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Libération
Compte-rendu

Contre l'antisémitisme, Macron promet «des actes tranchants»

Invité du dîner annuel du Crif, le chef de l'Etat a annoncé que l'antisionisme serait désormais associé à la définition de l'antisémitisme. Une loi contre les message de haine sur internet sera présentée en mai prochain.
Emmanuel Macron au dîner annuel du Crif , mercredi. (LUDOVIC MARIN/Photo Ludovic Marin. AFP)
publié le 21 février 2019 à 6h32

Grave et solennel, souvent étreint par l’émotion, Emmanuel Macron a prononcé mercredi soir un discours très volontariste pour convaincre de sa détermination à lutter contre l’antisémitisme. Un discours très applaudi par le millier de convives du traditionnel dîner du Crif dont le chef de l’Etat était, comme chaque année, l’invité d’honneur.

Regrettant en introduction de ne pouvoir se contenter de célébrer dans «la sérénité» les récents disparus célèbres, de Claude Lanzmann à Simone Veil, incarnations de «la part juive de l'âme française qui fait notre nation belle et grande», il a commencé par nommer toutes les victimes des assassinats antisémites des dernières années, des victimes de Mohamed Merah jusqu'à Mireille Knoll, rescapée de la Shoah poignardées à 85 ans. Autant de «martyrs» qui, selon lui, illustrent la «résurgence inédite» de l'antisémitisme, observée dans «l'ensemble des démocraties occidentales». «Cette litanie, c'est notre échec», a-t-il reconnu après avoir évoqué l'agression contre Alain Finkielkraut et la profanation du cimetière de Quatzenheim (Bas-Rhin). «Nous avons condamné, voté des lois mais pas su agir efficacement» a-t-il ajouté, promettant qu'il était temps d'en venir aux «actes tranchants».

Précisément ce qu'attendaient mercredi soir les représentants de la communauté juive. «Pour ce 24e dîner nous attendons des actes et des décisions fortes» avait prévenu le président du Crif Francis Kalifat. Jugeant «intolérable» le niveau atteint par l'antisémitisme, il avait demandé qu'on en finisse «avec la justification religieuse» d'une haine «trop souvent» exprimée par «des jeunes musulmans». Avant de donner la parole au chef de l'Etat, Francis Kalifat a aussi noté que si l'antisémitisme «se portait très bien en France avant les gilets jaunes», il se porte «encore mieux aujourd'hui grâce à certains d'entre eux».

«Aucune complaisance»

Très attendu sur ses décisions concrètes, Macron a commencé, sous les applaudissements, par proclamer que l'antisionisme devait être reconnu comme «une des formes modernes de l'antisémitisme». En conséquence de quoi, le France allait adopter la définition de l'antisémitisme qui intègre l'antisionisme : celle de l'Alliance internationale pour la mémoire de l'holocauste (IHRA). Une décision qui n'implique toutefois pas de modification du Code pénal. Tout en précisant qu'il ne s'agissait pas de s'interdire de critiquer l'Etat d'Israël, chef de l'Etat a ajouté qu'il n'y aurait plus «aucune complaisance» à l'égard des appels au boycott de l'Etat hébreux, pratique dénoncée chaque année à la tribune des dîners du Crif.

Déterminé à «nommer» et à «regarder en face» les formes contemporaines de l'antisémitisme, Macron a évoqué, sans plus de détail, la lutte contre la radicalisation et «la reconquête républicaine» des quartiers où se déploie «un antisémitisme fondé sur l'islam radical». Il a invité «toutes les victimes» à porter plainte, y compris en ligne, comme le permet la loi justice récemment votée par le parlement. Il a par ailleurs annoncé, geste visiblement apprécié par son auditoire, la prochaine dissolution de trois associations d'extrême droite notoirement racistes ou antisémites : Blood and Honour Hexagone, Combat 18 et le Bastion social, créé en 2017 par d'anciens membres du Groupe union défense (GUD).

Evoquant l'effarant sondage publié en février par la Fondation Jean-Jaurès selon lequel 22% des Français (et 44% de ceux qui se disent gilets jaunes) pensent qu'il existe un complot sioniste à l'échelle mondiale, Macron a insisté sur le combat contre «l'antisémitisme virtuel» qui se répand sur internet. La question était déjà au cœur de son intervention au dîner du Crif de 2018. Il disait vouloir conduire, au niveau européen, «un combat permettant de légiférer» pour contraindre les opérateurs à retirer dans les meilleurs délais «les contenus haineux» sur le Web. Une mission avait été confiée à Gil Taïeb, vice-président du Crif, et à l'écrivain franco-algérien Karim Amellal. Mais parce que les décisions tardent à être prises au niveau de l'UE, Macron a promis mercredi qu'un projet de loi français contre le cyberharcèlement, porté par la députée LREM Laetitia Avia, serait présenté dès le mois de mai. Pointant notamment la responsabilité de Twitter qui met souvent «des semaines», «parfois des mois» avant de consentir à retirer un contenu, Macron veut que la responsabilité juridique des plateformes soit désormais engagée.

«Rempart républicain»

Il a aussi promis un audit de tous les établissements scolaires touchés par un phénomène de déscolarisation des élèves juifs. «Quand une telle déscolarisation se passe, elle dit quelque chose, parfois de ce que nous voulions ou ne pouvions voir, de ce qui ne se disait plus», a-t-il estimé. L'école publique doit, selon lui, jouer «son rôle de rempart républicain». «Parce que la période met en cause ce que nous sommes, la France doit tracer de nouvelles lignes rouges», s'est-il justifié. «L'antisémitisme n'est pas le problème des juifs, c'est le problème de la République», a martelé le chef de l'Etat.

Macron a conclu ce discours très attendu dans la communauté juive par une vibrante évocation des liens séculaires entre les juifs et la France. «La France doit tant à ceux qui l'ont construite, lui ont appris l'universel, lui ont donné son visage» a-t-il dit avant de se lancer dans l'énumération de noms de «grands juifs», «commentateurs de textes sacrés connus à travers le monde» mais inconnus du grand public. Ils se prénomment Samuel Isaac, Moïse, Jacob ou Eliezer et vécurent à Falaise, Chinon, Evreux, Avalon ou La Rochelle. «Nous sommes chez nous» s'est-il exclamé sous les applaudissements redoublés, répondant implicitement au slogan «on est chez nous» scandé aussi bien dans les cortèges d'extrême droite que par le salafiste en gilet jaune qui a agressé samedi à Paris Alain Finkielkraut.