Ancien directeur de campagne de Benoît Hamon durant la primaire et l'élection présidentielle, Mathieu Hanotin est actuellement conseiller départemental de la Seine-Saint-Denis en charge des sports et de l'organisation des Jeux olympiques et membre du bureau national du Parti socialiste. Il était également député de Saint-Denis, Pierrefitte et Villetaneuse lors du précédent mandat. Depuis le 21 avril 2002, son parcours s'est progressivement rapproché de celui de Benoît Hamon. En 2014, ils se retrouvent ensemble aux côtés des autres «frondeurs» de l'Assemblée nationale. Il fut également l'un des premiers soutiens du candidat. Il livre dans Libération le journal de cette campagne atypique vue de l'intérieur.
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Descendre du paquebot
Dimanche 2 avril. Il reste trois semaines de campagne. Benoît rentre juste d’un très beau meeting à La Réunion. Le déplacement devait durer entre deux et trois jours. Nous l’avons réduit au minimum. Départ vendredi soir de Roissy, retour le dimanche matin à 6 h 25. Deux nuits consécutives dans l’avion. Fatiguant mais nécessaire. Nous avons besoin de temps pour redéfinir notre stratégie de dernière ligne droite. Les principaux cadres de la campagne se retrouvent dimanche après-midi au QG. Une évidence s’impose. Notre stratégie axée autour de grands meetings régionaux n’est plus opérante. Trop lourde à porter. La crainte des salles mal remplies tourne à l’obsession avec les sondages en berne. Nous y déployons une énergie folle qui ne produit aucun effet positif dans l’opinion. De surcroît, cela bride notre réactivité. Notre campagne ressemble à un paquebot, lourde et lente. Tout paraît cadenassé jusqu’au premier tour. Si on s’en tient au programme, nous n’avons plus aucune marge de manœuvre. Pour rebondir, nous devons utiliser davantage l’actualité. La semaine précédente, nous avons fait un très beau coup en nous rendant dans l’Ephad visité auparavant par Fillon à l’occasion de son passage à l’Émission Politique. Son mépris affiché pour le difficile travail d’aide-soignant avait beaucoup choqué. Les propositions de Benoît sur les seniors n’en ont été mieux entendues. C’est de cela dont il faut s’inspirer. Opter pour un calendrier souple, facilement modifiable, jusqu’à la dernière minute. On garde un meeting par semaine. On annule tout le reste.
Pour enrayer la chute, électoralement parlant, il faut revenir aux fondamentaux. Sociologiquement, on doit viser l’électorat populaire qui vit difficilement de son travail. Médiatiquement, on doit surprendre et exploiter les bons «spots» pour faire exister nos propositions catégorielles. Géographiquement, on doit se concentrer sur nos points forts, les banlieues et l’ouest de la France en particulier. Le tout avec Benoît, au maximum sur le terrain, au contact direct de nos concitoyens.
Rendre compréhensible le nouveau revenu universel
Lundi 3 avril. La nouvelle version du revenu universel n’a pas été comprise par le grand public. Benoît a travaillé en profondeur pour faire évoluer sa mesure phare afin qu’elle ne soit plus perçue comme un dispositif «anti-travail». Mais cela a pris trop de temps. Ses détracteurs en profitent pour continuer à dénoncer l’«utopisme» de Hamon, ses soutiens paraissent décontenancés. Notre atout majeur est devenu un poids.
Pour y remédier, nos équipes travaillent d’arrache-pied depuis trois semaines, autour de Julia Cagé, pour créer un simulateur permettant à chacun d’estimer son gain de pouvoir d’achat au 1er janvier 2018. Le grand lancement a lieu aujourd’hui. Dès le début, la réussite est au rendez-vous. Benoît et moi nous tenons derrière l’écran d’Olivier Stern, le responsable de la com digitale. En moins d’une heure les «stats» s’affolent. 300, 2200, 9700, 15600 connexions simultanées. Nous avions prévu un fort afflux mais pas un tel emballement. Notre serveur n’arrive pas à suivre. Au bout de deux heures le site est HS. La rançon du succès. Dès l’après-midi, tout sera reconfiguré de manière adéquate. Au final, plus de trois millions de personnes font le test. Preuve, s’il en est besoin, des attentes d’une grande partie de nos concitoyens.
