Voilà des chasseurs sachant chasser! Quelques dévots de Saint-Hubert viennent lundi à l'Elysée recueillir les bienfaits macroniens, accompagnés de Thierry Coste, leur lobbyiste en chef. Au passage, ils abattent en vol l'un des principaux ministres du gouvernement, volatile sympathique et sincère: de quoi rehausser leur tableau de chasse… C'est en tout cas, aux dires mêmes de l'intéressé, l'incident d'apparence mineure qui a déclenché la démission du ministre de la Transition écologique, le plus populaire, caution verte d'un gouvernement aux tropismes libéraux très affirmés.
À vrai dire, cette affaire de chasse dépasse l’anecdote. Thierry Coste lui-même le dit: il n’a jamais bénéficié d’une écoute gouvernementale aussi attentive dans sa longue carrière d’avocat des chasseurs. Apparemment par goût, peut-être par atavisme provincial et rural, Emmanuel Macron a fait de la chasse une des priorités de son quinquennat. Par calcul aussi, on peut le deviner. Les chasseurs pèsent d’un poids politique conséquent. En les dorlotant, le Président préserve son capital électoral et tend à corriger son image d’urbain cosmopolite, de financier hors-sol né de sa carrière dans la banque. Lui aussi, proclame-t-il, est enraciné dans les réalités terriennes. Seulement voilà, les intérêts de la terre ne sont pas toujours ceux de la planète. Les concessions faites aux chasseurs scandalisent à juste titre les écologistes, qui craignent pour la diversité animale, mise à mal depuis des décennies.
Bien sûr, ce conflit renvoie à une césure bien plus large, explicitée par Hulot lui-même. Le poids des lobbys économiques dans l’action gouvernementale, qu’il dénonce hautement, illustre cette question cruciale: peut-on être à la fois probusiness et proplanète? Sur ce point, le grand écart du «en même temps» a conduit à la déchirure. Pratiquement seul de son avis dans le gouvernement, Nicolas Hulot avait manifestement le sentiment de prêcher dans le désert, en dépit des concessions réelles qu’il a parfois obtenues. Etre ou ne pas être ministre? Tel un Hamlet de la politique, Hulot se posait la question tous les matins. Il a tranché, incarnant une dissidence qui n’est pas seulement tactique, mais philosophique.
C’est la limite d’un gouvernement issu de la «société civile». A la différence des hommes politiques – quand ils font bien leur travail – chaque ministre «technicien», imbu de sa compétence, voit midi à sa porte. Hulot, militant écologiste, défend l’écologie. Mais ses collègues venus du privé, nettement plus nombreux, sont sensibles aux intérêts privés. Premiers de cordée dans leur domaine, ils défendent les premiers de cordée. La politique, faut-il le répéter, est un métier en soi. Quand ce métier est bien fait, il dépasse les corporations, il s’émancipe des lobbys.
C'est d'autant plus vrai en matière écologique. Les enjeux environnementaux sont désormais si pressants, si divers, si «totalisants», impliquant l'industrie, la ville, l'alimentation, l'énergie, les transports et, au bout du compte, l'avenir de l'humanité, qu'ils ne peuvent être pris en charge par un seul ministre, aussi talentueux soit-il. Un ministère vert ne suffit pas : c'est tout le gouvernement qui doit verdir. Or il ne saurait le faire en se réclamant du libéralisme. Pour limiter le changement climatique, pour assainir les aliments, pour réguler les transports, pousser la révolution énergétique, ménager la planète, il faut reprendre la maîtrise de l'économie et de la finance. Le macronisme cherche à concilier laisser-faire et écologie. C'est un oxymore politique, une faille philosophique. Hulot est tombé dedans.