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Libération
Episode 18

Tombés dans le toboggan

Que la campagne est belledossier
Fin mars, les mauvaises nouvelles s'enchaînent, les défections vers Macron continuent, et les sondages commencent à placer Mélenchon devant Hamon.
Lors du déplacement de Benoît Hamon à Bruxelles le 21 mars 2017. (Photo Diego Ravier. Hans Lucas pour Libération)
publié le 18 décembre 2017 à 13h32

Ancien directeur de campagne de Benoît Hamon durant la primaire et l'élection présidentielle, Mathieu Hanotin est actuellement conseiller départemental de la Seine-Saint-Denis en charge des sports et de l'organisation des Jeux olympiques et membre du bureau national du Parti socialiste. Il était également député de Saint-Denis, Pierrefitte et Villetaneuse lors du précédent mandat. Depuis le 21 avril 2002, son parcours s'est progressivement rapproché de celui de Benoît Hamon. En 2014, ils se retrouvent ensemble aux côtés des autres «frondeurs» de l'Assemblée nationale. Il fut également l'un des premiers soutiens du candidat. Il livre dans Libération le journal de cette campagne atypique vue de l'intérieur.

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Dies horribilis à Bruxelles

Le 21 mars, lendemain du débat, la campagne reprend son cours. 7h25, gare du Nord. Départ pour Bruxelles. Cette semaine, après Bercy et le débat, nous souhaitons travailler la posture régalienne de Benoît. Aujourd’hui, au menu, rencontre avec Juncker, Moscovici et de nombreux parlementaires européens de gauche et écologistes du mouvement «Progressive Caucus» avant de finir la journée par un meeting à destination de la communauté française.

Cette journée pensée comme une transition se transformera en Dies Horribilis.

Dans le train, Benoît reçoit un texto lui annonçant la terrible nouvelle du décès d'Henri Emmanuelli.

Il est effondré. Moi aussi. Pour bon nombre d’entre nous Henri a tenu lieu de père politique. Depuis le référendum sur la Constitution européenne de 2005 où il a porté le «NON socialiste», ma première campagne nationale, nous ne nous sommes jamais quittés. Je me souviens très bien de ma première vraie rencontre avec Henri. Un soir de la fin de l’année 2004, il a convié Roberto Romero et Pascal Cherki, déjà, dans son bureau de l’Assemblée pour discuter du lancement de sa campagne contre le TCE. J’y suis venu dans les bagages de Pascal. Je n’existais pas dans le paysage politique d’Henri. Au mieux m’avait-il aperçu. J’étais impressionné mais au beau milieu de la discussion, je me suis lancé. Non seulement il m’a écouté attentivement mais lorsque j’ai proposé un grand «Tour de France des délocalisations», il a adoré. Pour lui, la fonction ou le statut d’une personne ne prenaient jamais le pas sur ses idées. Ce fut un grand succès dont je ne suis pas peu fier.

En 2012 se forme à l’Assemblée un petit groupe soudé de parlementaires issus de l’aile gauche du PS comprenant notamment Pascal Cherki, Barbara Romagnan, Pouria Amirshahi, Fanélie Carrey-Conte et moi-même. Dès les premiers mois, des tensions avec l’exécutif apparaissent notamment autour du TSCG que nous sommes seize socialistes à ne pas voter. Henri s’est toujours attaché à nous protéger, même lorsqu’il n’était pas complètement d’accord avec nous. Il aimait se comparer à l’ours de son Béarn natal, protecteur, la plupart du temps, mais sûr de son coup de griffe quand il le fallait.

Pendant cinq ans, j’ai occupé un bureau minuscule, le 6858. Juste en face du sien qui fut aussi, en son temps, celui de François Mitterrand. Une phrase fusait en boucle de sa porte toujours entrebâillée : «Mais c’est pas possible, ils sont devenus fous !». «Ils» désignant souvent le gouvernement.

Henri avait aussi le goût de la provocation. Il aimait taquiner. J’y échappais rarement. J’entends encore sa voix rocailleuse m’apostropher dans le couloir. «Alors mon petit Hanotin, quel mauvais coup réserves-tu aux communistes aujourd’hui !? Chez nous dans les Landes, c’est comme la droite, on en a presque plus, alors on en prend soin, c’est une espèce protégée.» J’en souris encore.

