Le «nouveau monde», ce devait aussi être ça : introduire au sommet de l’Etat une culture de l’évaluation et du retour sur investissement. Edouard Philippe veut donner corps à cet engagement en recevant un par un, à partir de mardi, les ministres et les secrétaires d’Etat rattachés à Matignon, pour évaluer leur action et préparer la suite du quinquennat. Jean-Michel Blanquer (Education) ouvrira le bal en milieu de matinée. Bruno Le Maire (Economie) suivra mercredi.
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«Quand on a un travail prenant […] on a parfois besoin de lever un peu le nez et de se demander, en fonction de ce qu'on voulait faire il y a un an, qu'est-ce qu'on a fait, qu'est-ce qui se passe bien, qu'est-ce qui se passe pas bien, et d'avoir cette discussion pour recadrer les choses», a expliqué le Premier ministre sur RTL, lundi, au sujet d'un exercice qu'il avait annoncé fin mai. Le 4 juin, une circulaire adressée aux ministres et secrétaires d'Etat en avait précisé le contenu. Pour chacune des grandes réformes engagées dans leur domaine respectif, ceux-ci étaient invités à rédiger une «fiche de mise en œuvre» précisant son calendrier, et les effets attendus.
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«Je vous demande de préparer un plan de transformation ministériel pour 2018-2022», ajoute Edouard Philippe dans sa circulaire, en référence au programme «action publique 2022». Cette ambitieuse réforme de l'administration, dont les détails doivent être dévoilés dans les prochaines semaines, est censée produire un service amélioré en même temps que d'importantes économies.
Interrogé lundi sur la possibilité d'un remaniement à l'issue de ces entretiens, le Premier ministre s'est contenté de répondre qu'il n'était «pas dans la sanction, [mais] dans l'amélioration».
Ceux qui jouent les bons soldats
Il le reconnaît lui-même : son portefeuille n'attire pas spontanément la sympathie. Qu'il s'agisse de serrer l'écrou sécuritaire (loi sur la sécurité intérieure) ou d'augmenter le nombre de reconduites à la frontière (projet de loi asile et immigration), Gérard Collomb est l'homme des missions ingrates. L'ancien socialiste y a mis du sien : ses déclarations sur la «submersion» migratoire, ou sur la «complicité» des manifestants vis-à-vis des casseurs, embarrassent jusque dans la majorité.
Mais à défendre sans état d'âme l'aspect le moins libéral du macronisme, sous le regard reconnaissant du chef de l'Etat, l'ex-maire de Lyon entretient sa place à part auprès de ce dernier. Difficile de soutenir que l'action du ministre trahit la pensée macronienne : durant sa campagne, le candidat Macron promettait d'être «inflexible» avec les déboutés du droit d'asile. Il a plus récemment dénoncé «les donneurs de leçons [qui expliquent] qu'il faudrait accueillir tout le monde», et jugé que certaines ONG «font le jeu des passeurs». Le chef de l'Etat en est persuadé : malgré les critiques, le discours de son ministre est en ligne avec l'état de l'opinion, largement acquise au durcissement en matière sécuritaire et migratoire. L'un des chantiers à venir, pour le ministre de l'Intérieur et des Cultes, sera la réorganisation de l'islam de France. Mais aussi le redécoupage des circonscriptions législatives, après la baisse du nombre de députés.
Patient architecte d'un projet de loi Pacte, plusieurs fois repoussé, Bruno Le Maire (Economie) s'est beaucoup impliqué dans les négociations avec l'Allemagne sur le futur de la zone euro. Exécutant des engagements budgétaires du gouvernement, Gérald Darmanin (Comptes publics) se distingue aussi par sa défense très politique de l'exécutif. Respectivement chargées de réformer la SNCF et l'accès à l'université, les peu connues Elisabeth Borne(Transports) et Frédérique Vidal (Enseignement supérieur) ont survécu à la longue mobilisation de leurs opposants. Quant au porte-parole du gouvernement, Benjamin Griveaux, il tente de renouveler le genre en organisant des rencontres avec le public en région.
