Ce sera son moment. Après Emmanuel Macron qui, début juillet devant le Congrès à Versailles, avait annoncé les réformes exigeant une révision de la Constitution ; après le président de l'Assemblée nationale, François de Rugy, qui a détaillé mi-janvier ses pistes ; Gérard Larcher doit prendre la parole ce mercredi. Le président (LR) du Sénat doit présenter 40 propositions issues des réflexions engagées par un groupe de travail transpartisan de la Haute Assemblée. Avant de dévoiler sa contribution au chantier constitutionnel, Larcher a déjà fait connaître ses «lignes rouges ou très fortement clignotantes». S'il n'est pas opposé au principe d'une réduction du nombre de parlementaires, il met en garde contre le risque d'éloigner les élus de leurs citoyens et une sous-représentation des territoires ruraux.
Le sénateur des Yvelines, qui s’est exprimé devant ses collègues du groupe LR au Sénat mardi, leur a aussi rappelé sa position institutionnelle de deuxième personnage de l’Etat pour avertir qu’il défendrait également les intérêts des députés. A ce titre, pas question d’accepter une dose de 100 élus à la proportionnelle aux élections législatives, comme le propose son homologue du Palais-Bourbon. Dernier point de blocage : la limitation du cumul à trois mandats consécutifs pour les maires, les présidents d’intercommunalité, de département et de région.
A Versailles, le chef de l'Etat avait vanté une mesure devant être «la clé de voûte d'un renouvellement qui ne se produira pas sous la pression de l'exaspération citoyenne mais deviendra le rythme normal de la respiration démocratique». La droite, elle, y voit à la fois une atteinte à la liberté de choix des électeurs et une mesure anecdotique, peu de parlementaires étant vraiment concernés par une telle longévité. Un argument réversible si cette réforme est finalement peu préjudiciable. Mais LR, qui a déjà perdu la bataille du non-cumul des mandats avec la loi votée en 2014, en fait une question de principe.
Si d’autres pans de la révision constitutionnelle ne devraient guère poser de problèmes - sur le Conseil supérieur de la magistrature, la fin de la présence de droit des anciens présidents au Conseil constitutionnel ou la suppression de la Cour de justice de la République -, la réforme de la procédure législative pourrait représenter un petit point de blocage. Sur ce volet, Gérard Larcher se fera fort de préserver les équilibres entre Assemblée et Sénat.
Le gaulliste social, réputé rond mais ferme dans les négociations, s’avère incontournable dans le succès d’une réforme du texte de 1958. Celle-ci doit être votée à l’identique par les deux Chambres, puis obtenir une majorité de trois cinquièmes des suffrages exprimés du Parlement réuni en Congrès. En cas de blocage, Macron se laisse la possibilité d’organiser un référendum. Un court-circuitage du Parlement qui déplaît fortement au président du Sénat.
Pour
Les responsables de La République en marche en sont convaincus : sur l’encadrement des mandats dans le temps, ils peuvent compter sur un soutien large de l’opinion. Les Français n’ont-ils pas montré au printemps dernier qu’ils voulaient voir la classe politique se renouveler ? La gauche y est aussi favorable.
La politique n’est pas un métier
C'est le credo de la majorité, qui juge sain de ne pas s'installer trop longtemps dans un fauteuil. «Il ne s'agit pas de pousser dehors les élus, mais d'affirmer que la politique est un temps de la vie et qu'on doit savoir passer à autre chose», affirme le député LREM Pierre Person. Pour les partisans du non-cumul dans le temps, les élus, en voulant à tout prix durer, risquent de perdre de vue leur mission essentielle - être au service de leurs concitoyens -, pour se concentrer sur leur réélection. Devant les députés et sénateurs réunis en congrès à Versailles début juillet, Emmanuel Macron avait estimé qu'en fixant une limite de trois mandats à la suite, «les parlementaires eux-mêmes verront dans leur mandat une chance de faire avancer le pays, et non plus la clé d'un cursus à vie».Les associations Transparency International et Anticor sont de cet avis. La longévité «contribue à asseoir un élu dans un fief. Pour rester dans sa fonction, il peut être tenté de prendre des décisions qui ne sont pas dirigées par l'intérêt général mais par la poursuite de sa carrière, des intérêts particuliers ou locaux», développe le vice-président d'Anticor, Eric Alt. Certains parlementaires plaident toutefois pour qu'en contrepartie, la question du statut de l'élu soit mise sur la table afin de faciliter les retours à l'emploi.
Réoxygéner la vie démocratique
Les élections législatives de juin l'ont illustré : en donnant un grand coup de balai, les électeurs ont montré qu'ils ne veulent plus être représentés par les mêmes têtes durant des décennies. «Les mentalités ont évolué, les citoyens attendent désormais que le renouvellement se produise et il faut parfois accompagner la volonté politique dans les textes», observe Pierre Person. Reste maintenant à faire de ce renouvellement non plus un mouvement exceptionnel, mais la règle. «Il faut se donner les moyens pour que ce soit le fonctionnement de nos institutions qui le permette», a plaidé mi-janvier le président de l'Assemblée, François de Rugy. En forçant les élus à céder la place au bout de quinze ans d'exercice (pour les députés) ou de dix-huit ans (pour les sénateurs et les maires), on favoriserait l'émergence de nouvelles générations politiques. Ce qui permettrait de diversifier les profils des élus en permettant aux jeunes et aux femmes d'accéder plus facilement aux postes. En notant que le cumul dans le temps est plus souvent une affaire d'hommes, le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes y voit une occasion d'accélérer la parité.
