. Ce qui s’annonçait comme un meeting classique restera l’un des plus forts moments d’émotion de la campagne des primaires.

Le discours de Benoît est rodé. Il le décline sans note à l’envie. Je l’ai tellement vu et entendu que je peux, presque à coup sûr, deviner quelle sera sa prochaine phrase.

J’écoute d’une oreille tout en discutant avec les journalistes présents. Tout à coup, je sens que quelque chose se passe. C’est difficile à décrire. Un peu comme si la lame de fond venu de la salle rejaillissait de la bouche du candidat. Un moment rare de communion. Benoît parle de sa France, généreuse et humaniste, où la différence constitue une chance. Depuis plusieurs semaines, renommé «Bilal» Hamon sur les réseaux sociaux, il subit des attaques répétées venant de l’extrême droite. A l’instar d’«Ali» Juppé. Leurs réactions se révèlent pourtant diamétralement opposées. Un rappel, s’il en était besoin, que la droite et la gauche s’incarnent dans des valeurs différentes. Juppé choisi de s’indigner. Benoît revendique.

Il harangue la foule : «A tous ceux qui m’ont appelé Bilal Hamon, je veux dire merci ! C’est un prénom magnifique. Je suis fier qu’ils m’appellent Bilal comme je serais fier s’ils m’appelaient Elie ou David. Tous ces prénoms qu’ils détestent parce qu’ils incarnent la force des différences de notre pays.»

La salle se lève spontanément, scande «Bilal ! Bilal ! Bilal !» J’ai le poil qui se hérisse rien qu’en y repensant. En cet instant, se dessine la meilleure des réponses à la campagne ordurière des soutiens de Manuel Valls. Ils sont les tenants d’une vision triste et haineuse du monde. Nous choisissons l’optimisme et la fraternité.

L’euphorie du 29 janvier

Le samedi soir, je téléphone à Benoît. La victoire ne fait aucun doute. Qui plus est, nous venons d’apprendre qu’un sondage le plaçant à 18% des intentions de vote à la présidentielle sera publié juste après les résultats. L’euphorie nous gagne.

Pour la première fois depuis longtemps, ce sondage promet autre chose qu’une défaite humiliante pour la gauche. En novembre, les candidats socialistes ne récoltaient que de 5 à 8 %.

Demain, on se trouvera loin devant Mélenchon et à quelques encablures de Macron. On se met à y croire.

A charge pour nous de ne pas détruire l’espoir né dans cette primaire. Benoît dans le carré des candidats susceptibles de gagner ! Nous n’avons pas eu le temps d’anticiper un tel scénario. Il faut réussir à rassembler notre famille politique tout en maintenant notre cap sur le fond. A ces deux conditions, nous aurons une chance de regagner nos électeurs tentés par Macron ou Mélenchon.

Dimanche 29 janvier. En fin d’après midi, toute l’équipe se retrouve à la Mutualité dans une ambiance joyeuse et électrique. Les soutiens sont là. Ceux du début comme les récents de l’entre-deux tours. Nous n’attendons plus que l’apparition du visage de Benoît à la télévision. Nous savons qu’il a gagné mais ça ne deviendra réel qu’à ce moment-là.

J’ai passé ma journée au téléphone pour négocier la venue d’un maximum de ténors à notre soirée électorale. Nous devons envoyer les signaux de rassemblement dès les résultats connus. Le soutien d’une personnalité nous tient particulièrement à cœur. Il s’agit d’Olivier Faure, le nouveau patron du groupe PS à l’Assemblée qui occupe le poste depuis le départ de Bruno Le Roux pour la place Beauvau en décembre. Historique des réseaux hollandais, il s’est néanmoins opposé à Valls sur la déchéance et a tenté tout au long du quinquennat de trouver des compromis. Ce serait la personne idoine pour incarner le rassemblement aux yeux des socialistes légitimistes. Ses paroles me rassurent tout de suite. «Je vous rejoins dès les résultats officialisés. Il y a eu trop de cassures. Je suis partant pour vous aider à recoller les morceaux.» Une très bonne nouvelle.

A 20h15, je monte dans la voiture avec Benoît. Direction Solférino pour la poignée de main avec Valls. Les photographes à moto encadrent notre véhicule le long du parcours. Tout commence à changer. Ça va très vite. Benoît pose son portable. Ses centaines de textos attendront. Il profite du moment. Nous rions en nous rappelant que l’aventure a démarré non loin d’ici, autour de son Opel Corsa. On se remémore Haïti aussi. C’était il y a moins d’un an. A ce moment l’avenir nous apparaissait complètement bloqué. Que de chemin parcouru depuis ! «On a réussi à montrer que notre famille politique a un avenir si elle arrête de renoncer, me dit-il. C’est un acquis quoi qu’il advienne ».

Maintenant, la présidentielle. L’heure de vérité. Si tout le monde joue le jeu, on peut sauver la gauche. Si…