Au-delà de ces anecdotes, tous ceux qui l'ont connu peuvent en témoigner, Henri avait le socialisme chevillé au corps. Son ADN était celui de la lutte contre les inégalités. Pas dans la théorie, mais dans le concret de l'action publique quotidienne. Pragmatique, homme de compromis assurément il était. Mais toujours dans la fidélité à un idéal de justice qui s'incarnait pour lui dans le mot «socialiste». Il faisait partie de ces rares figures dont la parole était autant crainte que respectée. Lui, avec son autorité, aurait pu mettre le holà aux saboteurs. La maladie en a décidé autrement. Personne n'a joué ce rôle auprès de Benoît. Il nous a tellement manqué dans cette campagne. Je n'ai pu participer à l'hommage rendu quelques jours plus tard. Henri aimait tellement la vie. Il la croquait à pleine dent. Pas besoin d'être un intime pour s'en rendre compte. Avec ces quelques lignes, je veux simplement lui dire merci. Adieu camarade.

 D’affaires en affaires

La journée noire continue. Une fois la nouvelle du décès d'Henri absorbé par le monstre médiatique, les révélations du Canard Enchaîné sur Pierre Moscovici prennent le relais. Un ami lui a offert, avant 2012, des costumes Arnys, tailleur de la paire François Fillon-Robert Bourgi. Cruelle analogie. Et voilà Benoît contraint de se justifier sur les actes du Commissaire européen en pleine conférence de presse. Le même nous égratignait par ailleurs quelques jours plus tôt, jugeant notre projet «beau mais irréalisable» dans une tribune publiée par Libé. Dans d'autres interviews, il a déploré l'attitude «peu sérieuse» – comprendre non-conforme aux injonctions libérales de Bruxelles – du candidat socialiste sur la question de la dette. Des interventions en forme de clins d'œil appuyés à Macron.

Non seulement, il ne nous aide pas, mais, de surcroît, ses affres personnelles achèvent de plomber notre journée. Benoît fait de l’éthique une valeur cardinale de son engagement. Se retrouver de facto à défendre un Mosco embourbé dans une affaire similaire à celle de Fillon le rend dingue. Sans compter le petit coup de carburant dans le moteur «Tous pourris» de l’extrême droite. Il a intérêt à se montrer correct lors de notre rencontre de l’après-midi, sinon Benoît ne le ratera pas.

Au final, il s’en tient à une stricte loyauté d’apparat. Difficile de faire autrement avec les révélations du jour. Et puis, la fin de son mandat approche. Il faut penser à la suite. Il ne mise pas, à l’évidence, sur notre victoire, mais l’afficher publiquement risque de lui être reproché au moment de constituer les listes européennes. Tout cela commence sérieusement à m’écoeurer. Nous nous sommes clairement trompés de stratégie en tentant de rassembler des personnes qui n’en avaient aucune envie. Ce sondage à 18% le soir de la primaire nous a décidément fait du mal. D’un côté, il nous a illusionnés sur notre capacité d’emmener tout le monde derrière nous, de l’autre, il a déclenché le sabotage «nécessaire» de notre campagne. Hamon pour perdre passe encore, mais pour gagner ou pour s’imposer comme le leader de la gauche après la présidentielle, hors de question. Voilà l’état d’esprit que nous avons dû affronter. Moscovici l’illustre parfaitement.

Notre journée noire n'est pas terminée. Quand les journalistes ont le sentiment d'avoir fait le tour des costumes, ils basculent sur l'affaire Le Roux. La veille celui-ci s'est trouvé mis en cause dans l'émission Quotidien au sujet d'emplois familiaux. Dans la foulée du PenelopeGate, ça tombe au plus mauvais moment. Démission ou pas ? Qu'en pense Benoît Hamon ? Le sujet tourne en boucle chez les journalistes dès la mi-journée. À des années-lumière du projet de traité démocratique préparé par Thomas Piketty que Benoît est venu présenter aux Institutions européennes.

L’annonce du départ de Le Roux du gouvernement tombe juste avant le début de notre meeting. La presse nous l’apprend. Un bon résumé de l’absence de relations avec le plus haut sommet de l’État. Pire, pendant que je réagis en duplex sur BFM, je découvre en direct que son successeur au ministère de l’intérieur n’est autre que Matthias Fekl, ministre du Commerce extérieur, à qui Benoît a confié le soin de préparer l’agenda des six premiers mois de son futur gouvernement. Évidemment, on me demande de commenter. Je suis content pour lui mais perdre un ministre, parmi les plus actifs dans notre campagne, à un mois du scrutin, est une mauvaise nouvelle de plus. Sans compter que le gouvernement, toujours aussi élégant, n’a même pas pris la peine de nous prévenir ! Rien ne nous sera épargné, jusque dans les détails. Malgré tout, deux mille personnes participent au meeting de la présidentielle française à Bruxelles. Du jamais vu ! La salle de la Madeleine déborde. Nous avons prévu une rediffusion en direct dans un café attenant, très vite pris d’assaut. Il y a de la joie et de l’enthousiasme. Le contraste avec les nuages qui s’amoncellent au-dessus de nos têtes s’avère saisissant. La presse, en revanche, ne voit qu’eux.

