Mobilisés sur deux fronts, les élus nationalistes corses ne sont pas parvenus à pousser leur pion institutionnel. Ni à Matignon, ni au Palais Bourbon. Tandis que le projet de loi révisant la Constitution a été voté en commission des lois par les députés lundi soir, Gilles Simeoni, président du conseil exécutif de Corse a parlé d'une «situation de crise et de blocage», à l'issue de son entretien avec le Premier ministre, Edouard Philippe.
Il attendait manifestement peu de cette réunion, conclusion d'un premier cycle de rencontres sur l'avenir de l'île. Il n'a pas été déçu. Simeoni avait posé au préalable les bases – peu engageantes – de la discussion : «L'Etat, en choisissant de nier la dimension politique de la question corse et de mépriser l'expression du suffrage universel, commet une faute politique grave», avait averti samedi dans un communiqué le dirigeant autonomiste. Le président de l'Assemblée de Corse, Jean-Guy Talamoni avait, lui, déjà claqué la porte des réunions, déplorant la «politique méprisante» de Paris.
L'un des objets du désaccord avec Paris porte sur l'article du projet de loi révisant la Constitution concernant l'île. «Totalement insuffisant» pour Simeoni, qui redoute qu'on «laisse passer une chance historique de régler la question corse». La coalition nationaliste, forte de trois victoires électorales en trois ans (territoriales en 2015, législatives en juin 2017 et dernier scrutin territorial de décembre), espérait entamer le chemin vers l'autonomie. Or le projet de loi constitutionnelle, en ne prévoyant pas du tout d'ouvrir cette perspective, a douché leurs attentes.
Il est quand même question de reconnaître la Corse en tant que collectivité ayant un «statut particulier» et de l'inscrire dans la loi fondamentale. Grâce à cette disposition, il serait possible «de créer en Corse des impositions» spéciales liées aux spécificités de l'île. Un premier pas qu'a salué Simeoni.
«Inscription purement symbolique et décorative»
Toujours à l'article 16, le texte constitutionnel prévoit par ailleurs, pour la Corse, «des règles adaptées aux spécificités liées à son insularité ainsi qu'à ses caractéristiques géographiques, économiques ou sociales». Mais leur portée serait strictement encadrée. Loin du pouvoir d'habilitation permanente et du transfert de compétences réclamés par les nationalistes. «Ce transfert de responsabilités, ce serait le vrai pacte de confiance», insiste le député nationaliste de Haute-Corse Jean-Félix Acquaviva, qui craint, du coup, que l'inscription de la Corse dans la Constitution soit «purement symbolique et décorative et ne crée des usines à gaz».
Hasard de l’agenda, au même moment à l’Assemblée nationale, Acquaviva et ses deux autres collègues nationalistes (qui ont conquis trois des quatre sièges de l’île en juin 2017) bataillaient ferme, ce lundi, pour tenter de réécrire ce fameux article 16, en commission des lois.
Ce premier examen en commission n'aboutit qu'à des choix indicatifs, avant le débat dans l'hémicycle la semaine prochaine. Mais pour le trio de députés, l'enjeu est trop important pour en garder sous la pédale. Celui-ci s'estime en mission : «On ne veut pas faire de l'escalade institutionnelle mais ce débat est pour nous, une occasion en or de reconnaître ce que la Corse a démocratiquement exprimé, affirme le Bastiais Michel Castellani, qui a rappelé «cinquante ans de combats, de polémiques, d'attentats, de pertes de liberté». «Les Corses nous ont mandatés pour un statut d'autonomie interne dans la République. On va porter ce débat», complète Jean-Félix Acquaviva.
«Méfiance jacobine»
Présents en continu, les trois députés (qui siègent comme non inscrits) avaient déposé près de 200 amendements sur le texte constitutionnel, notamment pour faire figurer les Corses au côté des populations ultramarines. Sans succès. Les rapporteurs de la majorité s'en sont tenus au projet de loi, saluant «une réelle avancée» et leur opposant «l'indivisibilité de la République». Seule petite ouverture : pour mettre en œuvre les «adaptations» prévues par l'article 16, Marc Fesneau (Modem) n'a pas fermé la porte à un pouvoir d'habilitation permanente sur un certain nombre de domaines (fiscalité, compétences linguistiques, maîtrise du foncier), voulu par les nationalistes. Le gouvernement acceptera-t-il ce dispositif ou une habilitation au coup par coup ? Fesneau a proposé de voir avec la garde des Sceaux, Nicole Belloubet, d'ici le débat en séance publique, «comment elle aborde l'application de ce droit à la différenciation».
Mais pour le reste, la majorité LREM répond «indivisibilité de la République» et ne veut pas braquer (encore plus) un Sénat, dont elle sait la majorité de droite réticente à aller plus loin sur le statut de la Corse.
Pour faire tomber une «méfiance jacobine» qu'ils jugent tenace, les trois élus corses ont, depuis leur entrée au Palais Bourbon, multiplié les tentatives d'approche (réunions d'information, colloque sur l'autonomie des territoires). Ils ont reçu lundi le soutien de quelques convaincus comme Paul Molac, régionaliste breton, le socialiste François Pupponi mais aussi des députés ultramarins, qu'ils épaulent à leur tour sur leurs propres revendications. «Avec les députés d'outre-mer, on converge, cela peut nous mener bon an mal an à fédérer une quinzaine, voire une vingtaine de voix, calcule Acquaviva. Une réforme constitutionnelle, faut-il le rappeler, se joue parfois à une voix.»