Ancien directeur de campagne de Benoît Hamon durant la primaire et l'élection présidentielle, Mathieu Hanotin est actuellement conseiller départemental de la Seine-Saint-Denis en charge des sports et de l'organisation des Jeux olympiques et membre du bureau national du Parti socialiste. Il était également député de Saint-Denis, Pierrefitte et Villetaneuse lors du précédent mandat. Depuis le 21 avril 2002, son parcours s'est progressivement rapproché de celui de Benoît Hamon. En 2014, ils se retrouvent ensemble aux côtés des autres «frondeurs» de l'Assemblée nationale. Il fut également l'un des premiers soutiens du candidat. Il livre dans Libération le journal de cette campagne atypique vue de l'intérieur.
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L’ouverture du bal des trahisons
Benoît Hamon n’a pas échoué parce qu’il n’a pas voulu rassembler son propre parti. Prétendre le contraire relève ni plus ni moins de la calomnie. Dimanche 29 janvier au soir, son premier appel va à Hollande, le deuxième à Cazeneuve. Deux rendez-vous sont pris sans tarder. Dès lundi 16 heures avec le Premier ministre, jeudi pour le Président.
Benoît se rend à Matignon dans un esprit rassembleur. Il a cette idée, probablement naïve, que le respect l’emporte une fois le combat fini. Le rendez-vous se déroule en tête à tête. Nous nous étions mis d’accord avec le cabinet du Premier ministre pour qu’ils s’expriment ensuite sobrement l’un après l’autre à la sortie.
L’heure et demie d’entretien tourne vite au dialogue de sourds. Benoît tente de convaincre Cazeneuve qu’on peut intelligemment tourner la page du quinquennat en montrant l’avenir. Ce dernier semble imperméable au vote de la veille et demeure arc-bouté sur la défense quasi mystique d’un bilan que les Français de gauche viennent pourtant de rejeter massivement.
Cette incompréhension tourne chez lui au sentiment d’injustice. A la limite de l’arrogance. Comme si le peuple se montrait décidément incapable de reconnaître son intérêt. Il ne se remet aucunement en question. La seule erreur, concède-t-il du bout des lèvres, relève d’une mauvaise communication. Et encore, il sous-entend que c’est à cause des frondeurs.
A la sortie, Cazeneuve s’exprime le premier. Aucun sourire, aucune chaleur. Avant même de prendre la parole, son langage corporel traduit son état d’esprit. Le contenu de l’intervention est à l’avenant. Pas un mot de soutien. Tout juste reconnaît-il que «Benoit Hamon tire sa légitimité du scrutin». Il se contente de prendre acte du résultat. Encore heureux !
Le pire est à venir : un panégyrique de Manuel Valls et surtout des exigences. Le bilan du quinquennat ne saurait être critiqué. Cela sonne comme un oukase à mes oreilles. Nul besoin d’être grand clerc pour traduire : si tu veux notre soutien, abandonne ce qui a fait ta victoire.
Benoît, de son côté, s’en tient à sa ligne. De l’écoute et du respect. Une volonté d’enrichir son programme avec tous ceux qui le souhaitent. Mais le cap déterminé par deux millions d’électeurs reste clair. Celui d’une gauche fidèle, moderne et ambitieuse.
La déclaration du Premier ministre sonne comme une déflagration. C’est le «bon pour saboter» attendu par ces ministres et dirigeants du PS qui n’imaginent pas que nos idées puissent l’emporter à la fin.
Honnêtement, je ne pense ni ne veux affirmer que l’objectif de Cazeneuve était d’organiser le torpillage de notre campagne. Je suis convaincu en revanche qu’il n’a pas été à la hauteur de la responsabilité lui incombant.
Il revient toujours au chef de guider ses troupes. Même involontairement, en conditionnant son soutien à un changement de ligne politique impossible à accepter, il signe l’ouverture du bal des trahisons. Cette danse infernale ne s’achèvera que le 23 avril.
30 janvier, rencontre avec Jadot
Brasserie Le Dôme, boulevard du Montparnasse, 12h30. Benoît et moi retrouvons le candidat d’EELV Yannick Jadot et Alexis Braud, son directeur de campagne. Il s’agit d’un premier contact que nous ne tenons pas à rendre public. Nous voulons avant tout éviter de subir la pression des journalistes à peine sortis du restaurant. Toute la presse se focalise déjà sur la question des alliances possibles à gauche. Tout sera décortiqué et commenté. Un refus de déclaration à l’issue d’une rencontre sera assurément perçu comme une difficulté. A l’inverse, une photo de famille vaudra accord quasi définitif. Nous nous méfions des deux. À l’heure du tout-info, pas de place pour le temps, le doute ou la mesure.