Et ce n’est pas fini. En point d’orgue de cette journée terrible, nous apprenons – alors que Benoît se trouve encore sur scène – qu’un sondage de l’institut Elabe positionnera Mélenchon devant lui demain. Ce que nous avons ressenti intuitivement hier nous rattrape. C’est le tournant. Nous ne voulons pas encore y croire. Nous tentons de nous persuader que nous redresserons la barre dans les jours à venir. Que les courbes vont se recroiser. Qu’au deuxième débat, on ne refera pas les mêmes erreurs. Qu’il nous reste un mois entier. En réalité, cette journée marque le début de notre descente aux enfers.

Le sabotage du général Le Drian

Depuis le début de la campagne, Benoît s’est attaché à ne jamais égratigner Jean-Yves Le Drian. Quelques semaines plus tôt, lors d’un déplacement à Brest, il a même rendu un hommage vibrant à son action au Sahel avec l’opération Barkhane.

Benoît a beaucoup travaillé sur les questions de Défense. Son programme pour la primaire s’est révélé le plus dense de tous les candidats. Force est pourtant de constater que cela n’intéresse pas les médias. Depuis trois semaines se prépare une rencontre avec les troupes pour tenter de remédier à la situation. Au lendemain de sa victoire, François Fillon a été emmené en grande pompe par le ministère de la Défense sur les terrains d’opérations du Mali. Pour nous, l’histoire est tout autre. Nous cherchons à faire plus modeste. Avec le 1er tour dans à peine un mois, nous ne pouvons nous offrir quatre jours à l’étranger. Dans l’équipe émerge l’idée de proposer à Benoît de se rendre sur le Charles De Gaulle en cale sèche à Toulon depuis début février. Le candidat s’est déjà distingué sur le sujet par des propositions novatrices. Il refuse pourtant. Il veut voir les troupes, être au contact direct de ceux qui ont essuyé le feu au nom de notre pays.

Fin février, nous demandons donc au ministère de nous faire des propositions pour visiter une base militaire en métropole avec des soldats rentrant du service actif. Tout semble compliqué. Le cabinet de Le Drian met des jours à nous répondre. Christian Paul, notre responsable Défense qui prépare la séquence, tire la sonnette d’alarme. Après le 23 mars, nous entrerons dans la période de réserve de l’Etat, ce ne sera plus possible.

Deux semaines avant la date fatidique, je téléphone personnellement au directeur de cabinet du ministre. Je suis bien décidé à le mettre sous pression pour obtenir une simple égalité de traitement avec le candidat de droite. Nos «amis» gouvernent et nos adversaires ont davantage de facilités que nous. Ubuesque. Il me répond deux jours plus tard, le 10 mars. A ma grande surprise, il se montre très sympathique. Cela aurait probablement dû m’alerter. Il me promet de faire le nécessaire pour que nous puissions rencontrer le 1er régiment d’infanterie de Sarrebourg. Fondé en 1479, il s’agit du plus vieux régiment du monde encore en activité. Depuis 2014, il a intégré la brigade franco-allemande. Cela nous paraît un bon choix. Mais nous sommes trop proches de Bercy maintenant. Ensuite aura lieu le débat puis le voyage à Bruxelles. Nous nous accordons donc sur la date du 23. Cela convient parfaitement au ministère.

Un peu trop même. Je comprendrai pourquoi quelques jours plus tard lorsque Macron présentera son programme Défense le 18 mars devant un aréopage de hauts gradés, de spécialistes du secteur militaire et… de membres du cabinet du ministre. Une présence si évidente que de nombreux articles de presse font état de leur participation active à l'écriture du discours du candidat d'En Marche. Ils ont fait traîner. Juste comme il faut, afin que nous nous retrouvions dans l'impossibilité de nous exprimer sur le sujet avant notre concurrent. Ce serait de bonne guerre s'il ne s'agissait pas de nos amis politiques. A partir de là, plus aucun doute n'est permis concernant les intentions de Le Drian. La question est quand les rendra-t-il publiques ? Au pire moment, encore une fois. Dans le train pour Strasbourg ce jeudi 23 mars, la même alerte s'inscrit sur tous nos smartphones. Au cours d'un entretien accordé au quotidien Ouest France à paraître le lendemain, le ministre de la Défense explicite les raisons de son choix en faveur de Macron. A la trahison s'ajoute la mesquinerie. Il a choisi de faire fuiter l'info 24 heures plus tôt. L'objectif est clair : obliger Benoît à commenter sa défection devant les militaires. La volonté de nuire paraît manifeste. Pour la presse, l'histoire est trop belle. Hamon lâché par le ministre le jour où il présente son programme devant les militaires. Difficile de rivaliser. Logiquement, personne ne relaiera le discours de Strasbourg. Il a pourtant reçu un très bon accueil par les spécialistes du genre. Personne ne commentera l'excellent contact avec les troupes. Seul le sabotage et son exégèse demeurent. Encore.

