Carburant au sirop antitoux, le nouveau premier secrétaire du Parti socialiste s'est fait livrer cette semaine un inhalateur à l'Assemblée nationale pour conjurer l'extinction de voix avant son premier discours sur la «renaissance» de son parti dimanche, lors du congrès d'Aubervilliers (Seine-Saint-Denis). Primaire du projet, opposition «réaliste de gauche», «accompagnement» du mouvement social, Olivier Faure défriche la nouvelle voie socialiste.
Lundi matin, pour qui sera votre premier coup de fil de premier secrétaire ?
C'est bien une question Libé ça… (Rires, puis long silence). Lundi matin, je commence par une série de rendez-vous pour former la future direction du parti qui sera renouvelée, resserrée et paritaire.
Après la défaite historique de 2017 et les départs de nombreux dirigeants, vous avez une preuve à nous présenter que le PS n’est pas déjà mort ?
C’est une histoire sans cesse répétée que nous serions morts et enterrés ! Depuis le temps, les commentateurs devraient savoir que les grandes idées ne meurent jamais : il y aura toujours des gens pour porter le socialisme, qui est à l’origine des grandes conquêtes sociales et des grandes libertés publiques depuis plus d’un siècle. Mais surtout, nous n’avons pas été remplacés. Ni par LREM, qui poursuit sa dérive vers la droite libérale, ni par les insoumis, qui demeurent un mouvement protestataire. Le problème d’Emmanuel Macron, c’est que son rhésus politique a muté : lors de son élection, les Français de gauche qui ont largement voté pour lui pensaient avoir affaire à du G- mais ils découvrent que c’est, en réalité, du D++. Donc il y a plus qu’une déception, il y a le sentiment d’une trahison. Les gens que je rencontre dans la rue me disent tous la même chose : ils se sentent orphelins de cette gauche qui savait articuler indignation et solutions.
Quelles sont les «nouvelles frontières» du PS ?
Avant de parler des nouveaux combats, les gens nous demandent de dire qui nous sommes. C’est la réponse que j’apporterai dimanche. Les valeurs qui nous fondent n’ont pas changé. Ce sont les réponses qui doivent évoluer.
Certaines réponses socialistes sont donc caduques ?
Nous avons fait évoluer le code du travail en nous basant sur le modèle quasi unique du salariat. Aujourd’hui, nous avons besoin de nous intéresser à toutes les formes émergentes de travail qui ne font pas l’objet de protections suffisantes. Dans le domaine de l’environnement, nous devons prendre à bras-le-corps le lien entre écologie et social. Les premiers à souffrir de la pollution et des dérèglements climatiques, ce sont les pays les plus pauvres et les quartiers les plus populaires. Comment passe-t-on du diesel aux véhicules propres ? Comment on lutte contre la précarité énergétique ? Pendant un siècle, nous nous sommes occupés des conditions de travail. Nous devons aujourd’hui poser la question des conditions de vie.
Qui soutient encore le PS ? A qui doit-il s’adresser ?
Si on prend la question sous l'angle électoral, la réponse va assez vite : plus grand monde ! (Rires) Même si les législatives partielles donnent des résultats très contrastés. Notre vocation, c'est de défendre les classes populaires et les classes moyennes. Dans les années 70, le PS appelait ça le «front de classe», cette volonté d'unifier des milieux aux revendications parfois divergentes pour trouver un débouché politique commun. Aujourd'hui, il faut une alliance de ceux qui vivent de leur travail, créent, innovent, prennent des risques, contre ceux qui vivent en parasites de la rente et de la spéculation. Il y a des gens qui font vivre la société française, qui en sont l'oxygène, et ceux qui vivent grassement sur la bête. Je m'occupe des premiers.
Pour certains, le PS s’est dévitalisé à force de chercher le consensus…
Je ne suis pas sûr qu’on ait vraiment vécu une période de grand consensus pendant le quinquennat ! Si nous nous sommes dévitalisés, c’est surtout parce que, pendant des années, nous avons pensé que nous étions mécaniquement la force de l’alternance, toujours à trois points de la victoire. Là, on est à six points de zéro : on doit tout réinventer, prendre tous les risques.
Vous parlez de confiance et de fraternité retrouvées. Comment faire quand nombre de dirigeants donnent l’image de gens qui n’ont plus envie de travailler ensemble ?
Pendant des années, il y a en effet des gens qui ont désappris le goût du travail en commun, passant leur temps à se positionner les uns par rapport aux autres. Nous devons restaurer des cadres de travail collectif, où la parole de chacun est respectée et où on tranche. Non pas en fonction de préjugés ou par acte d’autorité, mais grâce à des débats. Sur le mode de la primaire, nous allons ouvrir l’écriture de notre projet : on va lancer une vingtaine de chantiers thématiques d’ici à 2021. Leurs conclusions seront tranchées par les militants, mais aussi les citoyens qui le souhaiteront, tous les Français, moyennant le paiement d’un euro symbolique.
Ce sera comme beaucoup de nouveaux partis : un sympathisant, un clic…
Non ! Nous, nous ne demanderons pas simplement un clic : nous proposerons une participation à un débat, l’appropriation d’un projet et donc une implication dans un processus de renaissance.
Le mouvement social s’amplifie et vous, vous êtes sifflés dans les manifs ?