Ceux qui ont du mal à surnager
Sa nomination avait été largement saluée. Agnès Buzyn avait pour elle un magnifique parcours. Professeure d'hématologie dans un milieu terriblement masculin, elle a dirigé ensuite, de 2011 à 2016, l'Institut national du cancer avec efficacité. Non sans courage, elle a mené un combat contre l'alcoolisme et le tabagisme quand la mode voulait que l'on se centre sur les méfaits de la pollution. Nommée à la tête de la Haute Autorité de santé, elle a imposé ses choix, insistant sur une démarche scientifique dans toutes les politiques sanitaires. Femme de gauche, préoccupée par les inégalités d'accès aux soins, elle avait le profil idéal pour faire oublier Marisol Touraine, brouillée avec le monde médical.
Mais à la tête d’un gigantesque ministère qui va des retraites à la pauvreté en passant par la santé, Buzyn doit mener, avec un cabinet réduit, des chantiers difficiles qu’elle connaît mal. Certes, elle a très vite réconcilié le pouvoir avec le monde de la santé et fait preuve de fermeté pour rendre obligatoires onze vaccins. Mais celle qu’on avait connue libre dans ses pensées est en repli. Diplomate, engoncée dans des propos corrects, attendant perpétuellement les arbitrages de Bercy, elle délivre beaucoup de diagnostics mais pas de remèdes. Présentée comme une caution sociale du gouvernement, Buzyn semble hésiter entre son rôle d’experte et celui de politique. L’épisode de la reconduction ou non de son mari, Yves Lévy, à la tête de l’Inserm montre qu’elle n’a pas encore fait la part des choses.
Jean-Yves Le Drian, lui, est bien moins à l'aise au quai d'Orsay qu'à la Défense. Pourtant ministre de l'Europe et des Affaires étrangères, il est absent de la crise européenne actuelle. Rue de Valois, Françoise Nyssen était très attendue par le milieu de la culture dont elle est issue. Des difficultés à se mettre en place, une réforme de l'audiovisuel public contrainte par les économies l'ont empêché d'émerger. Elle dispose d'un «pass culture» en guise de seconde chance. Enfin, la garde des Sceaux, Nicole Belloubet, s'est enfermée avec sa réforme pénitentiaire et celle de la justice dans des sujets trop techniques.
Ceux qui font le job des autres
Bien que son ministre de tutelle, Jacques Mézard, se plaise à l'appeler «mon secrétaire d'Etat» pour bien marquer son propre rang hiérarchique au sein du gouvernement, Julien Denormandie parvient à exister politiquement. Ce proche de Macron - il a été son directeur adjoint de cabinet à Bercy avant de participer à la création d'En marche au printemps 2016 - a la confiance du chef de l'Etat pour défendre la politique de l'exécutif dans les médias, mais aussi au Parlement, où il répond régulièrement aux questions au gouvernement. Il a aussi porté, aux côtés de Mézard, le projet de loi Elan («engagement pour le logement, l'aménagement et le numérique») examiné en juin à l'Assemblée. Un vrai «ministre bis» dans un ministère où l'on ne compte habituellement qu'une seule tête. Il faut dire, qu'avec la réforme de l'APL, qui a abouti à soustraire 1,5 milliard d'euros dans les caisses des bailleurs sociaux, et le projet de loi Elan, qui procède à une marchandisation du logement social en poussant les HLM à vendre leur patrimoine pour se refaire financièrement, l'exécutif a bien besoin d'une doublette pour répondre aux critiques, d'une politique du logement très décriée.
Aux côtés du médiatique Nicolas Hulot, un autre jeune secrétaire d'Etat monte : à tout juste 32 ans, Sébastien Lecornu a récupéré des dossiers sensibles dévolus a priori au ministre de la Transition écologique. Il joue les démineurs sur la centrale de Fessenheim, allant à la rencontre des élus locaux et des syndicalistes «pour préparer l'après», et prend les devants sur le plan en faveur de l'énergie solaire. Après l'expulsion des zadistes de Bure (Meuse), il assume et maintient qu'«il n'y a pas de plan B à l'enfouissement profond» des déchets radioactifs, quand Hulot dit timidement que «c'est la moins mauvaise solution».
A Bercy, Olivier Dussopt a débarqué quelques mois plus tard comme transfuge du Parti socialiste. Ancien protégé de Martine Aubry, il supplée Gérald Darmanin, dont il était l'adversaire politique, pour anesthésier les syndicats de fonctionnaires dans une réforme de l'Etat qui doit aboutir, en 2022, à la suppression de 120 000 agents.
