Une année est passée mais la présidentielle refait souvent surface. Benoît Hamon l’invite à chaque fois qu’une discussion s’allonge. Son score (6,36%), le pire de l’histoire socialiste, a laissé des plaies profondes. Elles tardent à cicatriser. Il y a peu, dans un train, entouré d’une petite poignée de journalistes, la tête d’affiche du mouvement Génération·s revenait une nouvelle fois sur l’année 2017 : sa victoire surprise à la primaire, les socialistes qui tombent dans les bras d’Emmanuel Macron, ses regrets. Il ressasse les épisodes, qui se terminent toujours de la même manière.
Un amour impossible
Benoît Hamon pointe deux «erreurs majeures». La première est politique. Selon lui, il aurait dû rompre avec la direction du PS, François Hollande et le gouvernement au lendemain de sa victoire à la primaire, plutôt que de faire mine de courir après un amour impossible. La seconde est physique : le lundi 20 mars, la campagne bat son plein et il arrive essoufflé, fatigué, face à ses principaux concurrents lors du premier débat télévisé. «J'ai enchaîné en quelques jours un voyage en Guadeloupe et mon grand meeting à Bercy, c'était de la folie : je suis arrivé au débat sans force, j'étais spectateur au lieu d'être acteur», se souvient-il. Un agenda fabriqué à la va-vite qui pointe une autre faiblesse : son équipe de campagne qui, comme lui, n'était pas préparée à l'événement. «C'est une petite bande sympa, mais il faut du lourd pour une présidentielle», analyse l'ancien premier secrétaire du PS Jean-Christophe Cambadélis. Quelques heures après ce débat, le socialiste voit passer devant lui Jean-Luc Mélenchon dans toutes les enquêtes d'opinion : il ne le recroisera plus. Au fil des jours, un monde se creuse entre les deux.
Tout au long de la campagne présidentielle, le scénariste et réalisateur Hugues Nancy était dans les parages avec sa caméra. L'ancien membre du Mouvement des jeunes socialistes (MJS) avait accès aux coulisses. Il n'a rien laissé filer. Il a vu la dégringolade. Et il en a fait un documentaire, Fractures de campagne, diffusé ce jeudi soir sur France 3. On y voit les blessures du candidat – celles qu'il raconte à ses proches, aux journalistes – au grand jour. Il n'esquive rien. Sa campagne qui ne démarre pas, sa bataille avec Mélenchon ou encore les mauvais coups des socialistes, à l'image de l'ancien maire de Paris Bertrand Delanoë qui qualifie, sur France Inter quelques jours avant le premier tour, le programme de Benoît Hamon avec un mot terrible, «dangereux». Fractures de campagne nous apprend une chose : le candidat comprend très rapidement que la catastrophe est inévitable. Ses idées qui ont fait son succès durant la primaire n'existent plus. Les polémiques occupent la place. Lui et son équipe cherchent des parades pour limiter la casse. En vain.
Plus besoin de faire semblant
Un monde s'écroule, et le candidat prend le score pour lui, il ne partage pas sa défaite. Ce n'est pas une surprise. En février, juste après sa victoire à la primaire, il s'était rendu dans une ferme bio en Seine-et-Marne. L'espoir était encore permis. Dans les différents sondages, le candidat socialiste était devant Mélenchon, et pas très loin derrière Macron. Déjà, il prévenait : «Hamon est le nom de mon père, de mon grand-père, et je ne veux pas que mon nom, et celui de mes enfants, soit associé à la débâcle de la gauche ou à la victoire du FN.» Dans le film d'Hugues Nancy, un an après la débâcle, il glisse : «Ceux qui portent mon nom ne méritent pas d'être associés à mon score, ils ne méritent pas ça.» Après la claque dans les urnes, Benoît Hamon s'interroge. Il pense un instant à quitter la sphère politique : «C'était ça ou partir du PS pour fonder un mouvement.» On connaît la suite de l'histoire. Et la prochaine présidentielle, en 2022, trotte déjà dans son esprit.
Il y a certaines choses qu'il ne raconte pas dans le documentaire. Le fondateur de Génération·s ne parle pas du vide après le souffle. Le soir de la défaite, Benoît Hamon est entouré de quelques proches, puis il rentre chez lui. Il reçoit quelques messages, des amis, des connaissances plus ou moins lointaines. Des petits mots de réconfort. Il mettra un peu de temps à les lire. Et un peu plus de temps à y répondre. Mais les socialistes sont absents. Pas un message. Rien. Ni dirigeants, ni ministres, ni élus. Ceux qui étaient encore là n'ont plus besoin de faire semblant. «Et certains se demandent encore pourquoi j'ai quitté le PS», peste Hamon. La fin d'une histoire tragique, à l'image de la musique du documentaire qui pose une ambiance de dimanche pluvieux. Pourtant, elle avait débuté, pour lui, de la plus belle des manières. Le 29 janvier, après sa victoire face à Manuel Valls, devant ses militants, tout heureux, des rêves pleins la tête, il déclarait : «Votre mobilisation est le signe d'une gauche vivante et vibrante, elle me donne une force considérable.»