Je savais qu’on ne serait pas accueillis avec un tapis rouge. Par principe, j’ai tendance à penser qu’il vaut mieux ne pas siffler ceux qui vous soutiennent. Je comprends très bien que des gens ne partagent pas intégralement nos positions, mais cela n’interdit pas de partager une vision commune du service public. Je respecte leurs positions, je leur demande de respecter les nôtres.
L’ouverture à la concurrence ferroviaire a été approuvée pendant le quinquennat Hollande. Difficile pour vous de vous y opposer aujourd’hui…
C’est vrai que nous avons approuvé le principe de l’ouverture à la concurrence, mais nous avons obtenu que le cadre social de cette ouverture reste national. Il n’y a aucune obligation faite à ce gouvernement de détricoter le statut des cheminots. Dire cela, c’est une invention pure et simple. Le gouvernement veut lutter contre les fake news, qu’il commence par lui-même. Nous pensons qu’il est possible de faire un service public de qualité dans un contexte concurrentiel. La preuve est visible tous les jours dans les agglomérations qui ont confié leurs bus ou leurs trams à des sociétés publiques ou privées qui travaillent sous délégation de service public.
Ce serait quoi une réforme de gauche de la SNCF ?
Une réforme qui n’agite pas de chiffons rouges, qui ne cherche pas à opposer les cheminots aux usagers en les présentant comme des privilégiés, et qui traite les questions de fond. La dette, qu’il faut que l’Etat accepte de reprendre à sa charge comme cela s’est fait en Allemagne, et le réinvestissement financier dans le réseau ferroviaire pour améliorer la qualité du service.
Les cheminots font grève, les hôpitaux se mobilisent, les facs sont bloquées : vous appelez à une convergence des luttes ?
Nous n’avons pas à dicter ses mots d’ordre au mouvement social. Nous venons en soutien des acteurs sociaux et syndicaux. Nous n’avons aucune volonté d’en faire l’instrument d’une reconquête politique.
Vous ne vouliez donc pas prendre le train avec les leaders de gauche pour défendre la SNCF, jeudi ?
Je ne pense pas qu’un mouvement social soit le moment d’un congrès de réunification des gauches. Chacun doit être dans son rôle. Nous devons être des interlocuteurs, pas des accapareurs.
Mais aussi des acteurs ? Vous pourriez participer au «grand débordement» auquel appelle François Ruffin le 5 mai ?
Ce genre d’appel n’a pas pour objet d’intensifier le mouvement social, et a pour effet de l’éteindre. Quand les insoumis ont appelé à une manifestation insurrectionnelle sur les Champs-Elysées après les premiers cortèges contre la loi travail, cela a affaibli la mobilisation. Il y a des gens qui veulent manifester mais qui refusent d’être enrôlés dans des combats qui ne sont pas les leurs.
Le mouvement social peut-il faire tache d’huile ?
Ce que je sens, c’est que nous ne sommes plus seulement dans une frustration à cause d’une période de vaches maigres : il y a une colère qui monte devant les choix foncièrement inégalitaires du Président. La naissance de cette contestation remonte très précisément au projet de loi de finances. C’est là que les Français ont compris que le gouvernement tournait le dos à l’idée même de cohésion sociale, faisant le choix des premiers de cordée et laissant les autres sur le côté. Le problème d’Emmanuel Macron, c’est qu’il n’a pas les actes de ses propres discours. Sur l’enseignement supérieur, la sélection par le hasard, le tirage au sort n’était évidemment pas la panacée. Mais le gouvernement a pris le prétexte des filières tendues pour créer une sélection qui ne dit pas son nom. Pour sortir de ce que j’appelle la sélection par l’échec, c’est-à-dire des milliers de lycéens versés dans les amphis sans accompagnement, il faut un système permettant d’individualiser les parcours pour tirer toute une génération vers le haut. Parcoursup sans moyens sera un instrument d’écrémage social.
On sent le PS bien embarrassé par la révision constitutionnelle promise par Macron…
Si on veut modifier la Constitution, la seule question qui vaille, c’est comment fait-on pour rendre notre démocratie plus vivante. Et donc d’abord la question du rééquilibrage des pouvoirs entre le président, le gouvernement et le Parlement. Or, sur ce point, toute la réforme conduit à une concentration des pouvoirs à l’Elysée ! Le deuxième enjeu, c’est comment provoquer l’irruption de nos concitoyens dans la vie démocratique: et là, il n’y a pas un mot dans le projet de réforme !
Donc vous voterez contre ?
Je suis contre l’idée de réduction du nombre de parlementaires : quand une circonscription double en superficie, on coupe le lien indispensable entre l’élu et ses électeurs. Par ailleurs, une dose de proportionnelle de 15 % ne changera rien. Et donc elle ne sert à rien.
Est-ce que Benoît Hamon est votre premier concurrent ?
Non, mon premier concurrent s’appelle Emmanuel Macron.
Il y a un fauteuil pour deux ?
Il y avait un parti pour deux, mais Benoît Hamon a choisi d’en partir.
Mais lors des européennes, vous serez face à face…
Je ne sais pas très bien ce que Benoît Hamon va défendre, mais je ne me positionne pas en fonction de lui. Aujourd’hui, il y a des européens au gouvernement qui ne sont pas de gauche et une gauche qui n’est pas européenne. Nous serons en confrontation avec ces deux offres.
Vous espérez un score au-dessus de 6 % ou ce serait être démesurément optimiste ?
Je n’espère pas, je travaille.