Menu
Libération
Episode 13

L'alliance avec Mélenchon n'aura pas lieu

Que la campagne est belledossier
Courant février, les interminables négociations avec Jean-Luc Mélenchon ralentissent la campagne et se soldent par un échec.
Yannick Jadot et Benoît Hamon lors de la visite d'un McDonald's, le 27 février (Photo Denis Allard. Réa pour Libération)
publié le 6 décembre 2017 à 10h00

Ancien directeur de campagne de Benoît Hamon durant la primaire et l'élection présidentielle, Mathieu Hanotin est actuellement conseiller départemental de la Seine-Saint-Denis en charge des sports et de l'organisation des Jeux olympiques et membre du bureau national du Parti socialiste. Il était également député de Saint-Denis, Pierrefitte et Villetaneuse lors du précédent mandat. Depuis le 21 avril 2002, son parcours s'est progressivement rapproché de celui de Benoît Hamon. En 2014, ils se retrouvent ensemble aux côtés des autres «frondeurs» de l'Assemblée nationale. Il fut également l'un des premiers soutiens du candidat. Il livre dans Libération le journal de cette campagne atypique vue de l'intérieur.

A LIRERetrouvez tous les épisodes de Que la campagne est belle

Mélenchon ou l’impossible entente

Mélenchon se prépare depuis au moins deux ans au combat fratricide à gauche avec ceux qu'il qualifie de traîtres, notamment le président sortant François Hollande. Un affrontement conçu comme une revanche après son départ du PS en 2008. Il aspire à laisser une trace majeure dans la grande histoire de la gauche tel un Jaurès des temps modernes. Il veut incarner une gauche purifiée qui se reconstruit sur l'affrontement total entre le peuple et les élites. La théorie des gauches irréconciliables chère à Manuel Valls lui convient parfaitement. Il a patiemment balisé le chemin pour parvenir à ses fins. Il a analysé les appareils des partis politiques, PS, EE-LV, mais aussi PCF, comme autant d'obstacles à détruire. Il a définitivement sabordé le Front de gauche, cartel des partis de gauche de la gauche, dès sa réélection au Parlement européen. Impossible pour valider ses théories d'être adossé à un groupement politique qui participe, au sein de nombreuses collectivités à des majorités plurielles. Il a fait barrage à toute initiative susceptible de permettre à la gauche de se rassembler. La primaire de gauche, imaginé par un collectif de citoyens autour de Thomas Piketty en a fait les frais. Détruire, cela sera encore son leitmotiv après la présidentielle quand les candidats de la France insoumise se présenteront partout là où une stratégie concertée aurait permis d'au moins doubler le nombre de députés de gauche dans la nouvelle Assemblée.

Juste avant le second tour de la primaire, nous mettons en place un petit comité stratégique pour préparer la transition. Balas, Cherki, Juanico et quelques autres sont présents. Nous avons pleinement conscience que l’impératif de rassemblement pèsera sur nos épaules. Nous savons que Mélenchon ne verra dans la victoire de Benoît qu’un obstacle de plus dans sa volonté de séparer durablement la gauche. Alors une question revient : comment le contraindre à un rassemblement qu’il ne souhaite pas ? Ou, à défaut, comment convaincre une partie de son électorat de choisir Benoît ?

Dès le lendemain de la victoire, tout apparaît encore plus clair : il faut lui reprendre trois points supplémentaires pour devenir des prétendants crédibles au second tour de la présidentielle. Notre hantise est de nous retrouver pris au piège de discussions sans fin de vérification idéologique et de compatibilité entre son programme et le nôtre. Fort du soutien populaire donné par les deux millions de participants, nous décidons donc de tenter la stratégie du nœud coulant. D’abord, on rassemble notre famille, ensuite, le reste de la gauche. Yannick Jadot et les écologistes, mais aussi le PRG, le MRC et d’autres petits partis présents sur l’échiquier politique. Puis après tout ça, on s’occupera de Mélenchon. Dans le même temps, nous prévoyons de stabiliser notre programme. Notre objectif est simple. Faire en sorte qu’à la fin février il ne reste plus qu’une question : «à quoi sert ta candidature, Jean-Luc ?» Comme il ne souhaite pas le rassemblement, nous tentons de lui imposer via l’opinion.