Pour populariser notre simulateur, trois caravanes sillonneront le pays. L’opération a été montée en une semaine tout juste. Le lundi 27 mars, lors de notre réunion «orga» hebdomadaire, suite à la dégradation brutale de notre situation dans les sondages, j’ai exhumé cette proposition de David Dobbels, l’un des piliers de notre pôle déplacement au début de la campagne. J’ai demandé l’impossible. Une semaine pour trouver les camionnettes, les logotyper, les équiper en outils numériques pour réaliser les simulations. Une semaine pour créer des parcours cohérents traversant une centaine de villes. Une semaine pour trouver vingt-cinq personnes acceptant de partir bénévolement sur les routes de France pendant trois semaines. J’ai fixé l’objectif de trois caravanes considérant en mon for intérieur qu’une serait déjà pas mal. Heureusement nous avons le MJS. Son président Benjamin Lucas, et son secrétaire général, Thomas Kekenbosch relèvent le défi. Je veux vraiment leur tirer mon chapeau. Pendant toute cette campagne, les jeunes ont répondu présents. Encore une fois, à cette occasion, ils ont fait preuve d’une abnégation totale et d’un savoir-faire hors pair.
A l’image du simulateur, les caravanes rencontrent un franc succès. A chaque étape la presse locale s’empare du sujet. Ça marche tellement bien qu’une question revient sans cesse. Pourquoi ne pas l’avoir fait plus tôt ? Nous avions évoqué l’idée au tout début de la campagne sans jamais la concrétiser. Clairement une erreur. Les tourments exogènes nous ont parfois fait oublier l’essentiel. Pour ne pas subir, il faut être à la manœuvre. Agir plutôt que réagir. L’horloge nous rattrape. C’est le début du temps des regrets.
Le sort s’acharne…
Mardi 4 avril. Benoît a pris sa journée pour préparer le second débat. A onze candidats cette fois. Notre session de rattrapage. Il m’appelle le matin. Je m’attends à recevoir une commande de dernière minute pour le soir. J’ai sous-estimé la tâche. Pour tenter de stopper l’hémorragie de nos électeurs, il veut écrire à tous les Français-e-s à l’instar de François Mitterrand en son temps. Dans la ligne de Bercy, il veut simplement leur dire de voter POUR. Les inviter à ne pas céder à la pression du vote stratégique. Choisir de faire confiance avant de se trouver réduits à juste éliminer.
Renseignements pris, au vu des délais et de notre budget, nous pouvons réussir un publipostage à neuf millions d’exemplaires. C’est énorme.
Tout doit être bouclé sous 72 heures pour livraison dans les boîtes aux lettres avant le 18. Pas le temps de passer par les circuits habituels. Nous n’avons pas droit à l’erreur. David Assouline décide de traiter cette affaire en direct. La nuit du débat sera blanche, mais le texte bouclé mercredi soir.
Il doit rester sous black-out pour être divulgué en avant-première lors d'une conférence destinée à la presse quotidienne régionale le mercredi 12 avril. Comme la séquence coûte cher, autant maximiser le rendement. Le mardi 11 cependant, Arthur Nazaret, correspondant toujours bien informé du JDD, tweete une photo de la lettre. M… ! C'est pas possible. Qui a pu faire un truc pareil ? Furieux que notre plan com se trouve torpillé en moins de 140 signes, je contacte Nazaret. Ma colère se change en sourire jaune. Il n'y a pas eu de fuite. Le journaliste l'a tout simplement reçu dans sa boîte aux lettres le matin même. Trois jours avant la date prévue. Alors que le service public est tant critiqué pour ses retards, je ne pensais pas un jour me plaindre d'un excès de célérité de La Poste…
Voilà voilà. La "lettre aux Français" de @benoithamon est arrivée ce matin dans les boîtes aux lettres pic.twitter.com/G4DkPvZO0c
— Arthur Nazaret (@ArthurNazaret) April 11, 2017
Quand ça ne veut pas…
Vendredi 7 avril. Nous sommes à seize jours du premier tour. La journée prévue en Bourgogne se situe pleinement dans notre objectif de «retour aux fondamentaux». Visite d’usine le matin avec Arnaud Montebourg au Creusot. Rencontres avec les élus ruraux qui subissent la désertification des services publics l’après-midi à Château-Chinon, terre d’élection de François Mitterrand.
