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Analyse

François de Rugy : seul en son perchoir

A l’approche de l’examen du projet de loi constitutionnelle, les parlementaires de tous bords accusent le président LREM de l’Assemblée de peu défendre l’institution. Une situation délicate pour l’ex-EE-LV, qui souffre déjà d’un manque de soutien de l’exécutif.
François de Rugy lors de la cérémonie de commémoration du 99e anniversaire de l’Armistice de 1918, le 11 novembre, devant la statue de Georges Clemenceau, à Paris. (Photo Laurent Troude)
publié le 20 juin 2018 à 19h46

On a beau prendre place dans un morceau d'histoire, il paraît qu'on y est mal assis. Impossible d'y étendre ses jambes, il faut s'y tenir bien droit. Ce «perchoir» modèle fin XVIIIe, qui surplombe l'hémicycle, est réputé inconfortable. Au sens propre, comme figuré ces derniers temps. Polémique sur la surchauffe de l'Assemblée, révision constitutionnelle qui signe pour l'opposition un affaiblissement du Parlement… un an après son élection à la présidence de l'Assemblée, François de Rugy sent son fauteuil tanguer.

L'ex-écologiste converti au macronisme n'en est pourtant pas à ses premières secousses. Il y a eu les prises de bec à répétition avec les députés insoumis, puis les critiques sur sa façon sèche voire expéditive de couper le micro aux orateurs trop longs ou de gendarmer les séances agitées. «Il a du mal à tenir sa fonction, il n'arrive pas à prendre de hauteur, comme il n'a sans doute pas beaucoup d'autorité, il se raidit», tacle un participant à la conférence des présidents, réunion hebdomadaire des postes clés de l'Assemblée. Sa sortie, en début d'année, contre les députés «multirécidivistes de l'absence» a crispé ses collègues qui lui ont reproché de se poser en «garde-chiourme». Et de verser dans l'antiparlementarisme alors même que l'hémicycle bat depuis un an des records d'assiduité.

Rugy, un «lave plus blanc» qui ne servirait pas assez les intérêts du Parlement ? Le grief pourrait revenir avec l'examen du projet de loi constitutionnelle, premier volet de la réforme des institutions, à partir du 9 juillet en séance publique. Le président de l'Assemblée est attendu au tournant. «C'est là-dessus qu'on va le juger, il doit d'une manière ou d'une autre faire entendre la voix de l'Assemblée», prévient Marc Le Fur, vice-président (LR) du Palais-Bourbon.

«Eclipsé»

Or les députés de gauche et de droite ont beau chercher, ils ne voient dans ce texte qu'une mainmise supplémentaire de l'exécutif. Rien - ou si peu - qui permettrait de rééquilibrer les pouvoirs. Du coup, le rôle de Rugy commence à être interrogé par l'opposition : peut-il faire le poids face à un exécutif tenté de ratiboiser les prérogatives de l'Assemblée ? Sans surprise, ce sont les députés insoumis qui portent les coups les plus durs. Dans une tribune publiée en mars, le groupe de Jean-Luc Mélenchon assaisonnait celui qu'ils nomment «un tout petit président de l'Assemblée» : «Cette grande réforme est imposée depuis l'Elysée. [Rugy] ne sert ici que de valet ou - soyons polis - de courroie de transmission aux desiderata du président de la République.» Pour la droite, seul Gérard Larcher est à même de tenir tête à Matignon et à l'Elysée : «Rugy n'est pas l'interlocuteur du gouvernement. C'est Larcher qui est écouté quand lui est éclipsé, s'agace un pilier du groupe LR à l'Assemblée. Pour Rugy, la comparaison avec Larcher est assez cruelle…» Etant dans l'opposition, le président du Sénat a, il est vrai, les coudées franches et détient de fait les clés de l'adoption de la réforme.

Face à un texte qui, sous couvert d'accélérer la fabrication de la loi, marque un recul du pouvoir législatif, nombre de députés appellent le Nantais de 44 ans à s'imposer comme le garant des droits du Palais-Bourbon. «Tous les grands présidents de l'Assemblée ont été des résistants face à la pression de l'exécutif et se sont affirmés pour préserver les députés de cette tentation régulière d'hégémonie. Jusqu'à présent, François de Rugy n'a pas été assez audible», assène le député de gauche (non inscrit) Olivier Falorni.

Dans le débat qui s'ouvre, que les députés ne s'attendent pas à des étincelles… «J'assume de ne pas être dans le coup d'éclat permanent, justifie François de Rugy. Faire le buzz, quand on préside l'Assemblée, c'est soit taper sur le gouvernement, soit taper sur le Sénat. Je ne fais pas ce genre de déclarations à peu de frais. J'ai choisi une voie plus complexe, peut-être moins flamboyante mais plus constructive.» Pourquoi d'ailleurs le locataire de l'hôtel de Lassay irait-il au clash alors qu'il semble finalement plutôt en ligne avec la feuille de route institutionnelle de l'exécutif ? «Si on veut relégitimer l'Assemblée aux yeux des Français, il faut qu'elle se transforme», avance-t-il, soulignant que plusieurs mesures ont été inspirées des rapports des sept groupes de travail transpartisans, un ambitieux chantier qu'il a lancé à la rentrée.

S'il se gardera de déposer ses propres amendements, il promet de peser dans la discussion : «Il est attentif à ce qui se passe et ses groupes de travail ont permis aux députés de s'emparer des sujets assez tôt», lui reconnaît Sacha Houlié, responsable du groupe LREM pour la réforme des institutions.