Le Portugal, déplacement symbole

Un déplacement doit symboliser cette perspective. Le Portugal s’impose à nous. C’est un pays où la gauche a réussi à se sortir de l’ornière par l’union. Sociaux-démocrates du PSP et communistes du Bloco ont surmonté leurs divisons autour d’Antonio Costa, l’actuel Premier Ministre. Ils montrent l’exemple d’un nouvel arc d’alliance que nous voulons faire émerger au niveau européen. Se rendre à Lisbonne permet de travailler la stature internationale de Benoît et a aussi le mérite de l’originalité. Au début d’une campagne présidentielle, tout le monde s’attend au traditionnel déplacement chez nos voisins allemands. Nous sommes prêts. Nous avons une stratégie. Nous avons notre carte postale du Portugal, belle image d’Épinal de ce que nous pourrions devenir. L’opinion est avec nous. Nous sommes prêts et pourtant rien ne se passera comme prévu…

Notre principale erreur est de ne pas avoir appelé Jean-Luc Mélenchon dès lendemain de la victoire alors que Benoît l’avait annoncé pendant la primaire. L’un de mes seuls vrais regrets dans cette campagne. Nous nous sommes laissés bercer par des sondages flatteurs. Le dimanche soir de la primaire Benoît atteint 18 % contre 9 pour Jean-Luc. Nous sommes obnubilés par le risque d’enlisement. Tellement persuadés que Mélenchon ne veut pas jouer le jeu, nous avons oublié une des règles fondamentales de la politique : la responsabilité du rassemblement porte sur le chef. Nous aspirons à diriger la gauche et le pays. C’est à nous de trouver le chemin aux yeux des Français. Ce coup de fil reporté nous coûte très cher. Il commence par redonner un bol d’air à Mélenchon. Quelques jours plus tard, il répète à l’envi «le téléphone rose n’a pas encore sonné» quand les journalistes l’interrogent sur la possibilité de s’unir avec Benoît. Nous lui avons offert le plus beau des paravents. Pire, on s’est piégé tout seul. Il devient ensuite très compliqué de l’appeler sauf à donner vraiment le sentiment de lui courir après. Je concède cette erreur sans difficulté. Mais elle n’explique pas à elle seule le déraillement de notre stratégie d’union.

Les mauvais génies vont se concerter et ne tarderont pas à entrer en action. Mélenchon multiplie les provocations verbales, un registre où il excelle, et demande la tête de Valls et d’El Khomri pile au moment où nous cherchons à rassembler notre famille. Impossible, évidemment. Mais surtout, il entame le petit jeu mortifère d’entrouvrir les portes pour mieux les claquer dans la foulée. Son attitude à l’occasion de notre déplacement au Portugal en est la meilleure illustration. Juste avant le départ, nous recevons une missive de Jean-Luc qui détaille toutes ses conditions à l’ouverture d’une discussion. Le ton est assez hostile. Les désaccords, notamment sur l’Europe, sont bien mis en avant. Mais Benoît choisit de ne pas s’attarder sur le coté maximaliste du texte. «C’est un premier pas», insiste-t-il sur le chemin de l’aéroport. «C’est ce qui compte. Je l’appelle dès qu’on atterrit à Lisbonne.» Ce qu’il fait. La discussion se passe bien et le principe d’un rendez-vous en début de semaine suivante semble même acté. Pascal Cherki – qui a préparé le déplacement au Portugal – et moi nous demandons alors si nous ne nous sommes pas trompés sur la volonté «jusqu’au-boutiste» de Jean-Luc. Si nos amis du Bloco et du PSP y sont arrivés, pourquoi pas nous ? Cette mini-euphorie durera le temps d’un après-midi.

