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Assemblée nationale : Ferrand ou le retour de la chance

Ce lundi à Tours, les députés LREM ont investi dès le premier tour Richard Ferrand comme candidat au perchoir. Ancien du PS passé lieutenant du parti de Macron, il est enfin en route pour obtenir la fonction tant convoitée
Richard Ferrand, à Tours le 10 septembre 2018 lors dans Journées parlementaires LREM. (Photo Albert Facelly pour Libération)
publié le 10 septembre 2018 à 13h03
(mis à jour le 10 septembre 2018 à 13h04)

Il avait presque cessé d'y croire. Ce 30 août, en aparté dans son bureau du Palais-Bourbon, Richard Ferrand caresse une nouvelle fois son envie d'un retour aux sources loin du tumulte parisien. Après quinze mois éprouvants à la tête du pléthorique et disparate groupe de La République en marche à l'Assemblée nationale, le fidèle du Président fait une dernière fois mine d'aspirer à «redevenir député de la sixième circonscription du Finistère». Il en a déjà pourtant l'intuition : deux jours plus tôt, la démission du ministre de l'Ecologie, Nicolas Hulot, pourrait signifier le retour de sa chance. En coulisse, le chef de file des députés LREM a commencé d'avancer ses cartes. Auprès de l'entourage du Président, il défend l'idée d'un remaniement a minima, poste pour poste. Faute d'avoir sous la main un profil aussi populaire que l'ex-animateur d'Ushuaïa, pourquoi ne pas solliciter les services du seul écolo macron-compatible monté en grade dans les instances de la République, François de Rugy ? Ce scénario acceptable pour l'exécutif, aurait l'immense mérite de lui ouvrir les portes de l'hôtel de Lassay. Bon calcul.

Le perchoir, Ferrand y songe depuis des mois. Elu député du Finistère en 2012, il a pris goût au travail parlementaire et aux coulisses du Palais-Bourbon. Au point de faire partie, sous le précédent quinquennat, du petit cercle de députés que réunit chaque semaine le président socialiste de l'Assemblée de l'époque, Claude Bartolone, pour prendre le pouls de la majorité. Nommé rapporteur de la commission spéciale sur le projet de loi Macron en 2015, il en orchestre les débats avec autant de sérieux que de rondeur, avant de tomber sous le charme du ministre de l'Economie de l'époque, qu'il côtoie alors jour et nuit. Les deux hommes ne se quitteront plus. Quand Macron décide de tenter l'aventure En marche, Ferrand prend sa roue sans hésiter. Marabouté au point de couper fin 2016 les amarres avec un parti socialiste qu'il n'a cessé de servir depuis sa prime jeunesse…

L’affaire des Mutuelles de Bretagne

Cette prise de risque alors presque insensée, le chef de l'Etat ne l'oubliera pas. Quand dans l'entre-deux-tours de la présidentielle, chaque membre de la garde rapprochée de Macron commence à formuler ses vœux d'atterrissage, Ferrand n'hésite pas : pour lui, rien ne vaut la présidence de l'Assemblée nationale. Las ! Installé à l'Elysée, le président de la République en décide autrement. Pour équilibrer le premier gouvernement Philippe, il lui faut compter sur ses relais politiques : à Ferrand revient le ministère de la Cohésion des territoires.

L'attelage doit courir au moins jusqu'aux législatives. Il tient une semaine : l'affaire des Mutuelles de Bretagne éclate ; le fabuleux destin de Ferrand tourne court. Inquiet de voir sa volonté de «moraliser la vie politique» brouillée, Macron l'exfiltre sans attendre son éventuelle mise en examen. Mais insiste pour que l'on ménage au sacrifié un point de chute honorable et stratégique : le pilotage du groupe majoritaire à l'Assemblée. «C'est cela, ou disparaître des radars», fait-on savoir à Ferrand, peu emballé par la mission.