Les élus ne seront pas brusqués
Le programme de campagne de Macron le précisait bien : «On ne pourra exercer plus de trois mandats identiques successifs.» Identiques : en théorie, rien n'interdirait donc à un maire qui a exercé sa fonction durant dix-huit ans d'enchaîner sur un mandat de député ou de sénateur, et inversement. Et même, s'il le souhaite, de redevenir maire après une parenthèse. Par ailleurs, le président de la République a prévenu que la réforme ne toucherait pas les maires de communes de moins de 3 500 habitants, nombre d'entre elles souffrant déjà d'une crise de vocations. Macron a également apporté une autre précision, en novembre, devant l'Association des maires de France : «Cette limitation s'appliquera à compter du prochain renouvellement des mandats, c'est-à-dire sans tenir compte des mandats précédemment effectués. […] Cette disposition, pour les plus importants des exécutifs, commence à partir du moment où elle sera votée, ce qui est bien légitime.» Autrement dit, aux prochains scrutins, les compteurs seront remis à zéro. Qu'importe si un élu a déjà trois mandats à son tableau de vol. L'interdiction de se présenter au-delà de trois mandats consécutifs n'entrerait donc réellement en vigueur qu'en 2037 pour les députés, et en 2038 pour les maires et la moitié des sénateurs. Ce qui laisse le temps de voir venir et de se faire doucement à l'idée.
Contre
«C'est non !» Dès le départ, le président du Sénat, Gérard Larcher, n'a pas caché que le non-cumul des mandats dans le temps serait un point dur des discussions en vue de la révision de la Constitution. L'ensemble des élus Les Républicains sont sur cette ligne, plaidant pour qu'on laisse aux électeurs le choix de ceux qui les représentent.
C’est à l’électeur de trancher
Pour les opposants à la limitation des mandats dans le temps, ce ne serait pas tant les élus forcés de raccrocher qui seraient lésés, mais les électeurs eux-mêmes. La mesure restreindrait leur liberté de désigner leurs représentants, en éliminant a priori celui qui a derrière lui trois mandats d'affilée. «Il appartient aux électeurs de choisir leurs élus, c'est une question de principe, prévient le sénateur LR Gérard Longuet. On leur impose déjà le non-cumul des mandats, on ne va pas, en plus, les empêcher de voter pour une personne qu'ils veulent voir réélue.» Stop ou encore ? Pour la droite, les électeurs sont les mieux placés pour juger si un élu a fait son temps. «J'en suis à mon sixième mandat et je n'ai pas à m'excuser que les gens me fassent confiance sur mon territoire s'ils estiment que je fais correctement mon travail», s'agace Christian Jacob, patron du groupe LR à l'Assemblée nationale, tandis que Gérard Larcher plaide pour qu'on laisse «la démocratie s'exprimer». L'argument, de bon sens, a aussi sa limite : avant le scrutin, le choix du candidat ne dépend pas de l'électeur, mais d'arbitrages partisans. Or, dans cette compétition interne, un notable élu depuis longtemps, plus influent, part avec une longueur d'avance et a pu se débrouiller pour ne pas avoir de rival dans son camp.
La compétence serait pénalisée
La compétence acquise au cours des précédents mandats, la connaissance des us et coutumes parlementaires ou des processus locaux ne valent-ils pas autant que le renouvellement ? Avec le non-cumul des mandats dans le temps, on se priverait de la valeur ajoutée d'élus expérimentés au Parlement ou à la tête d'exécutifs locaux. Les maires, eux, assurent que la mise en œuvre de nombreux grands projets court sur plusieurs mandats. Pour autant, nombre de parlementaires parviennent à maîtriser la procédure législative et à se forger une expertise dès l'exercice de leur premier mandat. La droite accuse Emmanuel Macron de chercher, sans le dire, à affaiblir le Parlement et les élus locaux, en instituant ce turnover à marche forcée. «L'accélération de la rotation des élus rendra ces derniers moins enracinés, et ils pèseront donc moins face au pouvoir», redoute Bruno Retailleau, chef de file des sénateurs LR. Par ailleurs, certains pointent le fait que des élus contraints de stopper leur carrière politique seront tentés de se reconvertir dans un domaine sur lequel ils se sont spécialisés au cours de leur mandat, au risque du mélange des genres. Des allers-retours dans le privé aux airs de pantouflage qui poseraient, selon eux, une question de déontologie.
Une mesure «démagogique» et «gadget»
La limitation à trois mandats successifs ? «Un sujet immense… qui concerne douze sénateurs», a pris l'habitude d'ironiser Gérard Larcher. Le président du Sénat a fait ses estimations : si la réforme s'était appliquée pour le Sénat issu des élections de septembre, ils ne seraient que 12 sur 348 à être concernés pour avoir déjà exercé plus de trois mandats consécutifs. Entre les parlementaires battus aux élections, ceux qui entrent au gouvernement ou qui raccrochent spontanément, occuper un siège pendant quinze ou dix-huit ans en continu ne serait pas si courant. Selon nos calculs, ils sont un peu plus nombreux à l'Assemblée : 41 députés sur 577 alignent plus de trois mandats consécutifs (sans être passés par un portefeuille ministériel). Partisan de ne réviser le texte de 1958 que «d'une main tremblante», Gérard Larcher estime qu'il n'y a pas lieu de dégainer ainsi l'artillerie lourde pour si peu de cas et que sa Chambre se renouvelle finalement d'elle-même. «On ne touche pas à la Constitution tous les matins. Ça n'est pas un coup. Ça doit être strictement nécessaire», a-t-il averti. Une occasion aussi pour la droite d'y voir une mesure d'affichage «démagogique» et «un gadget» qui contribuerait d'abord à nourrir l'antiparlementarisme.