Le soir, nous nous rendrons compte que nous ne nous sommes pas trompés sur les réelles intentions de Mélenchon. Sentant le «piège» se refermer, il s’empresse d’asséner sur le plateau de Ruth Elkrief qu’il n’a aucune intention de s’accrocher au corbillard socialiste. Ultime provocation, il précise même qu’il n’est pas opposé à ce que Hamon le rejoigne. Il a alors tout à fait conscience de braquer encore davantage les rétifs à l’union avec la France insoumise. Il veut surtout nous faire porter la responsabilité de la division sur le mode «c’est pas moi, c’est lui».

De leur coté, les zélés porte-voix du Château alimentent la presse en rumeurs et en déclarations. Ils ne font pas dans la finesse : «Benoît Hamon se radicalise.» «Il n’est pas au niveau.» «Il passe son temps à courir derrière Mélenchon.» «Il se perd dans des négociations sans fin.» Je passe alors le plus clair de mon temps à démentir de fausses rumeurs de rencontres secrètes avec la France insoumise. Ces rencontres n’ont jamais eu lieu. Si elles étaient advenues, l’histoire aurait probablement pu s’écrire autrement.

Deux stratégies convergentes ? A l’évidence. Y a-t-il eu des échanges entre des représentants du candidat de la France insoumise et des soutiens d’Emmanuel Macron ? Je n’en ai pas la preuve, seulement la certitude.

Le retrait de Jadot

Selon notre plan d'action, Yannick Jadot doit annoncer son retrait autour du 15 février. Quelques jours plus tôt, tout paraît quasiment réglé à l'exception d'une question. La candidature de Cécile Duflot aux élections législatives dans le XIe arrondissement de Paris. C'est le point dur. Le PS parisien et Anne Hidalgo en font un casus belli. Nous arguons qu'un accord national ne peut dépendre d'une situation particulière dans une circonscription. Ils nous répondent qu'on leur a déjà fait le coup, il y cinq ans. Et que Duflot s'est comportée de manière exécrable avec eux depuis, alors, cette fois, ils ne céderont pas.

Nous utilisons les mêmes arguments de l’autre coté tout en proposant à Cécile des solutions de replis à Paris et en Ile-de-France, mais elle ne veut pas en entendre parler. Je la comprends sans pouvoir lui dire. Députée sortante, la logique veut qu’elle se présente à sa succession. L’attitude de blocage des Parisiens est difficilement compréhensible. Evidemment, la presse s’en donne à cœur joie. Le retrait de Jadot ne devait pas être vécu comme un accord d’appareil. C’est raté, nous sommes en plein dans la tambouille. L’équation paraît insoluble. Benoît a impérativement besoin des écologistes pour porter son message de rassemblement de la gauche. Dans le même temps, il ne peut perdre le soutien d’Anne Hidalgo si il veut afficher l’unité de la plus grande partie de la famille socialiste. Les deux parties le savent et en jouent.

Contrairement à 2012, nous ne pouvons imposer de solution. Il faut convaincre. C’est ce que Benoît nous demande. François Lamy, deuxième lieutenant de Martine Aubry est à la manœuvre dans notre équipe. Il connaît le Parti et la carte électorale sur le bout des doigts. Artisan du précédent accord en 2011, le théâtre des négociations n’a aucun secret pour lieu. C’est un roublard insensible aux coups de pression. Nous tournons et retournons la carte des circonscriptions dans mon petit bureau au deuxième étage du QG pour en ressortir avec la conviction qu’aucune solution concertée ne s’imposera à notre niveau. Personne ne bougera avant de se trouver au pied du mur. En l’espèce, au dépôt des parrainages.

Le 25 février, le Conseil constitutionnel commencera à recevoir les formulaires. Tout doit être réglé avant. Nous nous sommes donnés jusqu’au 18 avec Jadot pour annoncer un accord. Il s’est engagé à le faire valider par les adhérents d’EE-LV. Après cette date, il ne sera plus possible techniquement d’organiser le vote dans le temps imparti. Nous faisons donc monter la pression dans les derniers jours, conscients que tout se décidera probablement lors d’une réunion au sommet, le 17 au soir. Du moins, en théorie. Jeudi 16 février, tard dans la soirée, je reçois un appel d’un ami haut fonctionnaire. Il m’informe que le gouvernement va annoncer le lendemain un report d’une semaine pour l’ouverture du dépôt des parrainages. Notre bel édifice vacille en une phrase. Tout le monde en profite pour prolonger la partie.

