«Un putain de dilemme». Début août déjà, Nicolas Hulot confiait à Libération qu’il hésitait à quitter un gouvernement n’ayant «pas compris l’essentiel» en matière d’écologie. Un homme l’a visiblement aidé à prendre une décision hier. «On avait une réunion sur la chasse. J’ai découvert la présence d’un lobbyiste qui n’était pas invité à cette réunion. Et c’est symptomatique de la présence des lobbys dans les cercles du pouvoir. Il faut poser ce sujet sur la table parce que c’est un problème de démocratie», a-t-il expliqué sur France inter après avoir annoncé sa démission.
Le lobbyiste en question, rameuté lors d'une rencontre avec le président de la Fédération nationale de la chasse, Willy Schraen, et celui qui était alors ministre de la Transition écologique, à propos de la future réforme de la chasse, a été identifié comme Thierry Coste. Patron de la société Lobbying et Stratégies, il travaille pour la Fédération nationale des chasseurs mais dirige aussi le comité Noé, qui milite «pour des relations équilibrées avec la nature et les animaux», au profit de ceux qui veulent les chasser, les enfermer dans des zoos ou encore les abattre pour remplir les rayons des supermarchés, comme l'expliquait le site Les Jours.
«Machiavel de la ruralité», comme il se présente, Thierry Coste s'illustre aussi dans des domaines tels que les armes à feu – il a travaillé pour le Comité Guillaume Tell, qui défend des utilisateurs légaux d'armes à feu –, ou encore les régimes autoritaires – il a conseillé Idriss Déby, président du Tchad.
«J’ai beaucoup frappé les CRS»
Ancien agriculteur, l'homme de 63 ans aime raconter son passé du côté des gauchistes, au sein des Paysans travailleurs, ex-Confédération paysanne. «J'ai beaucoup frappé les CRS, et j'ai beaucoup été frappé. C'était la seule façon de se faire entendre. Parce que la FNSEA monopolisait le dialogue avec les pouvoirs publics», déclarait-il par exemple à Marianne. Ou encore, à l'Obs : «J'ai conservé depuis l'habitude trotskiste d'infiltrer l'ennemi pour mieux le comprendre.» A l'en croire, donc, plutôt à gauche mais aussi écolo – il a fait partie de l'association France Nature Environnement –, il commence le conseil en se frottant au gouvernement de Mitterrand. Il devient ainsi, à la fin des années 80, conseiller feux de forêts auprès de Pierre Joxe.
Il passe finalement au privé en fondant en 1994 son cabinet. A en croire sa déclaration à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique, son chiffre d'affaire atteindrait entre 100 et 500 000 euros pour l'année 2018. «Aujourd'hui, je suis un mercenaire. Je vais là où ça paie le mieux», expliquait-il à Marianne, en revendiquant, voire surjouant, comme à son habitude, un certain cynisme. Autre exemple, parmi d'autres: «Ah je n'ai pas de morale. Il n'y a pas beaucoup de gens qui l'assument, mais moi je l'assume complètement. Je défends des gouvernements étrangers qui sont des alliés de la France mais qui ont parfois des comportements très douteux avec les droits de l'homme. Mais je les assume. Car il y a des gens qui méritent d'être défendus, quand ils ne commettent pas d'excès.»
Dans le privé, Thierry Coste a continué à creuser son sillon dans le monde politique. Via l'Assemblée d'abord, qui jouxte d'ailleurs ses bureaux et où il remet des textes clés en main aux députés (il s'est notamment illustré dans le combat contre l'interdiction de la chasse à la glu pendant la loi biodiversité) mais aussi à l'Elysée. L'homme n'en est pas peu fier, il approche tous les présidents. «Chirac était très intéressé par la chasse et l'a oubliée dès qu'il est devenu président. Sarkozy était très à l'écoute mais il fallait qu'il y ait juste après une campagne électorale. Hollande avait un problème avec les Verts mais nous aimait beaucoup», listait-il ainsi, interrogé en juin sur RMC. Preuve de son influence, Jacques Maire, aujourd'hui député LREM, a rappelé aujourd'hui qu'il avait été «viré du poste de directeur de cabinet de Dominique Voynet», alors ministre de l'Aménagement du territoire et de l'Environnement, lorsque Lionel Jospin avait «plié devant le lobby des chasseurs concernant les oiseaux migrateurs», en 1998.
Il y a 20 ans, Lionel Jospin pliait déjà devant le lobby des chasseurs concernant les oiseaux migrateurs. J’ai été viré du poste de directeur de cabinet de @DominiqueVoynet à cette occasion. Quand arrêterons nous de nous faire manipuler par #ThierryCoste et ses amis !
— Jacques Maire (@JMaireofficiel) August 28, 2018
Week-end d’anniversaire à Chambord
Emmanuel Macron n'a donc pas échappé à la règle. Ecouté sur la chasse par le candidat pendant la campagne, Thierry Coste assure à Libération avoir été conseiller «à titre amical», il n'occupe aujourd'hui aucun poste officiel, mais se vante d'échanger jusque tard dans la nuit avec le Président et prend soin de lui dessiner un profil de «rural». «Il l'est bien plus qu'on ne l'imagine. D'abord, il vient de la Somme, terre de chasse s'il en est, et il a été extrêmement proche de sa grand-mère, qui vivait dans les Hautes-Pyrénées. C'est un homme qui sait quel langage il faut tenir pour séduire ceux de mon village de 600 habitants», assurait-il par exemple à l'Obs.
Son influence auprès d'Emmanuel Macron durant la campagne avait été illustrée dans un reportage de C Politique (France 5) abondamment repris dans la vidéo de Brut visible ci-dessus, publiée en février 2018.
Une proximité qui semble-t-il, lui a permis de décrocher quelques victoires. «Je pense que je bénéficie d'un grand concours de circonstances, notamment parce que mon ami François Patriat [Sénateur LREM, ndlr] , très proche d'Emmanuel Macron, m'a mis dans les circuits», reconnaissait-il d'ailleurs en juin. Le même François Patriat qui, à la fin des années 90, alors qu'il était député PS, avait été missionné par Lionel Jospin pour s'occuper du dossier chasse, juste après le débat sur les oiseaux migrateurs cité plus haut.
«C’est quelqu’un dont j’écoute toujours les conseils», avouait Emmanuel Macron lui-même pendant la campagne. Parmi ses faits d’armes, le retour en grâce des chasses présidentielles, supprimées par Nicolas Sarkozy en 2010. Lors de son son week-end d’anniversaire à Chambord, le président s’était en effet rendu au «tableau de chasse» d’une battue au sanglier dans le domaine royal. Sur les clichés des chasseurs, on pouvait d’ailleurs apercevoir Thierry Coste. «Quand le Président est arrivé, la nuit était tombée. Il faisait très froid, la forêt était dans le brouillard et les chasseurs éclairaient aux flambeaux les sangliers tués. C’était magique!», expliquait-il au Monde. C’est lui encore qui a plaidé pour la réduction du permis de chasse, en discussion dans le cadre de la réforme à venir, qui aura finalement acté le départ de Nicolas Hulot. Un choix qui aura peut-être provoqué un pincement au cœur à celui qui déclarait en janvier, piquant: «Quand Nicolas Hulot n’est pas content, j’adore lui rappeler qu’aujourd’hui on est dans le même camp, celui d’Emmanuel Macron. C’est presque jouissif pour moi.»