Rugy a quand même dû admettre que le compte n'y était pas en découvrant la copie du gouvernement. Pour l'heure, le renforcement des moyens d'évaluation et de contrôle, pour lequel il plaidait, ne figure pas dans le texte. Il espère que ce volet sera renforcé. Et souhaite aussi que le gouvernement soit tenu d'annoncer une fois par an son «programme prévisionnel législatif», histoire de donner de la visibilité au législateur. Pour le reste, il ne voit guère d'objection. Accélérer la procédure législative ? «On perd trop de temps à répéter, parfois dix fois, les mêmes arguments, évitons de s'enliser dans des débats qui n'en finissent pas.» Voter certaines lois directement en commission ? «Je l'ai moi-même proposé. On pourrait voter l'ensemble du texte dans l'hémicycle.» Quid de l'encadrement strict des amendements prévu par le projet de loi, qui fait hurler l'opposition ? «En France, entre 2012 et 2017, on a déposé 190 000 amendements, soupire-t-il. En quatre ans, les parlementaires allemands du Bundestag en ont débattu 190 !»

«Majorité aux ordres»

Qu'un gouvernement souhaite presser le pas du Parlement pour faire passer ses réformes, ce serait logique. Mais le président de l'Assemblée ne serait-il pas dans son rôle en demandant qu'on prenne le temps de légiférer ? «C'est une vieille idée de l'opposition de penser que plus les débats dureraient, plus ce serait démocratique. Ce n'est pas ça, valoriser notre travail. Je crois qu'un Parlement fort n'est pas un Parlement qui parle mais qui est efficace», ajoute le député de Loire-Atlantique, qui du haut de son troisième mandat peut se targuer d'avoir testé tous les bancs de la maison : collaborateur parlementaire à ses débuts, député dans l'opposition sous Sarkozy, dans la majorité sous Hollande, dans un grand groupe ou à la tête d'un petit (EE-LV, qu'il a coprésidé). Une ligne qui a de quoi troubler l'opposition. «Défendre l'institution, ça commence par ne pas laisser une once d'espace à l'idée qu'il faudrait restreindre la principale prérogative des parlementaires qu'est le droit d'amendement», souligne Yves Jégo, vice-président (UDI-Agir) de l'Assemblée.

Début juin, tandis que les députés planchaient à marche forcée, week-end compris, sur des textes très consistants, son appel à lever le pied semble n'avoir fait que des mécontents. Tout en invitant le gouvernement à cesser de surcharger l'agenda législatif, il a prié les députés de ne pas tomber dans «l'autocaricature» en déposant des amendements à tort et à travers. L'opposition y a vu une manœuvre consistant à laisser le désordre s'installer pour mieux justifier la future réforme accélérant la procédure législative et raccourcissant les débats.

Mais au gouvernement on a également mal pris son injonction à «mettre de l'ordre dans l'ordre du jour». «Pourquoi il fait ça ? Parce qu'il est en guerre contre tout le monde, il veut exister, il a décidé qu'il était un personnage important de la République !» cingle un ministre. Ses collègues LREM auraient pu apprécier sa mise en garde sur la cadence effrénée à laquelle ils sont soumis. Mais là encore, beaucoup ont jugé sa sortie maladroite et guère audible : «Il ne faut pas dire qu'on est fatigués, les Français ne le comprennent pas. De Rugy doit plutôt valoriser le rythme et l'intensité de nos réformes», corrige un membre du bureau du groupe LREM. «Cette majorité aux ordres ne lui facilite pas la tâche, concède Marc Le Fur. Du temps de Sarkozy, nous étions fidèles au chef de l'Etat mais nous avions une marge d'autonomie.» L'intéressé revendique, lui, de tenir son cap : «J'ai été élu pour présider l'Assemblée et pour la transformer, même si ce n'est pas ce qui doit me rendre le plus populaire.» Quitte à être accusé par les uns de ne pas défendre assez le Parlement et par les autres de tirer contre son camp. Perché entre deux chaises.

Evaluation des lois : un organe commun aux parlementaires ?

Cheval de bataille de la majorité, c'est aussi «une priorité» pour François de Rugy, qui y voit un «gros morceau des futures évolutions de l'Assemblée». Comment permettre au Parlement de chiffrer lui-même le coût et l'impact d'une mesure avant de la voter, puis d'évaluer les politiques publiques une fois les lois appliquées ? Mercredi, les sept groupes de travail transpartisans installés par le président de l'Assemblée remettaient leurs rapports. Et l'un d'eux a planché sur la question. L'idée, a résumé le député Modem Jean-Noël Barrot, est de doter le Parlement d'un «organe d'expertise propre», qui lui permettrait de ne pas être tributaire des seuls chiffrages fournis par l'administration, en particulier Bercy. Le président du groupe de réflexion et son rapporteur, Jean-François Eliaou (LREM), ont plaidé pour la création d'une «une agence d'évaluation parlementaire» commune à l'Assemblée et au Sénat, qui pourrait employer une quarantaine d'experts. Si cette proposition fait plutôt consensus, les députés de plusieurs bords ont vivement débattu de l'organisation des travaux parlementaires. Fin mai, l'Assemblée a connu trois semaines de surchauffe liée à un embouteillage de projets de loi en discussion. «Il n'y a pas un autre Parlement dans le monde qui soit aussi malade que le nôtre», a alerté Jean-Luc Warsmann (UDI-Agir).