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Libération
Interview

Arnaud Mercier : «Le Président utilise finalement les médias, mais il en garde le contrôle»

Une «parole rare» n’avait de sens qu’avant l’apparition d’Internet et des chaînes d’information en continu, selon le spécialiste de la communication Arnaud Mercier.
Hanouna et ses chroniqueurs appellent le chef de l’Etat à la veille de son anniv, le 21 décembre. (Capture C8)
publié le 29 décembre 2017 à 20h36

Arnaud Mercier est professeur de communication à l’Institut français de presse et à l’Université Paris II-Panthéon-Assas. Il analyse la stratégie médiatique du président de la République.

On avait donc mal compris Emmanuel Macron et sa théorie de la rareté de la parole ?

C'est plutôt lui qui s'est trompé, et qui s'en rend désormais compte. La «parole rare» théorisée par [le conseiller en communication politique] Jacques Pilhan avait du sens à une époque qui ne connaissait ni Internet ni les chaînes d'information en continu. Un autre monde… Emmanuel Macron entretient, certes, une relation de défiance avec les journalistes, considérant que ses prédécesseurs s'y sont brûlé les ailes. Le nouveau président à d'abord procédé à une mise à distance radicale, imaginant se contenter des outils de campagne que sont les réseaux sociaux. Position intenable, comme on l'a constaté durant l'été, lorsque l'exécutif a été incapable de défendre devant le public ses coupes dans les aides publiques au logement. Il a finalement trouvé un point d'équilibre, utilisant les médias mais toujours dans le souci d'en garder le contrôle. Et sans se priver d'initiatives décalées, telle que son intervention dans l'émission de Cyril Hanouna.

Macron se distingue-t-il en cela de ses prédécesseurs ?

Des deux derniers, en tout cas, on peut le penser. Nicolas Sarkozy se jouait des journalistes, mais sans renoncer à une forme de séduction, de connivence, recourant aussi bien au rire qu’à la baguette. Quant à François Hollande, il semblait plutôt fasciné par la presse et s’est livré, jusqu’à l’excès, au jeu des confidences, qui a contribué à sa perte. Macron, lui, reste fermé à ces pratiques. Tous les journalistes en charge du suivi de l’Elysée constatent aujourd’hui à quel point il est difficile de travailler, de trouver des interlocuteurs. Cette défiance est une nouveauté.

Du côté de la presse, peut-on parler d’une «déférence» à l’égard du chef de l’Etat ?

Il est vrai que l'interview de Laurent Delahousse ne se signalait pas par sa virulence… Mais c'est une tradition française que de faire du Président une figure extraordinaire : l'idée est actée que son élection au suffrage universel représente une telle onction qu'elle le place au-dessus du lot. On ne se permettra donc pas avec lui les mêmes choses qu'avec le Premier ministre venu, ou un chef de parti. Cela donne des entretiens à fleuret moucheté, un étrange questionnement où, pour les questions les plus indélicates, on s'abrite souvent derrière d'autres que soi : «Selon les sondages…», «Que dites-vous aux Français qui…»