Ceux qu'on n'attendait pas
Sur le papier, Muriel Pénicaud ne devait pas tenir rue de Grenelle plus de quelques mois. Ex-DRH de Danone passée par le cabinet de Martine Aubry époque Bérégovoy, la ministre du Travail a hérité du premier texte explosif de ce quinquennat : les ordonnances réformant le code du travail. Après l'épisode de la loi El Khomri, les syndicats et Jean-Luc Mélenchon promettaient un automne 2017 très chaud. Ce n'est pas l'enquête ouverte par le parquet de Paris en juillet 2017 pour «favoritisme et recel de favoristisme» concernant l'organisation d'une soirée organisée (sans appel d'offres) en janvier 2016 par Business France (organisme public dont elle était directrice générale à l'époque des faits) pour la venue d'Emmanuel Macron qui allait l'aider. Et pourtant : en un an de quinquennat, Muriel Pénicaud a déjà bouclé deux lois : celle sur le «renforcement du dialogue social», aboutissement d'une réforme du code du travail souhaitée par Macron, et celle sur l'apprentissage, la formation professionnelle et l'assurance chômage issue de négociations entre partenaires sociaux. Avec un chômage en baisse, elle n'a pas eu à commenter chaque mois les mauvaises nouvelles de Pôle Emploi. De quoi se payer le luxe de poser la semaine dernière dans Paris Match sur une jambe (la droite), bras en croix, en position yoga.
Autre ministre sans expérience politique au départ, devenu un poids lourd du gouvernement : Jean-Michel Blanquer.L'ancien haut-fonctionnaire bombardé au ministère de l'Education nationale a su jouer la carte du retour aux fondamentaux scolaires tout en appliquant des réformes Macron estampillées «à gauche» comme le dédoublement des classes de CP et CE1 dans les quartiers prioritaires. Et sa réforme du baccalauréat est passée sans blocages de lycées. Enfin, la secrétaire d'Etat chargé de l'Egalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa, a su émerger : que ce soit sur les violences obstétriques ou sexistes, dont elle porte un projet de loi, cette macroniste de la première heure a réussi, malgré quelques polémiques, à s'imposer dans un gouvernement composé de personnalités, il y a un an, inconnues du grand public.
Ceux qui restent hors des radars
Pas facile d'être numéro 2 : les secrétaires et les ministres délégués en savent quelque chose, eux qui peinent à exister politiquement dans l'ombre d'un ministre auquel ils sont rattachés. C'est le cas de Delphine Gény-Stephann, 49 ans, nommée secrétaire d'Etat auprès de Bruno Le Maire, ministre de l'Economie et des Finances, le 24 novembre 2017. Issue de la société civile et inconnue du grand public au moment de son entrée au gouvernement, cette ancienne de Saint-Gobain est toujours dans l'anonymat huit mois plus tard. Cette dernière aura une occasion d'exister médiatiquement avec le projet de loi «pour la croissance et la transformation des entreprises» (Pacte) qui doit être débattu au Parlement fin 2018. Un texte qui concernera principalement les PME, un sujet que Le Maire a consenti à lui laisser.
Depuis son arrivée à Bercy, le ministre de l'Economie et des Finances accorde peu d'espace à «sa» secrétaire d'Etat. Même difficulté à émerger politiquement pour Nathalie Loiseau, 54 ans, ministre des Affaires européennes rattachée au ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian. Chargée notamment des questions liées à l'espace économique européen, cette ancienne directrice de l'ENA tente de se frayer une place entre un président de la République forcément impliqué sur les questions européennes - comme c'est le cas avec la réforme de la zone euro - et son ministre des Affaires étrangères. Ce qui ne l'a pas empêchée de déraper en évoquant au Sénat les migrants qui s'adonneraient au «shopping de l'asile». Enfin, Geneviève Darrieussecq, 62 ans, secrétaire d'Etat auprès de la ministre des Armées, Florence Parly, a bien du mal à émerger en étant en charge des anciens combattants ou du lien armée-nation.
[Article edité le 03/07 à 9h25 : Ce n’est pas cette semaine qu’aura lieu l’entretien d’évaluation de Nicolas Hulot]