Cette génération de Hollandais nous considère vraiment comme des imposteurs. Un peu comme si, à la faveur de la primaire, nous étions entrés chez eux par effraction et que nous avions décidé de squatter. L’intérêt de la gauche leur importe peu. Un ressort sans doute plus fort les meut. La lutte pour leur survie assortie d’une forme de mépris de classe. Ils se sentent si supérieurs à Hamon. Sa candidature représente à leurs yeux une telle injustice que cela légitime totalement leurs actions de sabotage.

Sur le toboggan

Le mercredi 29 mars, Valls franchit à son tour et sans surprise le Rubicon. De quoi clore la chronique quotidienne des trahisons.

Le soir, nous sommes en meeting à Lille. Le lendemain à Montpellier. On lâche les coups. Martine Aubry, Carole Delga, Kleber Mesquida, le président du département de l’Hérault ou encore Virgine Rozière, la députée européenne PRG, se chargent de pilonner le «traître». Les militants sont partagés entre colère et soulagement. Benoît est libéré, ça se sent. Il en appelle aux valeurs de notre camp, à notre histoire. Il nous fait relever la tête. Nous retrouvons notre fierté en l’écoutant. Nous espérons aussi que cette clarification permettra le retour des électeurs qui ont basculé sur Mélenchon depuis le débat.

L’accueil ne faiblit pas sur le terrain. De nombreux concitoyens nous témoignent tous les jours leur adhésion au futur désirable que propose le candidat. Les meetings ne désemplissent pas. 5000 à Lille, 3000 à Montpellier. L’effervescence est toujours là. Nous voulons croire au sursaut dans la dernière ligne droite. C’est avec cet état d’esprit que j’embarque le vendredi matin dans l’avion du retour de Montpellier. Après deux jours en déplacement, j’ai prévu de repasser chez moi à Saint-Denis. C’est jour de marché. Les fidèles sont là. Adrien Delacroix, le secrétaire de la section socialiste de Saint-Denis, Marilyne Cosme qui m’accompagne depuis le début du mandat et de nombreux autres. Leur rôle dans cette campagne est ingrat. Je passe mes journées entre le QG et les meetings aux quatre coins de la France. Eux restent à Saint-Denis pour tenir la boutique en mon absence. Après l’élection présidentielle viendra la législative. Si j’ai pu m’investir totalement dans mon rôle de directeur de campagne, c’est grâce à cette équipe formidable qui œuvre au quotidien sur le terrain. A leur contact je me rends vite compte que mes espoirs du matin ne sont qu’illusions. «Depuis le débat, c’est dur», me confient-ils. Quelque chose a basculé. Pas du bon coté. C’est terrible et injuste mais les discussions que j’ai ce matin-là avec les électeurs de ma circonscription laissent peu de place au doute.

Une rencontre illustre ce phénomène jusqu’à la caricature. Un électeur m’aborde. Je le reconnais. Il m’a régulièrement soutenu lors des dernières élections locales. Il me confie tout le bien qu’il pense de Benoît, «le seul à défendre les quartiers», puis se lance dans une diatribe d’une violence incroyable contre Valls. Il est scandalisé par sa trahison. Enfin une discussion qui se passe bien, pensé-je jusqu’à sa conclusion : «Rassurez-vous Monsieur Hanotin, on va leur faire payer à tous ces traîtres. Pour les punir, je vais voter… Mélenchon.»

Je comprends alors que nous ne remonterons pas la pente. Nous sommes tombés dans le toboggan. Nous réussissons toutes nos initiatives mais plus rien n’accroche dans l’opinion. On glisse encore et encore. Terrible.

Nous n’incarnons plus l’espoir de renouveau de la gauche. Nous sommes devenus aux yeux de nos concitoyens les porteurs d’un système qu’ils rejettent et dont les tenants ne nous soutiennent pas. Nous perdons sur tous les tableaux.