Le Creusot est une ville fleuron de l’industrie française mais aussi le lieu d’implantation de la forge d’Areva. Évidemment les propositions de Benoît sur la sortie du nucléaire n’y sont pas très populaires. Dans la semaine qui précède nous passons beaucoup de temps à déminer grâce à l’entremise de Philippe Baumel, le député de la circonscription. Il faut absolument éviter l’image déplorable d’une manifestation d’ouvriers contre le candidat socialiste à deux semaines du premier tour. Nous essayons de les rassurer et surtout nous leur proposons un échange direct avec Benoît. Sa stratégie doit permettre la création de nombreux emplois dans la filière énergétique. Il veut ce débat. Il se fait un devoir de répondre aux inquiétudes légitimes des salariés de la filière.
Le jour venu, les syndicats jouent le jeu. Pas de banderoles ni de comité d’accueil à la sortie du train. Jusqu’ici tout va bien. La rencontre avec les organisations syndicales est prévue à 10 h 30 mais notre journée sera atomisée bien avant cela. Arnaud Montebourg s’en charge.
En nous rejoignant à 8 h 30 sur le site BSE, une entreprise de pointe du secteur de la fabrication des composants électroniques, il affiche sa mine des mauvais jours. Je mets ça sur le compte des mauvais sondages. Nous venons de passer en dessous de la barre des 10%. La visite suit son cours quand, peu avant 9 h, je vois passer un tweet de Jules Pecnard, journaliste à l’Express. Il cite Montebourg affirmant, peu ou prou, que «lui candidat» aurait fait beaucoup mieux.
Montebourg sur Hamon: "Si j'avais gagné ça n'aurait pas été la même chose, j'avais un programme qui permettait de trianguler Macron..." pic.twitter.com/LfoRgQ06kj
— Jules Pecnard (@JulesPec) April 7, 2017
Ça y est. En trois lignes, il vient de nous planter la journée. Pire, il renforce le sentiment d’un Benoît abandonné par tous. Peu de temps après, il quitte la délégation et s’éclipse. Dernier arrivé, premier parti. Cela n’échappe à aucun des nombreux journalistes présents qui immortalisent l’image. Montebourg marchant seul vers sa voiture quand Benoît continue sa visite. Un abandon en rase campagne. Je n’en comprends toujours pas les raisons aujourd’hui. Bien sûr, il y a les désaccords sur le nucléaire mais même la rencontre avec les syndicats s’est passée correctement. En aucune manière, cela ne justifie une telle attitude. C’est le seul reproche que je peux faire à Arnaud de toute la campagne, mais il est de taille. Nous n’avions vraiment pas besoin de ça. Surtout à ce moment. Si c’était trop dur pour lui, il aurait dû trouver une excuse diplomatique. Il n’aurait été ni le premier… ni le dernier. L’épidémie de maux de dos a particulièrement sévi en cette fin de campagne.
Le reste de la journée se passe conformément à nos attentes. La «visite à Mitterrand» aux côtés de Christian Paul, député de la circonscription, comme le meeting devant les élus en plein air organisé avec le concours d’André Laignel, vice-président de l’AMF . L’image de Benoît s’exprimant sous un surprenant soleil nivernais avec en toile de fond Château-Chinon et son clocher est magnifique. L’une des plus belles de la campagne. Tout cela aurait dû rester dans nos mémoires comme une étape réussie. Mais depuis ce matin, une nouvelle fois, tout cela n’a plus d’importance. La presse du lendemain se concentrera sur l’épisode Montebourg et le reste sera ravalé au rang de lot de consolation. Encore une journée de gâchée. Une parmi les nombreuses de cette si courte campagne.
Le parrainage inattendu
Le 28 mars, Benoît se trouve en Allemagne pour rencontrer Martin Schultz, le leader du SPD et Angela Merkel. Je suis resté à Paris. Depuis la semaine dernière, nous avons un problème supplémentaire à traiter. Matthias Fekl est devenu Ministre de l’intérieur. Organisateur des élections, il lui est impossible d’un point de vue éthique de continuer à agir dans la campagne. Cela ne nous arrange pas et c’est un euphémisme. Matthias était en charge de l’écriture de notre «Agenda 2017 ». Habituellement, les candidats présentent le programme de leurs 100 premiers jours. Nous avons fait le choix d’élargir cette période pour démontrer que nous sommes prêts à gouverner au-delà de mesures symboliques prises dans la foulée de la présidentielle.