C'est qu'aux premières loges lors de l'investiture des candidats macronistes aux législatives, l'ancien secrétaire général du mouvement sait ce qui l'attend : un groupe pléthorique, sans colonne idéologique structurée, composé à 90 % de novices. Déjà accablé par les répercussions de son affaire, Ferrand redoute l'ampleur de la tâche. «Il était traqué et préoccupé, se souvient un cadre du groupe à l'Assemblée nationale. Il lui fallait en même temps faire connaissance avec plus de 300 quasi-inconnus, surmonter son traumatisme et gérer son extraordinaire frustration d'avoir dû abandonner son poste de ministre.» L'ancien socialiste jovial, apprécié pour ses traits d'humour, se durcit.

«Punition»

Les débuts sont chaotiques et les néo-députés lui en imputent la responsabilité. «Richard vit comme une punition d'être là, il rabroue ceux qui prennent la parole en réunion de groupe», déplore alors un député LREM. Certains le trouvent «distant, cassant», absent lorsque l'opposition secoue les bizuts dans l'hémicycle. D'autres reconnaissent aussi l'aspect déplaisant du poste : «C'est un job extrêmement prestigieux mais aussi le plus ingrat et emmerdant de la République. Il faut faire de la câlinothérapie en permanence, recevoir à la chaîne des députés morts de faim, et distribuer les postes. À chaque nomination pour un rapport, une responsabilité, Ferrand fait fatalement un ingrat et neuf frustrés», reconnaissait un pilier du groupe.

Le classement sans suite de son dossier judiciaire en octobre est un soulagement pour lui, autant qu’un début de réhabilitation politique. Même s’il conserve une dent contre les médias et une impatience chronique vis-à-vis de ses troupes, le patron du groupe LREM remonte la pente. Et commence à rappeler la promesse prise par tous les responsables LREM de l’Assemblée en juin : remettre en jeu leur poste à mi-mandat. Premier visé : le tenant du perchoir, François de Rugy, qui, oublieux de son engagement initial, rétorque que son bail à Lassay court jusqu’en 2022… La seconde plainte déposée au printemps par Anticor sur l’affaire des mutuelles met la dispute en sourdine. Son avenir politique de nouveau suspendu à l’éventualité d’une mise en examen (1), Ferrand semble se résigner.

Soutenu par Macron

Pourtant, le lien ne se distend pas avec l'exécutif. Son bureau à l'Assemblée est une escale prisée des ministres lors de l'examen de leur texte, ou après les questions hebdomadaires au gouvernement. Surtout, Macron lui conserve son amitié. Les deux hommes s'échangent des SMS et se voient à intervalles réguliers dans les brainstormings politiques organisés à l'Elysée. Le chef de l'Etat, qui apprécie son franc-parler, est attentif à ses «retours terrain». À plusieurs reprises, le député du Finistère l'alerte sur des mesures mal vécues – comme les 80 km/heure –, jugées injustes par les retraités – la CSG et la désindexation des pensions –, ou incomprises – comme le futur prélèvement à la source. En témoignage de sa confiance, l'Elysée appuie sa nomination comme rapporteur général de la révision constitutionnelle, réforme emblématique du quinquennat. Ferrand y gagne en stature, ce qui rééquilibre sa position vis-à-vis de son rival du perchoir.

La place libérée par Rugy, Macron entend qu'elle revienne à son lieutenant historique. Comme un juste retour des choses. Quitus présidentiel oblige, les députés LREM ont ce lundi investi Ferrand lors de leurs journées parlementaires à Tours, dès le premier tour, avec . Sans trop s'appesantir sur les deux faiblesses de sa candidature. Une mise en examen – toujours possible – dans l'affaire des Mutuelles de Bretagne, la deuxième plainte restant à instruire à Lille. Et le renoncement à ce qui aurait été un beau symbole : doter l'Assemblée d'une première présidente sous la VRépublique. Cette primaire remportée au sein du groupe majoritaire, l'élection de Ferrand, mercredi après-midi lors de la reprise des travaux dans l'hémicycle, n'est plus qu'une formalité. Après quinze mois de galère, son rêve est à portée de main.

(1) Le Parquet national financier (PNF) a ouvert une information judiciaire le 12 janvier 2018 pour «prise illégale d'intérêts», recel et complicité de ce délit après la plainte déposée par l'association Anticor contre l'ancien ministre.