«Le monde se fracture, de nouveaux désordres apparaissent et l'Europe bascule presque partout vers les extrêmes et, à nouveau, cède au nationalisme. Ceux qui ne voient pas ce qui est en train de se passer partout autour de nous décident implicitement d'être les somnambules du monde qui va. Je ne m'y résous pas», a expliqué un Emmanuel Macron plus grave que jamais mardi soir, dans son allocution télévisée post-remaniement. Une référence à la trilogie de l'écrivain autrichien Hermann Broch, les Somnambules, publiée au début des années 30 et dont l'intrigue se déroule entre 1888 et 1918. «Un roman gigantesque sur la perte de repères moraux dans l'Europe de l'avant-Première Guerre mondiale sur trois générations», nous précise un proche du chef de l'Etat, qui évoque une œuvre «puissante».
A travers cette référence à ce «chef-d'œuvre total au sens philosophique, littéraire et éthique» dixit la même source, le message présidentiel est assez clair, dans la perspective des élections européennes. Emmanuel Macron a, de longue date, choisi de faire de ce scrutin le terrain d'affrontement entre «progressistes» et «nationalistes». Et il tient tout particulièrement à cette métaphore des «somnambules» pour l'illustrer. «Je ne veux pas appartenir à une génération de somnambules qui aura oublié son propre passé ou qui refusera de voir les tourments de son propre présent !» lançait ainsi le chef de l'Etat dans l'hémicycle du Parlement européen il y a six mois. Une allusion à la montée des populismes et des «démocraties illibérales» en Europe.
Cela vaut pour la scène continentale, mais aussi franco-française. «Honte aux somnambules du XXIe siècle !» avait vociféré le candidat En marche dans une enflammade visant Marine Le Pen et ses électeurs, au cours d'un meeting à Arras fin avril 2017. En novembre 2016, alors toujours ministre de l'Economie, il estimait déjà que «rien [n'avait été] fait depuis le 21 avril 2002» et la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour, ajoutant que devant le succès de l'extrême droite, il y a «d'une part, les somnambules, celles et ceux qui continuent à marcher dans la nuit, qui parlent dans le vide, et ne voient rien de ce qui se passe autour d'eux, et puis de l'autre, les cyniques, qui savent, et qui s'accommodent de cette vilaine affaire».