Les deux chevilles ouvrières de cet agenda sont Aurore Lalucq et Mathilde Maulat. Cette dernière coordonne le travail des experts. Elle travaillait au ministère du Commerce extérieur avec Matthias Fekl et possède un profil atypique. Ni énarque, ni centralienne, ni polytechnicienne, elle est diplômée d’un Master de la Sorbonne en ingénierie de la concertation. Lui confier le pilotage des groupes d’experts est un vrai choix politique. Nous cherchions quelqu’un capable d’impulser un véritable travail collaboratif afin donner un sens global, compréhensible par le plus grand nombre, à notre programme de réformes.
Aurore, quant à elle, fait le lien avec Guillaume Balas et l’équipe qui a préparé le programme global. Économiste de renom, elle codirige l’Institut Veblen. Elle nous accompagne depuis Saint-Denis au mois d’août 2016 où l’aventure de la primaire avait vraiment commencé.
Le départ de Matthias nous pose un sérieux problème d’incarnation. En présentant ce projet aux côtés de Benoît, il y apportait sa crédibilité personnelle. La présentation de cet «Agenda 2017 » prévue pour le 10 avril constitue notre dernière grosse «cartouche» sur le plan programmatique. L’idée de faire parrainer cet agenda par une personnalité de renom s’impose alors. Très bien, mais qui ? Au jeu du name dropping, Aurore remporte la palme. Elle avance le nom de James K. Galbraith, l’ancien conseiller économique de Barack Obama puis de Bernie Sanders. C’est du lourd. Au-delà de sa renommée internationale personnelle, son patronyme résonne avec l’histoire de la gauche américaine. Son père, John Galbraith, fut l’un des inspirateurs du «New Deal» de Roosevelt suite à la crise de 1929. De Roosevelt à Hamon, du New deal au futur désirable, on se met à rêver aux comparaisons que pourrait entraîner un tel parrainage.
«Je le connais très bien», annonce Aurore. «On travaille ensemble depuis plus de dix ans. Je le contacte ?» Pour sûr !
Deux heures plus tard, il répond. Dans un français impeccable. Comme Bernie Sanders, il suit activement l’actualité politique de notre pays. L’idée lui plaît immédiatement. Il y a comme une sorte d’évidence dans sa volonté d’aider Benoît alors qu’ils ne se sont jamais rencontrés.
«Je suis à Moscou pour la semaine. On m’y remet un prix ce week-end», nous écrit-il. «Mais j’ai du temps, je suis partant, envoyez-moi votre document et je vous rappelle demain». S’ensuivront trois jours de travail via Skype au cours desquels il brosse toutes les mesures que nos experts ont travaillées.
Son prix délivré, il rappelle Aurore. «Avec tout ce travail, je n’ai pas envie d’être juste un nom posé sur un papier. J’ai bien conscience de la situation difficile que vous affrontez. Je veux apporter ma contribution effective à Benoît». Très bonne nouvelle. «Je modifie mes billets et je fais une halte de deux jours à Paris. On échange avec Benoît et après je peux faire quelques interviews». Que dire ? D’accord, évidemment. Il y a une semaine, nous étions presque résolus à abandonner l’idée que ce programme soit porté par une personnalité et aujourd’hui James K. Galbraith traverse la moitié du monde pour nous soutenir.
Le 3 avril, le voici donc à Paris. Avec Benoît, le feeling passe immédiatement. Leurs échanges donnent l’impression qu’ils se connaissent depuis longtemps. Les constats sont partagés. Sur l’Europe en particulier. «Pour moi», explique-t-il à Benoît, «Macron c’est la fin de l’Europe. Il va s’aligner sur Merkel. Ce sera le retour du business as usual. Une Europe des forts sans solidarité avec les États les plus faibles. Cela ne fera que renforcer encore davantage la montée de tous les nationalismes». Benoît qui a échangé avec la Chancelière allemande la semaine précédente approuve sans réserve.
Manifestement, cette rencontre essaimera au-delà des élections. Tous ces échanges constituent les prémices d’un avenir en commun. Je ne serai pas surpris quand quelques mois plus tard, Benoît le rejoindra à son invitation à Austin, accompagné notamment de Yanis Varoufakis, afin de poser les bases d’une nouvelle alliance internationale des progressistes.