En avant pour le petit jeu de l’étanchéité de l’information ! La rencontre n’est pas inscrite à l’agenda mais la rumeur a fait son œuvre. Depuis le matin, je suis harcelé de textos m’interrogeant sur le lieu du déjeuner. La brasserie se situe à 300 mètres de la Tour. En temps normal, nous nous y rendrions évidemment à pied. Impossible aujourd’hui à cause des caméras de chaînes infos plantées au pied de notre QG.
Histoire de brouiller les pistes, Benoît part en voiture et moi en métro. Quinze minutes plus tard, nous nous retrouvons à l’entrée du restaurant. Ça a marché. Personne ne nous a suivis.
Ils sont déjà arrivés. Dans la tradition des brasseries parisiennes, banquettes rouges, boiseries et barres de laiton, Le Dôme est un lieu chaleureux. Chic mais pas ostentatoire. Nous l’avons cependant moins choisi pour son style Art déco que pour ses petites alcôves privatives qui permettent les rencontres discrètes. On a besoin de se parler tranquillement. On sait qu’on va attaquer tout de suite le vif du sujet. Pas d’entrées. Un plat unique : le retrait de Jadot au profit d’Hamon. Les modalités au dessert.
En politique, un peu comme en amour, le contact passe parfois en quelques secondes. Nos convergences idéologiques sur le monde en transition apparaissent évidentes. Nos analyses stratégiques quant au nécessaire dépassement des structures politiques actuelles aussi.
Très vite la perspective de la candidature unique s’impose. La discussion tourne autour de deux sujets. Quelle relation avec le reste de la gauche et en particulier avec Mélenchon ? Quel timing choisir ? Le retrait de Yannick ne doit pas passer pour un accord d’appareil. Personne ne souhaite reproduire celui de 2012 qui tenait davantage du marchandage de circonscriptions que d’une vision politique commune. Le résultat s’en est fait sentir tout au long du quinquennat.
Nous pensons tous les quatre que Jean-Luc Mélenchon n’entretient aucune velléité d’accord dans cette séquence.
Ce qu’il a construit depuis la dernière présidentielle vise un seul objectif : détruire toutes les forces organisées à gauche. Il veut apparaître comme le seul susceptible d’incarner une alternative de par sa légitimité électorale personnelle.
La victoire de Benoît à la primaire contrarie ce plan bien orchestré. L’espoir créé par le vote de dimanche se révèle mortifère pour Jean-Luc. En une soirée, il est passé du statut de troisième homme à celui de candidat classique de la gauche de la gauche autour de 10% dans les sondages.
Dès le début de la discussion, Yannick Jadot pose un préalable. L’accord devra se trouver définitivement conclu avant l’ouverture de la période de recueil des parrainages à savoir le 25 février. Il s’est engagé à faire voter cette proposition par les 17 000 adhérents et sympathisants d’EE-LV. Cela doit avoir lieu avant cette date. De notre coté, nous militons activement pour que les choses aillent encore plus vite. Idéalement, nous souhaitons une annonce définitive autour du 18 février. Elle pourrait être précédée d’un déplacement commun symbolique pour incarner notre volonté de partager un futur désirable.
En politique, le diable se niche souvent dans les dates. Quand on dit «au plus tard le 25 février», tout le monde entend «25 février» mais jamais «au plus tard».
Dans une campagne, l’horloge est maîtresse. En raison peut-être de l’euphorie post-primaire, nous ne nous sommes pas assez astreints à respecter cette règle. Nous souhaitons boucler l’accord en deux semaines, cela prendra un mois.
En vérité, un mois pour discuter d’un accord programmatique et électoral avec EE-LV constitue un record absolu dans l’histoire de nos deux organisations. En 2012, il a fallu plus de six mois pour y parvenir alors qu’il ne s’agissait que des législatives ! Le calendrier aberrant de la primaire a eu raison des meilleures volontés. Si les élections s’étaient tenues en décembre, nous aurions pu mener ces discussions pendant la trêve des confiseurs. Au lieu de çà, nous sommes contraints de le faire au moment où nous devrions nous employer uniquement à convaincre nos concitoyens. Le tout sous le regard de la presse à la recherche de la moindre aspérité.