Le 22 février, nous en sommes exactement au même point quand Benoît réussit in extremis à obtenir d’Anne Hidalgo un accord sur la candidature de Duflot. Mais trop tard. Cette semaine de perdue a ancré l’idée d’un accord tactique et politicien. Les mauvais génies ont bénéficié de tout le temps nécessaire pour dénoncer la dangereuse fuite en avant de Hamon. Rien ne nous sera épargné : «il s’enlise dans le gauchisme», «il sacrifie tout aux écologistes», «prisonnier d’un parti à peine capable de réunir ses 500 signatures». L’inénarrable Jean-Marie Le Guen s’inquiète même de la dérive altermondialiste de la campagne. Le tout à cause d’une décision discrète de report prise sans raison évidente. Calcul volontaire de Hollande ? Lorsqu’on ne comprend pas une décision, il est toujours utile de se demander à qui profite le crime.

Il n'y aura pas d'union

Comment sortir de l'enlisement ? La question stratégique domine toutes les autres. Rien de ce que nous dirons ne sera audible tant que nous n'aurons pas conclu la question des alliances. A chaque déplacement, à chaque meeting, le sujet revient. Le retrait de Jadot acté, nous devons rapidement sortir du bourbier dans lequel nous sommes enlisés avec Mélenchon. Cela devient ridicule. Les journalistes commentent jour après jour une supposée négociation jamais entamée. Dans l'après midi du 23, je discute avec Alexis Braud du contenu de la déclaration de Yannick au 20 heures de France 2. Il s'adressera, avec force, directement à Mélenchon pour l'inviter à entrer dans le processus d'union de la gauche. Ce dernier passe à l'Emission politique le soir même. Cela tombe plutôt bien. Pujadas et Salamé ne manqueront pas de l'interroger sur le sujet. Lors de l'émission, le poker menteur reprend. Mélenchon répond avec aplomb à Pujadas : «Bien sûr que je suis d'accord pour rencontrer Benoît, dès lundi ou mardi s'il le veut». Encore une fois, Benoît tente de saisir la balle au bond dès le lendemain matin en proposant même d'élargir le rendez-vous à Yannick Jadot et Pierre Laurent, le patron des communistes. Inviter d'autres participants revient à proposer une porte de sortie par le haut à Jean-Luc. C'est toujours plus facile de se retirer au titre de l'intérêt supérieur de la gauche que de céder à l'intérêt particulier du candidat socialiste.

Le candidat de la France insoumise le comprend bien. S’il entre dans cette dynamique, il ne pourra plus reculer. La réponse ne se fait pas attendre : «Ne rêvez pas, ça n’arrivera pas.» « J’ai dit que j’étais d’accord hier ? Je ne m’en souviens plus.» Cela ne peut plus durer. Il apparaît désormais évident que Mélenchon fera capoter toute tentative de rassemblement. Quitte à couler la gauche. Nous avons davantage à perdre que lui. Il le sait et laisse donc sciemment pourrir la situation. Benoît se décide à prendre l’initiative. Il l’appelle juste après sa déclaration. «Voyons-nous ce soir», propose-t-il. Pas de presse, pas d’accompagnateurs.

Juste tous les deux. Les yeux dans les yeux, la vérité sort : «Je serai candidat. J'irai jusqu'au bout quoi qu'il arrive», annonce Jean-Luc. C'est dit. Une photo prise à la volée par des clients du restaurant tourne sur les réseaux sociaux. Inutile de faire semblant. Il nous faut maintenant clore ce chapitre le plus vite possible. Benoît s'en charge au JT de TF1 le dimanche soir. Il n'y aura pas d'union et nous ne réussirons pas à lui en faire porter la faute. L'affaire a même effacé tout le bénéfice politique du retrait de Jadot. Mélenchon, ce sacré animal politique, nous a bien roulé dans la farine. C'est le premier véritable échec de notre campagne.