Rendez-vous à l’Elysée, suite des figures imposées
Echaudé par le raté de lundi à Matignon, nous tentons de mieux préparer l’issue de l’entrevue de jeudi avec François Hollande. La posture présidentielle ne permet pas de déclaration formelle à la sortie. Tant mieux. Ça évitera les comparaisons avec la déclaration du Premier ministre.
Nous avons besoin que ce rendez-vous se passe bien et que cela se sache. Les petites phrases lâchées çà et là doivent mourir d’elles-mêmes. La veille, François Rebsamen, un proche parmi les proches de Hollande, nous a égratignés en distillant l’idée qu’il n’était pas sûr de voter Hamon le 23 avril. Trois jours à peine après le vote ! Dès lundi, Jean-Yves Le Drian laissait dire aux journalistes qu’il ne ferait jamais la campagne de Hamon.
Alors on fait passer le message aux conseillers. Oui, ils ont des différends. Pas question de les nier, ça n’aurait pas de sens. Mais Benoît s’exprimera uniquement sur l’avenir. Il ne dira pas un mot du bilan. Il n’exigera pas non plus un soutien formel du Président. Il souhaite recueillir son expertise, notamment sur les sujets internationaux après l’élection de Trump.
Bref, on leur fait comprendre qu’on veut que cela se passe bien et qu’on est prêt à s’en donner les moyens.
L’entrevue s’avère très positive. Avec Hollande, la chaleur est toujours au rendez-vous. Et je suis sûr que l’animal politique n’est pas insensible au parcours de celui qui a déjoué tous les pronostics de la primaire, lui rappelant un peu sa propre histoire. Avant la chute de l’armada Strauss-Kahn, ne l’avait-on pas affublé du fort peu sympathique surnom de Monsieur 3 % ? Il y a une forme de respect mutuel entre eux. Celui des hommes qui ont bousculé l’histoire attendue.
Hollande gratifie même Benoît d’un conseil : «Cette campagne est maintenant entre tes mains, surtout sois libre.»
Là se résume la dualité de Hollande. Tous les signaux et autres déclarations de ses amis visent à nous enchaîner à son bilan. Et lui conseille à Benoît de tracer sa route sans s’occuper de quiconque. Peut-être aurions-nous dû davantage l’écouter.
A la sortie, Benoît est satisfait. Mais l’inutilité de la rencontre finira, avec la distance, par nous sauter aux yeux. Nous nous attendions à ce que des messages du Château appellent les uns et les autres à davantage de loyauté. Il n’en sera rien.
Le rien, une posture toute hollandaise. Une posture attentiste permettant à ceux qui veulent jouer le jeu de le faire et aux autres de continuer à saboter sans avoir l’impression de trahir leur mentor. Un épisode viendra, quelques jours plus tard, l’illustrer à merveille. Dans notre volonté d’apaisement, nous avons sollicité Frédérique Espagnac, sénatrice des Pyrénées-Atlantiques et parmi les voix officieuses de Hollande dans les médias, pour devenir porte-parole. C’est une fidèle parmi les fidèles. Lui confier un poste de porte-parole revient à lier nos destins sur le mode d’une alliance féodale. Une garantie que nous offrons à Hollande. Un gage de notre volonté de ne pas faire de son bilan ou de sa personne une cible. Elle est partante, mais pas avant d’en avoir discuté avec le Président. Elle veut son accord pour s’engager. Cela nous convient bien, c’est justement l’objectif de la manœuvre. Sceller une forme de paix des braves concernant le passé pour se concentrer sur l’essentiel, l’avenir.
La réponse de Hollande ne viendra jamais. Ni positive, ni négative. Le fameux rien. Le 11 février, la conférence de presse annonçant l’équipe de campagne est prévue à 13 heures. A 12 h 55, toujours aucune réponse. Elle ne me répond plus depuis le matin. Je finis par l’appeler du téléphone de Benoît. Je la sens honnêtement désemparée. Je lui arrache un oui, mais pas celui que nous voulions. Pas celui de Hollande. Le sien, rien que le sien.
Un nuage de plus qui annonce la tempête à venir.
Une citation du pasteur allemand Dietrich Bonhoeffer revient comme un écho dans ma tête : «Se taire, c’est déjà parler, ne rien faire c’est déjà agir.» Le résultat se révèle rarement positif quand les chefs refusent de prendre des décisions. Hollande est coupable de son laisser-faire.
Ce rendez-vous devait marquer le début d’une nouvelle étape. Il apparaît seulement comme la conclusion de la précédente. Et témoigne du dernier contact direct de Benoît avec François Hollande tout le temps que durera la campagne.